LITERATURA BRASILEIRA
Textos literários em meio eletrônico
JAKARÉ-OUASSOU, ou les Tupinambas, de Daniel Gavet e Philippe Boucher
Edição de base:
JAKARÉ-OUASSOU, ou Les Tupinambas : chronique brésilienne, par D. Gavet et P. Boucher.
Paris: T. Dehay, 1830.
PARIS, IMPRIMERIE DE A. BELI
Rue des Mathurins St.-J., nº 14.
JAKARÉ-OUASSOU
ou
LES TUPINAMBAS
CHRONIQUE BRÉSILIENNE,
PAR
D. GAVET ET P. BOUCHER.
"Rien n'est beau que le vrai."
PARIS,
TIMOTHÉE DEHAY, LIBRAIRE5
RUE NEUVE-DES-BEAUX-ARTS, Nº 9
183O.
PRÉFACE.
ELLE apparaît bien étonnante à notre vieille Europe, usée par une longue civilisation, cette vaste et mystérieuse Amérique, berceau ignoré de peuples qui n'ont laissé que quelques ossemens blanchis, poudreux, horribles; qui n'ont rien écrit sur eux-mêmes; qui sont nés sans se connaître; qui sont morts sans graver sur le marbre une seule pensée : le temps a dévoré jusqu'à leur souvenir dans la mémoire des hommes, au milieu des solitudes du Nouveau-Monde, où ils s'élevaient peut-être comme des Géans[*].
Ce peuple, effacé sans bruit de la liste des peuples, et qui laisse l'histoire muette, à disparu comme l'ouragan meurt peu à peu dans les gorges des montagnes, comme les derniers bruissemens de la brise du soir se perdent au loin, dans les savanes fleuries.
Suivez le cours de certains fleuves, soulevez cet amas de lianes, écartez ces grands arbres tombés de vieillesse : jadis pleins de santé et de vie, ils pourrissent maintenant dans la fange, où ils sont à moitié ensevelis. A travers ces forêts de ronces, creusez la terre; creusez-la : c'est un sol mystérieux... Arrêtez ! Voyez ! Des tombeaux : — partout la mort! Des fondations, de grandes fondations, rongées par les ans : — une ville!... Des canaux, des fragmens d'armes singulières, des vases, des figures bizarres sur ces vases: — une civilisation !
Oh! puisque vous en avez le courage, redemandez à la tombe les hommes qui ont vécu dans les temps ! Comme vous avide, le ver carnassier s'ouvrit ici un passage... : bien des jours se sont écoulés depuis.
Les siècles avaient scellé d'un profond oubli des cercueils perdus dans la boue des fleuves, sur le bord des lacs : eh bien! troublez le silence de ces lieux où les voiles impénétrables de la Providence étaient tendus comme un immense réseau : rien ne s'en est échappé... Brisez la pierre du cercueil : qu'avez-vous vu? Des os, d'énormes os : — un peuple!!!
Ce sont là les secrets du désert, de ce désert qui fait jaillir l'inspiration de toutes parts, qui se pénètre d'harmonies, et qui s'assied sur un trône de lianes embaumées.
Comme il est noble dans ses tristesses! Comme il est beau dans toutes ses joies !
Qui n'aimerait ses pompes et ses voluptés si chastes; ses molles langueurs, sa fraîche parure de feuilles toujours vertes, de fleurs qui ne fanent point, et son vêtement de rosée !
Ah! c'est dans le Nouveau-Monde que le poète peut étudier son art ; c'est là que doit germer, bien forte et bien supérieure, sa pensée créatrice : il y trouve le gracieux à côté du sombre et de l'horrible; il est en face d'un tableau palpitant de vie, immense; majestueux, et brûlant de poésie ; de grands souvenirs de tous genres l'environnent, l'électrisent, le tourmentent, et lui demandent des larmes, de longs tressaillemens, et les chants qui ne meurent point, les chants sublimes ! Que le génie frissonne d'aise ! qu'il fasse résonner les cordes d'une lyre nouvelle dans un monde nouveau ! Rien d'usé, rien qui sente la lime européenne ne doit se faire entendre dans un pays de merveilles, où tout est neuf, où tout vit d'une sève de feu, où la pensée s'élève et s'agrandit libre, vierge, naïve et belle. L'Amérique ressemble-t-elle à notre continent ? La poésie qu'elle révèle doit-elle ressembler à la poésie que l'on enseigne dans les livres ? Non, elle est trop forte pour être applicable à tout, et indistinctement à tout, comme celle dont on trouve les règles fixées et reproduites depuis des siècles. Là où tout se montre étincelant de sublimes beautés, rayonnant des plus riches couleurs ; là où des montagnes gigantesques s'élèvent roides, âpres, terribles, sur des gouffres dont les flancs ténébreux recellent je ne sais quelles eaux, rugissant entre des rocs, et d'où semblent sortir des voix qui font frémir; là où les forêts plient sur les forêts, où les lacs tombent dans les lacs, où les cascades bondissent dans les cascades; là, certes, pour exprimer ce que l'on sent, pour peindre ce que l'on voit, il ne faut point garotter la pensée : il faut, un pinceau large, hardi, neuf et audacieux, une touche vigoureuse et vraie. Si votre palette n'est point à vous, si vous imitez les hommes là où il n'y a d'autre imitation à chercher que celle de la nature, froid copiste, le désert vous renie, ce n'est point pour vous qu'il se revêt de magnificences et qu'il exhale des odeurs suaves : non, vous n'avez jamais compris ce que c'est qu'une forêt où la hache de vos peuples civilisés n'a pas fait crier les vieux troncs sur le bord des torrens ; vous n'avez pas compris ce que c'est qu'une hutte de sauvage, au milieu de cette forêt qui ne vous a rien inspiré; allez chercher une ame, et vous reviendrez après vous égarer dans les labyrinthes frais et verts. Voyez : tout ce que votre souffle a touché, tout ce qui est sorti de vos mains après un pénible travail, est sec, inanimé, vide d'intérêt et d'idée; nous ne voulons pas d'un cadavre, là où tout est plein de jeunesse et de vie. Faites une différence entre les hommes et entre les lieux ; nous ne voulons pas que l'Amérique vous inspire comme la France ou l'Italie. Oh! qu'elle vous dise quelque chose de plus, cette belle Amérique avec sa longue chevelure de forêts vierges, ses races d'hommes éteintes sans avoir été connues, ses tribus sauvages que le glaive européen a dévorées lentement, ses masses de rochers suspendues aux abymes, ses mille parfums, ses fleuves, ses massifs, ses grands tapis de verdure, de pourpre et d'or, ses merveilles d'un sol qui a porté et englouti cent nations que nous nommons barbares, mais dont le courage nous étonnera toujours, dont nous avons à déplorer les malheurs, et dont le meurtre apparaîtra hideux aux âges qui naîtront, comme une vieille honte de l'Europe !
N'est-ce pas là, dans cette terre si féconde pour le génie, que l'inspiration s'empare d'un coeur de poète, le remue, et lui fait rendre des sons qui n'ont jamais été entendus ? N'est-ce pas là que le grand livre de la nature s'ouvre éblouissant, et se déroule, page à page, aux pieds de l'Éternel ?
Le Brésil est un beau pays que l'on connaît peu. L'un de nous l'a habité sept années. Il a parcouru les côtes et l'intérieur de cette contrée toute poétique, où l'ame se trouve si bien, et sur laquelle il est étonnant qu'on n'ait pas encore fait un ouvrage d'imagination : JAKARÉ-OUASSOU est le premier :
Le sujet est historique.
Les caractères sont historiques.
Le style est historique.
Et à propos de style, ce serait ici le lieu de parler de nos longues discussions littéraires : on semble exiger aujourd'hui qu'en tête de chaque ouvrage chaque auteur fasse sa profession de foi, et brise une lance en faveur du classique ; ou bien que, sur son écusson, il grave des mots tels que ceux-ci : Liberté! Enthousiasme! Quant à nous, nous dirons naïvement, à ceux qui voudront bien nous lire, que nous n'avons pas écrit dans un système : nous avons toujours suivi l'inspiration. Si toute la nouvelle école est là, nous sommes romantiques. Croyant que l'enthousiasme est une chose belle et noble au coeur de l'homme, et convaincus que l'enthousiasme ne peut être l'imitation, nous n'avons pas imité.
S'il fallait absolument singer pour faire un livre, nous n'écririons pas une ligne. N'imitons personne, qu'on nous voie tels que nous sommes ; pourquoi des masques, quelque beaux qu'ils puissent être ? Nous avons tous un visage, montrons-le, qu'on nous connaisse : nous ne voulons pas être pris pour d'autres.
Et puis il s'agit d'être conséquens.
Nous voulons peindre une nature sauvage; or, ne croira-t-on pas que nous sommes des charlatans, si nous ne montrons pas des hommes différens des autres ? On dira que nous sommes restés à Paris, que nos amis seuls nous ont fait faire des milliers de lieues, et que, pour compléter la jonglerie, nous avons pris de pauvres Européens, auxquels nous avons percé les lèvres et les oreilles, que nous avons barbouillés de mille couleurs, cornés d'une vaste ceinture de plumes; mais que cette plate contrefaçon du désert ne trompe personne, et que nos sauvages de circonstance, tels qu'on les improviserait pour un ballet d'Opéra, se trahissent par leur démarche et leur accent. — Non, en littérature point de tour de passe-passe : les habits des' Européens couvrent mal l'homme des forêts; il faut que toutes ses formes s'accusent d'elles-mêmes ; il faut montrer ses épaules à nu.
Nous aurions bien désiré que cet ouvrage ne fût qu'une suite de tableaux de moeurs, sous une forme dramatique, et ne pas être obligés de suivre une intrigue. Lorsqu'on a tant à dire, à peindre, à faire sentir, à penser, à risquer, il y a quelque chose d'aride et quelquefois de décourageant dans un cadre romanesque; nous dirons même qu'il y a du danger, à rétrécir tout ce que les sauvages et la nature du Nouveau-Monde inspirent si profondément. Quoi, qu'il en soit, puisqu'il le faut, nous avons fait une intrigue; et dès-lors que cela est nécessaire, nous avons tâché qu'elle eût aussi son cachet de nouveauté, de couleur locale, d'étrangeté.
DANIEL GAVET, PHILIPPE BOUCHER.
NOTICE.
L'Amérique, brillante de jeunesse, doit avoir des pensées neuves et énergiques comme elle .........................................................
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Dans ces belles contrées si favorisées de la nature, la pensée: doit s'agrandir comme le spectacle qui lui est offert; .........................
elle doit rester indépendante, et ne chercher son guide que dans l'observation.
( Ferdinand Denis, Résumé de l'Histoire littéraire du Portugal et du Brésil. )
Le Brésil[1], ce pays, immense de l'Amérique du sud, découvert par le navigateur portugais Cabral[2], la dernière année du quinzième siècle, fut long-temps négligé. Les Lusitaniens, éblouis par les trésors que leur offraient les Indes orientales, théâtre de leurs triomphes, semblaient mépriser une contrée qui, au premier aspect, avait paru ne produire ni or ni argent; et plus de trente ans après sa découverte, aucun établissement sérieux ne s'élevait sur les côtes du Brésil. La métropole se contentait d'y envoyer, si l'on excepte quelques navires d'exploration, les plus grands scélérats du royaume et des femmes perdues ; les vaisseaux qui transportaient ces êtres dégradés revenaient chargés de singes et de perroquets. Cependant le roi de Portugal Jean III divisa le Brésil en neuf capitaineries ou gouvernemens héréditaires ; on les accordait aux nobles, ou fidalgos, les plus entreprenans et les plus ambitieux.
Quoique dévot et grand ami de l'inquisition, Jean III ne manquait pas de politique, car s'il récompensait un seigneur des services rendus à la couronne en lui accordant une capitainerie du Brésil, il se réservait aussi par le même moyen la facilité d'éloigner généreusement de sa personne ceux des fidalgos qu'il aurait pu redouter secrètement. Comment se plaindre d'un si brillant exil ? Les nobles concessionnaires se trouvaient investis de presque tous les droits royaux ; ils avaient sur leur territoire respectif une autorité absolue. Ainsi, le premier gouvernement établi au Brésil, au sein de la liberté, fut un gouvernement despotique. Quoi de plus simple en effet? Les Européens étaient les plus forts, et les naturels qui occupaient les cinquante ou soixante lieues de terrain, accordées si largement à chacun de ces suzerains, n'étaient considérés que comme un vil troupeau de bétail ; il était permis d'en faire des esclaves. De là une haine implacable entre les conquérans et les Brésiliens. Ces noms de maître et d'esclave étaient bien étranges dans cette partie de l'Amérique, et frappaient bien singulièrement l'oreille des peuples indigènes. Ces peuples belliqueux, qui offraient, comme on l'a dit, le contraste bizarre d'une grande férocité. jointe à des moeurs souvent patriarchales, ne pouvaient guère nous comprendre.
Les seigneurs concessionnaires emmenaient ordinairement à leur suite quelques moines fanatiques qui bénissaient toutes leurs actions, et sanctionnaient tous leurs excès honteux.
Si les missions du Nouveau-Monde ont produit des hommes réellement dignes du nom de chrétiens, ils sont rares ; ils ne se sont montrés que de loin en loin; mais enfin il y en eut de ces hommes vraiment religieux ; ils surent échapper à la corruption de l'époque : les peuples sauvages les ont bénis.
La capitainerie de Bahia[3] (la baie), ou San-Salvador, s'étend jusqu'à la grande rivière de San-Francisco[4]. A l'est, l'Océan atlantique baigne ses côtes, et forme une baie[*] immense, en s'avançant vers l'intérieur des terres. Bahia est une contrée vaste et fertile; la nature y déploie toute sa magnificence; ce sont des bois d'orangers qui, au moindre vent, semblent couvrir la terre de neige en laissant tomber leurs fleurs; aux rayons d'un beau soleil, le bananier courbe son bouquet d'or, non loin des mélastones et des convulvulus. Une odeur suave descend de la cime des arbres. L'Indien qui a traversé une forêt répand autour de lui les parfums de mille plantes : sa chevelure est embaumée, son haleine est fraîche et pure.
Si l'on approche des massifs que des plantes grimpantes environnent de toutes parts, et où le jaguar[*] se trouve souvent enfermé comme dans les rets du chasseur, on sent qu'une harmonie vague et délicieuse s'en exhale, et la nature parle tout entière à l'ame.
Quelquefois, brisée dans un orage, la branche d'un jacquier, qui porte des fruits plus gros que le melon, est poussée par le vent sur le jambeiro à la fleur pâle, ou sur un mélastone, et s'y ente[5] d'elle-même.
Le soleil laissant tomber dans l'épaisseur des forêts quelques rayons brisés par le feuillage, jette çà et là des gerbes de feu qui se jouent avec les lianes.
Les premiers habitans de Bahia furent, diton, les Quinnimuras, que chassèrent les Tapuyas, forcés à leur tour de fuir devant les Tupinaès, accourus de l'intérieur ; mais les redoutables Tupinambas[6], grande nation brésilienne de la fameuse race tupique[7], maîtres des deux rives du San-Francisco, fondirent sur les Tupinaès, les dispersèrent, et s'emparèrent totalement, du Reconcave, nom qu'ils donnaient à la baie avec toutes ses criques ; tranquilles possesseurs des bords de la mer et des vastes forets qui l'avoisinent, ils se divisèrent en plusieurs hordes indépendantes les unes des autres. Toujours alliées lorsqu'il fallait marcher contre un ennemi commun, elles se combattaient quelquefois entre elles pour des injures particulières.
Les Tupinambas, dont les moeurs si bizarres, si extraordinaires, offrent à l'oeil de l'observateur un tableau étonnant et curieux, sont, pour la plupart, des hommes robustes, bien faits et belliqueux. Leur jugement est naturellement sain et juste; ils aiment la vérité. Sans rougir d'avouer qu'ils se sont trompés, ils se rendent facilement à raison. Spirituels et braves, ils l'emportent sur tous les naturels du Brésil. Leur visage a plus de noblesse que de grâce, leurs yeux sont noirs et animés, leur peau est cuivrée; ils se peignent le corps avec un grand nombre de couleurs, et ils font un usage habituel de l'huile de rocou. D'anciens voyageurs disent que toutes ces peintures ne les déparent point[*].
A l'exemple de presque toutes les tribus brésiliennes, les Tupinambas se percent la lèvre inférieure (et quelquefois les oreilles) ; ils introduisent ordinairement dans cette ouverture une coquille, une pierre ou simplement un morceau de bois rond. Les Tupinambas, dont le nom signifie brave, se dit le fils de Tupan, ou du tonnerre ; il reconnaît deux principes, celui du bien[*], un Grand-Esprit, auquel il ne rend aucune espèce de culte; et les Anhangas ou génies du mal, qui balancent le pouvoir du Grand-Esprit. Ils ont des espèces de jongleurs ou devins, nommés piayes; chaque piaye vit, dit-on, seul dans une grande case, éloignée de toutes les autres : sans son ordre, nul n'oserait y entrer. Les devins prédisent l'avenir à l'aide des songes ; et, par leur intercession auprès des génies, ils savent positivement si la chasse sera bonne ou mauvaise, et si on fera beaucoup de prisonniers à la guerre. Ils ont la connaissance d'une grande quantité de simples qu'ils emploient avec succès pour les maladies, dans lesquelles ils font un usage assez fréquent de la saignée ; ils savent aussi amener de fortes transpirations ; mais c'est principalement le pouvoir qu'ils prétendent exercer sur les être malfaisans qui attirent aux jongleurs une si grande vénération de la part d'un peuple qui ne craint rien tant que de se voir tourmenté par des esprits. Il serait trop long d'entrer dans tous les détails nécessaires pour démontrer toute l'influence des piayes sur des sauvages ignorans; contentons-nous de dire que si le jongleur prédit à un naturel sa fin prochaine, le malheureux Indien se couche tranquillement dans son hamac, qu'entourent ses parens et ses amis; alors son imagination s'exalte, le sang bouillonne dans ses veines, le délire s'empare de lui, et il ne: tarde pas à accomplir la prédiction.
La seule autorité qui égalé l'autorité des piayes est celle des vieillards, dont il n'est pas rare, disent plusieurs historiens, de voir la vie se prolonger au-delà de cent années. Rien ne saurait altérer le respect porté à ces vieillards : c'est une espèce de culte ; les cheveux blancs ont toujours été bien puissans chez les peuples sauvages.
Les Tupinambas aiment beaucoup les combats : ils s'y préparent en se faisant de longs discours ; ils s'excitent en se donnant des coups sur les bras ; lorsqu'ils marchent à l'ennemi, ils se choisissent des chefs de guerre. Ils ensevelissent leurs morts, debout, dans de grands vases de terre, qu'ils savent orner de plusieurs figures.
En temps de paix, les hommes ne font absolument rien ; seulement ils prennent le plaisir de la chasse ou de la danse qu'ils aiment avec passion, et à laquelle. ils se livrent dans leurs villages ou aldées, au son du maraca[*]; ils restent des jours entiers dans un repos continuel. Il n'y a que les femmes qui travaillent : tout ce qui se trouve dans la butte des sauvages sort de leurs mains. Outre les vases de terre, les panniers, les touffes et les manteaux de plumes, qui sont toujours les fruits de leur industrie, elles cultivent le manioc ; c'est une racine qui, préparée, remplace le pain.
La massue[*], l'arc, de longues flèches, qu'ils portent toujours à la main, et l'arc à deux cordes, qui leur sert à lancer avec tant d'adresse des balles de terre durcies au soleil ou des pierres rondes, sont les armes principales des Tupinambas. Comme ils aiment à l'excès les chants, ils estiment beaucoup certains Indiens appelés chanteurs ; ces Indiens peuvent, sans nul péril, traverser les camps ennemis ; on les accueille partout avec empressement. Les forêts retentissent presque toujours d'hymnes barbares, où l'on célèbre les combats, les exploits, la vie des guerriers et de leurs ancêtres.
L'hospitalité est le premier devoir d'un Tupinambas ; mais il, l'exerce d'une manière assez bizarre[8]. Il est aussi implacable à la guerre qu'il est généreux chez lui ; le plaisir de se venger de son ennemi fut toujours sa plus grande jouissance. Les prisonniers de
guerre, auxquels on rend la captivité très douce, sont massacrés et dévorés avec de grandes cérémonies.
Lorsque les vainqueurs arrivent près de leur village, et que les femmes accourent au devant d'eux, ils forcent les prisonniers à dire à ces femmes : « Voici la viande que vous aimez tant qui s'approche de vous. »
Les Tupinambas habitent ordinairement les forêts qui avoisinent la mer, les lacs ou les rivières. C'est en mettant le feu aux arbres et aux grandes herbes qu'ils forment l'emplacement circulaire de leurs aldées ; des roseaux et des feuilles de palmiers servent à construire de longues cabanes ou cases, que nulle cloison ne sépare dans l'intérieur, et qui contiennent souvent un grand nombre de familles alliées. Toutes ces cases entourent la place du massacre.
Une palissade, formée de pieux[*] enfoncés profondément dans la terre, défend les villages des attaques nocturnes. A travers les palissades, les Indiens lancent sur leurs ennemis des flèches de guerre[**], assez bien travaillées pour les mains grossières qui les fabriquent : elles sont fort solides et très meurtrières.
Les Tupinambas boivent en abondance, particulièrement les jours de massacre, d'une boisson nommée cauin[9], qu'ils aiment à l'excès, et d'autres liqueurs qu'ils tirent de la racine de manioc et des fruits de l'acayaba.
Jean III, avait donné à Francisco Pereyra Coutinho[10] (Coutigno) la capitainerie de Bahia, avec la condition d'y fonder une ville et d'autres établissemens, soit en subjuguant, soit en civilisant les naturels. Coutinho, après avoir équipé une flottille, arriva au Reconcave, suivi d'un grand nombre de soldats, d'aventuriers et d'autres hommes dévorés d'ambition. Mais la Providence avait déjà placé[*] un Européen dans cette contrée long-temps avant que le roi de Portugal eût disposé du pays en faveur de Coutinho. Son étonnement fut extrême en apercevant des germes de civilisation parmi les Tupinambas.
Un Portugais, nommé Diego Alvarez-Corréa[11] allant aux Indes orientales, avait fait naufrage sur la côte de Bahia ; il avait eu le bonheur de sauver quelques effets, de la poudre et un mousquet. Ses inventions d'Europe lui attirèrent les adorations de la tribu desTupinambas de la baie. Les chefs indiens ne tardèrent pas à le regarder avec la plus profonde vénération.
Un jour, qu'Alvarez avait tué avec son mousquet un oiseau de proie perché sur un arbre, les Indiens qui l'entouraient s'écrièrent: « Caramourou! Caramourou! » c'est-à-dire homme de feu [*].
Il conserva ce nom.
Un vaisseau français, qui faisait un voyage de découverte et de commerce, s'arrêta quelques jours à Bahia. Caramourou, qui avait épousé la fille du principal chef de la horde du Reconcave, s'embarqua[**] sur ce vaisseau avec Paragouaçou, emportant des échantillons de la richesse et des curiosités du pays.
Henri II et la célèbre Catherine de Médicis régnaient alors en France : ils accueillirent les voyageurs avec considération. On peut juger combien ils devaient piquer la curiosité. Paragouaçou fut baptisée aussitôt en grande cérémonie ; elle eut le roi pour parrain, et pour marraine Catherine, qui donna son nom à la chrétienne tupinambas.
Caramourou voulait aller à Lisbonne demander à Jean III les secours nécessaires pour achever un établissement qu'il avait commencé sous de si heureux auspices ; mais Henri II le flatta si bien, qu'il le détourna, dit-on, de ce premier dessein, et Caramourou répartit pour Bahia[*] avec une expédition marchande française. Là, son épouse, fière du nom de Catherine et des talens qu'elle avait acquis en Europe, réunit ses efforts à ceux de son époux pour convertir et pour civiliser les Tupinambas, qui revirent avec des transports de joie inexprimables leur ami Caramourou. Déjà une église était achevée[**], et l’on s'occupait de la culture des terres.
Coutinho arrive, armé de l'autorité royale : il commence, par flatter Caramourou, dont il ne pouvait se passer alors pour ces détails précieux que lui seul pouvait donner sur le pays et les habitans.
Il est probable que le gouverneur et ses aventuriers ne se donnèrent que le temps de connaître la langue et les usages d'un peuple qu'ils voulaient asservir, enchaîner, et non pas civiliser ni convertir, pour montrer à l'infortuné Caramourou, dont ils redoutaient l'influence sur l'esprit des naturels, qu'il n'avait servi que des ingrats, et que les Tupinambas avaient désormais tout à craindre d'avides oppresseurs.
Coutinho méprisa la douceur dont Caramourou avait usé envers les peuples qui l'avaient accueilli, et dont il était devenu, pour ainsi dire, le chef suprême ; il condamna tout ce qu'il avait fait, et commença une cruelle persécution contre une nation peu accoutumée à la sévérité, contre les naturels du Brésil les plus vaillans et les plus jaloux de leur liberté.
Caramourou ne tarda point à éprouver les effets de la basse vengeance de son rival : on l'arracha à ses enfants les sauvages, et il fut retenu prisonnier. On répandit le bruit de sa mort, afin de décourager les Indiens, qui se voyaient privés de leur plus ferme appui ; mais ils ne furent point abattus par ce revers : ils comprirent le danger de leur situation; ils voulurent y faire face. Ils abandonnèrent aussitôt le terrain[*] où, par les soins de Caramourou, on avait jeté, dit-on, les fondements d'une ville ; Coutinho et ses compagnons s'en emparèrent entièrement, et dirigèrent leur batteries sur les forêts d'alentour, où les sauvages se réfugièrent, préférant leur première existence au joug qui les menaçait.
Là, ils poussent des hurlemens de rage ; ils maudissent les Européens ; chaque jour voit de nouveaux combats ; les Tupinambas qui
tombent entre les mains des Portugais sont livrés au supplice pour pour servir comme esclaves, et les Portugais qui tombent entre les mains des Tupinambas sont impitoyablement massacrés et dévorés.
JAKARÉ-OUASSOU,
Ou
Les Tupinambas.
Non, jamais des tyrans nous ne serons esclaves ;
Qu’ils nous immolent tous, qu’ils égorgent nos braves,
Nos ossemens épars, d’un mutuel accord,
Se rassembleront tous pour les combattre encor.
La Caroléide, D’Arlincourt
C’est heure où le flambeau du jour, à la fin de sa carrière, s’élance vers l’occident, entouré d’une immensité de feu. Déjà l’astre des nuits envahit et couvre l’horizon de sa lumière incertaine. Rien ne trouble le majestueux silence de la nature, si ce n’est le doux murmure du zéphyr, qui ride en frémissant la surface azurée du golfe de Bahia. Le ciel est pur et serien comme les esprits qu’il renferme. Cette multitude de globes errants et enflammés que le Créateur fait rouler à son gré au milieu des espaces se réfléchissent dans les ondes transparentes de la mer, qui viennent expirer moliement au pied des murs de San-Salvador.
Mais ce spectaclé enchanteur, ces soirées si délicieuses au Brésil, où, par sa douce fraîcheur, la brise fait oublier à l’Amérique une journée brûlante, sont dépourvus d’attraits pour des yeux baignés de pleurs. L’oeil du malheureux, semblable à une glace fatale, ne réfléchit au coeur que des images déchirantes : pour lui la nature entière est inanimée. C’est ainsi que seul, seul avec sa douleur, prisonnier au fort de San-Salvador, un jeune chef indien, l’infortuné tamandua, la tête appuyée contre les barreaux de sa prison, déplore sa cruelle captivité et la tyrannie des portugais. Ses regards sont tournés vers les montagnes où il a reçu le jour : il pense à son vieux père, qui gémit retiré dans sa case. Oh ! combien il la trouve déserte ! son fils chéri n’est pas à ses côtés. Ombu n’avait qu’un enfant, les tigres d’Europe le lui ont arraché !
Tamandua songe encore à l’ami de son jeune âge, à Jakaré[12] ; Jakaré était absent lorsque le fils d’Ombu tomba dans les fers de Coutinho, le barbare suzerain qui règne par le crime sur l’établissement portugias de San-Salvaldor. Le jeune Indien mêle ses larmes aux flots de la mer, et s’écrie, emporté par le désespoir :
« Hommes méchans, que vous ai-je fait ? que vous a fait ma tribu ? que vous ont fait les os de nos pères ? ah ! vous êtes envoyés par le génie du mal chez les Tupinambas, puisque vous m’avez arraché des bras de mon père. Songez-vous qu’il a été guerrier et qu’il est sage, Ombu ? songez-vous que le Grand-Esprit aime tous les hommes de cent ans, qu’il les protège, qu’il les venge ? Vous autres, qui venez de si loin pour faire le mal, vous n’avez de si loin pour faire le mal, vous n’avez pas donc de père, puisque vous laissez pleurer un vieillard ? Tremblez : la flèche de nos guerriers donne la mort, la massue de mon ami écrase les rochers ; dans ses bras il étouffe le tigre, et vous êtes des tigres !
« Des songes ont dû avertir Jakaré que Tamandua est prisonnier : ò Portugais ! craignez la fureur de mon ami, craignez la rage de ma tribu ! Les braves que je commande viendront me délivrer ; alors craignez celui que vous nommez votre esclave ! Mon père est malheureux parce qu’il ne me voit pas : eh bien ! je le jure par les cheveux blancs de mon père, je reviendrai vous combattre avec mon ami, jusqu’à ce que nous soyons vengé Caramourou, l’ami de l’aldée. Caramourou, qui était, lui, un bon Européen, vous l’avez fait mourir parce qu’il n’a pas voulu être méchant comme vous, et parce qu’il nous aimait.
« Coutinho, Tamandua ne dormira pas tranquille dans son hamac s’il ne tue, et si, au grand festin de la victoire, il ne mange ta chair en buvant de la liqueur avec ses ami, auxquels il dira : « Mangez aussi de cet homme, et réjouissez-vous ! » Oui, portugais, vos tonnerres ne vous défendront pas toujours : nous les éteindrons dans votre sang. »
Le chef tupinambas a cessé de parler : ses traits, tout à-la-fois mâles, nobles et gracieux, respirent la fureur ; il se promène agité. Soudain un bruit s’est fait entendre ; la porte de la prison s’ouvre : un soldat portugais s’avance :
« — Brésilien, dit-il, suis-moi auprès du gouverneur ; déjà dans la chambre du conseil sont rassemblés les juges.
« — Dis les bourreaux. Marchons : je veux voir ce qu’ils ont à me reprocher.
« — Esclave, cet orgueil te sied mal.
« — Esclave ! il n’y en a qu’un ici, et ce n’est pas moi. »
L’Indien suit son guide farouche, et pénètre dans l’enceinte fatale, au milieu d’une haie de soldats. Il est devant Coutinho. L’oeil noir du tyran étincelle d’un feu sinistre. Élevé dans les camps dès sa plus tendre enfance, environné du fracas des armes, habitué au carnage et à la domination, la cruauté lui est familière. Les nombreux replis de son front hâve et sombre trahissent toute la férocité du caractère de Coutinho. La voix de l’humanité n’arrive point jusqu’à lui : l’or, voilà son dieu ; il lui sacrifierait tout..... tout jusqu’à ses enfans ; car le monstre est père, et le Ciel, par un contraste bizarre, voulut donner à cet homme au coeur de roc un fils généreux, humain et brave, et une fille douée de toutes les vertus. Elle est tendre, sensible, compatissante, belle : et Coutinho a pu se résoudre à passer les mers pour chercher des trésors sur des rivages inconnus ! Lui le père d’Inez, le père ! non, il ne le fut jamais ! jamais en la serrant contre son sein il n’a senti une larme de bonheur humecter sa farouche paupière : tout entier à l’égoïsme et à l’ambition, la nature est morte en lui. Si quelquefois il sourit à Inez, c’est lorsqu’au milieu des aventuriers de San-Salvador, elle est l’objet de tous les voeux, c’est lorsque ses talens lui attirent un concert unanime de louanges, c’est lorsqu’elle fascine tous les regards, qu’elle subjugue tous les esprits par ses touchans attraites et par le charme de sa voix. Alors Coutinho jouit du triomphe de sa fille ; mais jamais son ame n’a compris l’ame d’Inez : il ne voit dans la jeune Portugaise que son éclat et sa beauté, et ne considère que comme des vertus communes la douceur de son caractère, sa sensibilité, ses sentimens élevés. Ah ! malheureux est celui qui, jeté au milieu des grandes et des vaines illusions de la terre, n’a jamais connu la vie du coeur !
Cependant Coutinho, entouré de deux moines fanatiques, vils complaisans de tous ses désirs, et de quelques-uns de ses aventuriers portugais qu’il métamorphose quelquefois en juges, et dont les mains sont teintes encore du sang des malheureux sauvages, s’adresse avec hauteur au jeune Brésilien.
« — Esclave, ton nom ?
« — Tyran, je suis Tamandua, fils d’Ombu.
« Homme à cheveux blancs, je hais, toi et ta tribu !
« — Orgueilleux jeune homme, pour parler ainsi, penses tu être au milieu de tes misérable idolâtres ? Sais-tu que je puis t’envoyer au supplice ?
« — Et toi, me prends-tu pour un homme d’Europe ? crois-tu que tes paroles feront trembler un Tupinambas qui, dans le dernier combat, a brisé les os de tes amis ? Coutinho, je suis jeune, mais j’ai déjà fait neuf fois la guerre, et tes Portugais reculent devant ma massue. Ecoute : toi, le chef des méchans, je te hais plus que le Cahètes[13], nos ennemis ; plus que le crocodile[14] du lac[15], plus que le tigre[16] du désert. Si tu ne me tues pas, je viendrai brûler ce fort, je viendrai te faire mon prisonnier. Tu es l'image du génie malfaisant : il faut que la massue tombe sur ta tête. Je dirai à mes enfans, mes enfans diront à leurs enfans : C’est là que le Portugais Coutinho a répandu sur la terre le sang des Tupinambas ; » et tant que les Tupinambas vivront, ton nom doit être haï dans les aldées. Tu ne me verras jamais trembler devant toi ; la chair du fils d’Ombu ne souffre pas, son coeur est un rocher : ordonne, si tu le veux, qu’on torture ma chair, et qu’on m’arrache le coeur, tu verras si je suis une femme : « Tu ne brûles pas, » et à la pierre : « Tu ne coupes pas. »
« — Portugais ! s’écrie le gouverneur, vous le voyez ! ce captif m’insulte. Son orgueil ne fléchit point sous mon autorité légitime ; il ose me menacer, il me brave au milieu de vous ! Il pouvait encore avoir des droits à ma clémence, quoiqu’il ait versé le sang des nôtres ; peut-être, en faveur de son âge, lui aurais-je accordé sa grâce : maintenant qu’il périsse ! que ce nouvel exemple intimide ses compatriotes !
« — Oui, s’écrie le P. Manoël, qui jette là son masque hypocrite de juge pour prendre le rôle d’accusateur ; qu’il périsse ! N’a-t-il, suivi de misérables idolâtres, porté le carnage et la flamme dans les murs de San-Salvador ? Plusieurs fidèles sont tombés sous ses coups. Ce chef est le seul qui ait eu l’audace de franchir ces remparts à la faveur de la nuit ; mais le Seigneur, qui veille sur vous, Portugais, a terrassé l’impie : le Seigneur a voulu se servir de son indigne serviteur pour abattre cet homme sounis au démon. Ah ! sans doute l’ange de la victoire l’a frappé de son glaive de feu, car, à côte de l’église, le blasphémateur qui aurait brûlé l’image de la Vierge a poussé un cri perçant, puis il est tombé à mes pieds, au moment où, pour l’arrêter, je lui présentais le symbole des chrétiens.
« —Robe noire, tu mens ! interrompt Tamandua ; c’est toi qui m’as frappé par derrière. Je dis vrai, robe noire.....tu tenais un poignard.
« — Tais-toi, malheureux, reprend le missionnaire, n’élève plus ta voix sacrilège au milieu de nous : tu nous pénètres d’horreur ; le démon te dicte tes discours : avant peu tu iras rejoindre le démon. Coutinho, soyons sans pitié pour l’idolâtrie ; plantons la croix sainte sur ses autels reversés par nos bras. Que l’impie soit foudroyé !......... C’est nous qui devons être ici organes de la colère de Dieu, c’est nous qui devons frapper et anéantir l’impiété ; point de faiblesse ! Noble gouverneur, le crime de ce sauvage est avéré : prononcez la sentence, j’aurai soin de son ame.
« — Oui, mon frère, dit à son tour le fougueux Fernandez, le second missionnaire, en s’adressant au P. Manoël,frappons impitoyablement ces misérables qui emploient des sortilèges. Lorsqu’il s’agit de la cause du Seigneur, l’indulgence, mon frère, serait un crime ; si les Tupinambas ne veulent point se courber sous le joug de la foi, détruisons-les, hâtons-nous : l’oisiveté est la mère de tous les vices. »
Il dit : les gardes entourent Tamandua condamné à mort unanimenent ; mais Coutinho veut se couvrir du conduisent le chef brésilien dans l’église de San-Salvador. Les gardes s’arrêtent à l’entrée, ferment la porte, et croisent leurs mousquets. On a laissé le jeune cacique seul dans l’église, où il doit attendre le P. Manoël, changé par Coutinho de se rendre près de lui, afin de voir s’il veut, avant de périr, oublier ses devins et se convertir[17]. Le P. Manoël doit préparer á la mort le jeune chef, qu’il vient de condamner ; et la bouche qui proposa froidement un crime va porter à la victime des paroles de paix !
JAKARÉ-OUASSOU
L’amour dans le coeur de l’innocence n’est souvent qu’un sentiment religieux.
L’ame sensible a besoin de prier autant qu’elle a besoin d’aimer.
D’ARLINCOURT.
SEULE, en présence du très-Haut, inclinée sur les marches de l’autel, une femme prie dans le silence. Immobile, on la prendrait pour la statue de la plus belle des saintes, si des pleurs ne coulaient de ses yeux. Sa taille élancée se dessine sous un vêtement noir, qui offre un contraste mélancolique en se mariant à la blancheur de sa peau ; le lis et la rose se nuancent tendrement sur son visage ; son oeil noir et enflammé, que surmonte un long sourcil d’ébène, porte le trouble dans l’ame ; sa chevelure, assemblée en tresses, laisse à découvert un cou d’albâtre, et couronne sa tête de chaînes ondoyantes, retenues par une aiguille d’or, d’où se détache un voile qui descend en flocons de neige jusqu’aux pieds de la vierge.
C’est Inez.
A cette vue, Tamandua s’arrête frappé d’étonnement : la parure européenne que porte l’étrangère le charme autant que l’éclat de sa beauté. « Qu’elle est belle ! se dit-il. »
Née sur les bords enchanteurs du Mondego, la jeune Portugaise y avait passé ses premiers ans au sein du bonheur. L’amour ne tarda pas à lui faire goûter ses charmes enivrans. Mais qu’elles durèrent peu ces douces illusions ! que de larmes amères succédèrent bientôt à des larmes délicieuses ! Le jeune Fernand demanda aux genoux de l’orgueilleux Coutinho la main de son amie : ses voeux furent repoussés ; Fermand n’avait point, hélas ! pour justifier son amour aux yeux du seigneur portugais, d’illustres ancêtres, une grande fortune : son nom, connu de tous les malheureux, béni par la famille indigente, ne parvenait point à l’oreille des rois. Fernand ne rampait point au pied des trònes ; Fernand n’était pas digne de s’élever à cette alliance !
Toujours aimé d’Inez, mais accablé des mépris de Coutinho, qui lui défendit l’entrée de son palais, le jeune Lusitainien, plein d’une généreuse résolution, sûr de la constance d’Inez, voulut être illustre par lui seul : les Indes orientales étaient alors un champ vaste ouvert au courage des Portugais. Fernand s’élança sur les mers, espérant signaler son bras sur le brillant théàtre où les honneurs, la gloire et la richesse étaient le prix de la valeur et la persévérance. Inez, fidèle au guerrier qu’elle aimait, ne fit aucun choix parmi tous les seigneurs qui l’entouraient et lui prodiguaient leurs soins. Enfin, lorsque son père fit voile pour le Brésil, il fallut abandonner un pays où elle attendait le retour de son amant, où elle se flattait de rencontrer le bonheur. Avant de quitter le rivage portugais, une lettre brûlante d’amour et de regrets instruisit le valeureux Fernand, déjà terrible aux souverains des Indes, du fatal voyage de la vierge en Amérique, et lui renouvela cette douce certitude d’être toujours aimé.
Cependant , à quelques pas du sauvage, qu’elle n’avait point a perçu, Inez, le front pâle et voilé de tristesse, adressait à la divinité une prière naïre. Soudain à son esprit se retracent les malheurs des Indiens de cette capitainerie accordée à son père. Son coeur souffre des maux que font souffrir les siens à des hommes leurs semblables, et la jeune fille compatissante s’écrie :
« Dieu juste ! Dieu clément ! jette sur les Brésilien un regard de bonté, qu’ils embrassent ton culte, mais qu’on ne prodigue pas leur sang comme celui des animaux. Fais, ô toi qui peux tout, fais que mes compatriotes connaissent la pitié, que les guerres cessent enfin, et que les infortunés sauvages ne soient plus massacrés par des hommes qui appartiennent à la religion du Christ !
« Les Tupinambas sont ignorans, mais ils ne sont pas coupables. Quel peut être leur crime ? l’amour de la liberté, l’horreur de l’esclavage ? C’est toi qui as mis ces sentimens dans leur coeur. O mon Dieu ! épargne les Tupinambas !
« — Quelle est donc, pense le jeune sauvage, cette femme qui parle de nous ? »
Il s’approche : Inez a jeté un cri d’effroi. Elle croyait que dieu seul entendait sa prière.
« —Femme, dit Tamandua, qui es-tu ? Ta bouche nous plaint.
« — Je suis Inez, je suis la fille de Coutinho.
« —Inez ! Ah ! chez les tiens sans doute ce nom veut dire la plus belle[18] ; mais que je te plains d’être la fille de Coutinho ! Et c’est lui que tu implorais pour les Tupinambas ! Je te remercie ; tu es bonne, mais lui, qui est méchant, ne t’écoutera que pour se rire avec ses amis de tes douces paroles.
« — Jeune sauvage, ce n’est point à mon père que je parlais : c’est á mon Dieu.
« —Ton dieu ! Quel est-il ? quelle est sa puissance ?
« — Mon dieu pourrait te rendre libre, ici, dans ce fort, au milieu de tes ennemis ; mon dieu pourrait t’ôter la vie, te renverser en cet instant où je te parle.
« — Je ne le craindrais pas si j’avais ma massue !
« — Pauvre idolâtre !..... Les hommes ne peuvent rien sur lui ; il peut tout sur les hommes.
« — Et tu le priais pour nous ! Fille d’Europe, tu ne devrais pas être chez les Portugais : tu ne étais digne de naître parmi les Tupinambas. mais.....comme tu es belle !!! Ecoute : ton coeur est bon, si tes yeux ne mentent pas. Et si ta bouche disait la vérité lorsque tu nous plaignais ; tu dois passer ta vie à pleurer ; tu dois gémir de la méchanceté de tes compatriotes. Hé bien, ajoute-t-il, oubliant qu’il est dans les fers, viens avec moi, fuis ces barbares :je te protégerai, je te défendrai.
« — Jeune Tupinambas, que me proposes-tu ? De fuir avec toi dans les bois, d’aller habiter parmi des hommes que je ne connais pas qui haïssent les Portugais ! Et mon père, je ne le reverrais donc j'ais ? Et ma patrie ?.....
« — Ta patrie, ô femme qui n’aimes point, tu devrais la renier ; ton père... ah ! pourquoi faut-il qu’en Europe le tigre enfante la colombe ! Mais ces paroles te font pleurer ! Toi pleurer !..... jamais les cocotiers de la forêt n’ont ombragé rien d’aussi beau que toi ! Oui, tu es belle ; oui, tu es la colombes. Pourquoi rougis-tu ? Peut-être avec moi tu regretterais ta parure d’Europe. Au désert, ton corps serait couvert d’un beau manteau de plumes ; au désert, tu serais libre. Mais tu n’aimes pas.....
« Malheureux ! peut-être il est un moyen de t’échapper ! fuis, hâte-toi, je t’en conjure : Inez ne sera point ton amante ; mais elle veut être ton amie.
« —Tu me pries, et je ne t’obéis pas ! tu m’ordonnes de fuir, et tu me retiens ! depuis quelques momens que je suis près de toi, je t’aime plus que la jeune mère n’aime son nouveau-né. Si je pouvais fuir, je ne fuirais pas seul..... »
En disant ces mots, Tamandua s’avances, les bras étendus, vers Inez : son regard est enflammé ; la vierge fait un geste imposant, le cacique reste immobile ; il éprouve un sentiment qui lui est inconnu : une femme l’a intimidé. Habitué, chez les siens, à ne trouver aucun obstacle à ses désirs, à donner un libre cours à ses passions, le sauvage, qui regarde comme esclave du sien un sexe assez malheureux chez les sauvages, s’étonne d’être vaincu par une jeune fille qui s’offre à lui sans défense ; mais Tamandua n’avait point encore vu chez une femme cette dignité simple, quoique imposante, ce regard fier, cette voix sonore et ces manières nobles qui, aux yeux de l’Indien, font de la vierge portugaise un être étonnant, enchanteur et nouveau.
« — Oh ! dit-il en tombant à genoux, si tu me promettais de me suivre, je te promettrais de m’échapper. Tamandua a dédaigné les filles de vingt caciques, eh bien ! tu seras mon épouse ! tu seras l’épouse d’un Tupinambas. Maintenant, je ne puis plus te quitter : tu es pour moi ce qu’est le ruisseau au chasseur altéré ; ta voix fait battre mon coeur ; tes yeux font trembler tous mes membres. Prés des filles de nos tribus, je ne me sentis jamais tant d’amour ; et cependant elles sont belles les filles des Tupinambas ! Oh si tu m’avais trompé, lorsque ta bouche a dit : je suis la fille de Coutinho ! » Serais-tu l’une des filles du Grand-Esprit ?
« — Insensé ! interrompt Inez, tu parles d’amour, et demain !.....
« — Demain !..... Ah ! j’oubliais que je devrai mourir ! »
Au même instant, la porte de l’église s’ouvre : c’est le P. Manoël. Il jette sur Inez un regard farouche :
« —Fille de Coutinho, est-ce ici votre place ?
« — Père Manoël, je suis à l’autel du Seigneur.
« — Et cet idolâtre ? vous lui parliez ?
« — Le hasard nous a réunis. J’étais venue prier ; les soldats l’ont fait entrer dans le temple.
« — A son approche, il fallait vous éloigner : blanche colombe du Seigneur, le souffle de l’idolâtrie flétrit l’innocence..... Ce sauvage renie vrai Dieu !
« — Cela ne peut être : il ne le connaît pas.
« — Vous prenez sa défense.....
« — Il est malheureux !
« — Il périra !
« — Le sauveur crucifié vous présente ici ses mains ensanglantées : il s’immola pour nous ; ordena-t-il de verser le sang ? Il vous dit : Pardonnez ! » Père Manoël, vous devez le savoir, et cependant le glaive arme votre bras ! Au lieu de frapper ce jeune Brésilien, ouvrez ses yeux à la lumière divine ; instruisez-le, et ne le tuez pas. Songez que le fer donne la mort sans servir le Ciel ; que la clémence fait abjurer l’erreur, et qu’elle seule suffirait pour révéler un Dieu ! pour conquérir le monde, les apôtres se saisirent-ils de l’épée ? Oseriez-vous approcher de l’autel, si vos mains..... Père Manoël, vous êtes un ministre de paix ; vous devez être le médiateur entre le Seigneur et l’homme abusé ; que votre mission sur la terre est admirable ! mais pour en être digne, que la houlette du pasteur n’immole point la brebis égarée ! »
Elle s’éloigne.
Tamandua n’a pû comprendre les paroles d’Inez ; mais lorsque sa voix frappait son oreille, il l’écoutait avec ravissement, dans une immobilité complète, et restait comme suspendu à ses lèvres.
Le missionnaire essaie en vain d’accomplir les ordres de Coutinho, en cherchant à parler de sa religion à l’amoureux sauvage, qui ne veut rien écouter :
« — Laisse-moi, dit-il, que me veux-tu ? N’est-ce pas toi qui as fait sortir Inez ?..... Ramène-là, et je t’écouterai après, si tu le veux. »
Le P. Monoël voit l’inutilité de ses efforts, et cesse de parler à l’Indien, que les soldats reconduisent dans sa prison.
La fille de Coutinho s’est retirée dans ses appartemens. Elle a besoin d’être seule : elle a besoin de pleurer. Un odieux hymen, un hymen qu’elle abhorre, ne peut tarder à s’accomplir. Grand Dieu ! il faut donc l’oublier à jamais ce Fernand, l’objet de tant d’amour ! Oui, l’oublier ! et pour qui !!
Que de victimes l’orgueil a faites sur la terre !
De son côté, le jeune Brésilien gémit au sein de sa prison :
« —Hélas ! dit-il, j’ai donc offensé les Esprits ; les hommes n’avaient jamais résisté à ma flèche ou à ma massue, et mon arc a été brisé ; et ma massue ! ce sont des Portugais qui me l’ont enlevée ! Ils ont lié mes mains ; mes mains ont-elles perdu leur force ? Pourquoi n’ai-je point encore brisé leurs chaînes ? Et cette femme !..... quel pouvoir elle a sur moi ! O mon ami, ô Jakaré, où donc es-tu ? C’est demain que mon sang sera répandu par de lâches guerriers, et nous nous étions cependant promis que nous ne péririons pas l’un sans l’autre. »
En achevant ces paroles, sa tête retombe tristement sur son sein.
JAKARÉ-OUASSOU.
Amitié ! fruit délicieux que le ciel a permis à la
Terre de produire pour faire le charme de la vie, le nectar
Que l’abeille exprime des fleurs est moins doux que toi.
Young.
Au milieu d’une forêt, à quelque lieues de San-Salvador, est la principal aldée des Tupinambas.
Les sages, les devins, les guerriers, les jeunes filles et les matrones de Cotiva se ressemblent sous les palmiers : un Tupinambás vient de naître[19] ; Acarapep-le-Nageur en est le père ; il a pour mère Nassoua aux petites mains.
« — C’est un guerrier ! s’écrient lesl sauvages. »
« – Oui, un guerrier! reprend le père. » Et sur le berceau formé de la liane odoriférante, fier de son nouveau-né, Acarapep place un couteau de pierre, un arc et des flèches. Un jeune églantier est planté par la famille apures du berceau. Les fils du nageur, auquel on a donné le nom d’Oropacum, l’arc et la corde, doit grandir avec cet arbre.
Le jeune amant regarde sa maîtresse et sent battre son coeur, tandis que le vieillard, en contemplant le fils d’Acarapep, embrasse plus tendrement les siens.
Appuyée contre un manglier, une Indienne pleura à l’écart. La malheureuse est stérile[20].
« – Il sera brave. Je lui apprendrai à manier la massue, à tuer l’homme ennemi, à vaincre le jaguar, et à affronter le crocodile dans les eaux du fleuve. »
Un chasseur : « – Il sera adroit. Je lui apprendrai à bander l’arc, à lasser le dais à la course, et à tendre des filets. »
Le grand-père : — « Il sera sage, il respectera son père, car son père a respecte mes cheveux blancs. »
Une jeune fille : « – Il sera beau ….. »
Tous : « – Il saura se venger ! »
A ces mots, le piaye agite le maraca, et, au son de cet instrument, les dans ses se forment. Là, c’est une scène de victoire : les sauvages feignent qu’une fille de leur tribu vient d’être enlevée par une tribu ennemie ; la jeune fille est ramenée en triomphe au milieu des masques qui se heurtent. Ici, c’est une scène de défaite : un Tupinambas succombe sous les coups de vingt adversaires, et en mourant il insulte à ses ennemis. Plus loin, on voit des Indiennes, les bras entrelacés, former un ovale gracieux ; elles se balancent mollement, et imitent la marche et le mouvement d’une pirogue. Aux danses succèdent les chants.
« – Nous sommes les braves ; nous sommes les enfants de Tupan, c’est le tonnerre. Nous avons vaincu tous nos ennemis ; les Cahètes nous avaient déclaré la guerre : la moitié des Cahètes ne sont plus ! Nous devins connaissent tout, nos femmes sont les plus belles, nos vieillards les plus sages, et nos guerriers les plus courageux, car :
« Nous sommes les braves ; nous sommes les enfants de Tupan : Tupan, c’est tonnerre.
« Et si les Portugais sont un moment les plus fort, si Tamandua est encore un de leurs prisonniers, s’ils ont fait mourir Caramourou, qui nous aimait et qui haïssait les méchans, c’est que les génie du mal sont contre nous. »
Un vieillard : « – Honte aux Européens ! Chez eux, lorsqu’un vieillard souffrant et mourant de faim se présente à la porte de leurs grandes cases, ils lui crient, de la table des festins : « Retire-toi ! » et ils le chassent, sans pitié pour ses cheveux blancs !
« Honte aux Européens ! »
Une femme : « — Plaignons les Européens ! Paragouaçou dit qu’à ces infortunés le soleil se montre moins éclatant et moins beau ; un génie du mal, qu’on appelle l’Hiver, l’obscurcit de ses ailes noires : ils se combattent et se chassent tour à tour.
« Un autre génie du mal, appelé le Froid, vient enchaîner les membres des hommes d’Europe. Qu’ils sont malheureux ! il arrive un temps où ils voient tomber toutes les feuilles de leurs arbres !
« Plaignons les Européens ! »
Un guerrier : « — Périssent les Européens ! les lâches ne combattent point avec la massue ; c’est de loin qu’ils envoient la mort à l’ennemi. Jamais le corps d’un Tupinambas ; ils nous brûlent avec le feu qu’ils ont à Tupan.
« Il n’y a que nous de vraiment braves. Le brave se rit du danger. Si un Tupinambas devient le prisonnier d’un Portugais, le Tupinambas dit : c’est le hasard de la vie ! Suis-je une femme, moi, pour craindre la mort ? Non, la mort est l’amie du vaillant elle le berce et l’endort dans ses bras. » O Portugais ! peut-être, comme nous, vous savez vaincre ; mais, comme nous, savez-vous mourir ?
« Périssent les Européens ! »
« — Périssent les Européens ! » répond une voix sortie de la forêt avec l’éclat du tonnerre.
C’est Jakaré, le Grand-Crocodile, qui a poussé ce cri, Jakaré, l’ami de Tamandua. Il revient à Cotiva avec ses trente guerriers. Une immense tacape arme ses mains ; un bouclier de coton piqué avec art est fixé à son bras robuste : c’est là que viennent s’amortir les flèches ennemies. Sur les cheveux noirs et lisses du chef s’élève une coiffure bizarre faite des plus belles plumes du perroquet et des guaras. Le corps du sauvage autour duquel se noue l’inis, ou le hamac du voyage, est peint avec le génipaba et le rocou ; le catua, teinture rouge, décore une partie de son mâle visage ; quelques touffes de plumes jaunes et bleues pendent à ses oreilles ; une pierre de jade vert[*] traverse sa lèvre inférieure. A ces ornemens du Tupinambas, se joint encore un collier où plusieurs dents d’ennemis se mêlent à des coquillages, et qui tombe à double rangs sur sa poitrine large et cuivrée. Le lacet de coton tordu qui serre les reins du guerrier voyageur soutient une énorme courge remplie de la liqueur que donne le manioc[21].
Cependant à l’aspect de Jakaré, que ses parens ont appelé le Grand-Crocodile, et que les guerriers ont surnommé le Fort, tout s’émeut, tout s’agite. On l’entoure, on le presse ; vingt bouches l’interrogent à la fois ; mais les vieillards ont parlé : on se tait. Le calme se rétablit. Ombu, le sage de l’aldée, Ombu, le père de tamandua, s’avance vers le chef brésilien :
« — Vaillant Jakaré, dit-il, les vieillards écoutent : parle. Que pouvons-nous espérer de nos voisins ? »
Jakaré dit : « Je vais parler. Sage Ombu, nos voisins viendront à notre aide, ils viendront avec l’arc et la massue.
« — O Grand-Crocodile, s’écrie le vieillard, voilà qui est bien : nous te remercions. »
Jakaré reprend : « — J’entrai dans l’aldée de nos amis au premier chant de l’oiseau. Le cacique Jacoupéma-le-Faisan vint me recevoir, suivi des anciens et des guerriers de la nation ; alors j’ai dit ces paroles : « Sage Jacoupéma, voici cinquante peaux de tigre, cent peaux de chevreuil, un hamac, de la boisson, des plumes de perroquet et des gorges de toucan. » Et l’homme aux cheveux blancs a répondu : « Écoute, ô toi le Grand-Crocodile, qui es l’envoyé des tiens : j’acceptes peaux, ton hamac, ta boisson et tes plumes, parce que toi et les tiens vous n’avez jamais mangé les miens. Tamoyos, déchargez les ápaules des hommes tupinambas ; prenez les peaux, le hamac, la boisson et les plumes. Dis nous, Jakaré, ce que veulent les anciens de ta tribu : veulent-ils des secours contre les tyrans ? » Alors, moi, qui aimais déjà ce bon vieillard, j’ai répondu : « Oui, les anciens veulent des secours contre les tyrans. » Et Jacoupéma a dit : « Compte sur nos guerriers ; encore dix soleils, et ils arriveront à votre grand village. N’oublie pas, à ton retour chez les Tupinambas, de laisser des marques sur le tronc des arbres, afin que les Tamoyos[22] prennent le chemin le plus court. Mais, dis-moi, cet étranger que le Grand-Esprit vous avait envoyé pour votre bonheur, et qui vous a enseigné des choses si utiles, Caramourou, l’homme de feu, ne s’est donc pas opposé à la barbarie de ses compatriotes, ou bien était-il d’accord avec eux pour vous tromper et pour vous faire esclaves ? » J’ai dit : « Vieillard, tu ne connais pas notre ami : c’est pour avoir voulu nous défendre qu’ils l’ont tué, les Portugais : oui, notre ami est mort ! O Tamoyos, vengeance ! vengeance !
« Jacoupéma a dit encore : J’ai accepté tes présens : accepte aussi mon présent : prends cet arc dont le bois ne rompt jamais ; les jeunes filles de la tribu ont tressé la corde de ton arc. » J’ai répondu : « JAKARÉ-OUASSOU ne se sert pas d’arc : lorsqu’il jouait encore avec les enfans, un chasseur voulut montrer à Jakaré à lancer la flèche sur les daims, mais la flèche se brisait entre ses doigts, sur la corde de son arc. Voici mon arme ; c’est une tacape dont le bois ne rompt jamais. Cependant te remercie, vieillard, et je donnerai l’arc des Tamoyos à l’un de nos plus braves chefs, au fils du sage Ombu, à Tamandua : il est mon ami. »
« — Tamandua !... interrompt le vieil Ombu, Grand-Esprit ! » Et il allait faire connaître à Jakaré ça sort du jeune Tupinambas ; mais il renferme aussitôt sa douleur ; il dévore ses larmes, car il sait que l’ami de son fils voudra voler, sans nul retard, au secours du prisonnier de San-Salvador. Il ne peut douter que, déjà fatigué par une longue marche, le courageux Jakaré ne succombe..... Ce serait une victime de plus. Il veut dans un autre moment dire son malheur au bouillant cacique, et mûrir avec lui les projets de délivrance ; par le silence le plus profond, ce cri échappé à l’ame d’un père. A travers son calme apparent perce son agitation intérieur ; d’un coup d’oeil rapide Jakaré a tout vu, tout compris, tout su : l’amitié n’a pas besoin g’yeux pour voir, d’oreilles pour entendre..... Il lui suffit d’un coeur pour sentir.
Le front ridé par la colère, Jakaré s’écrie :
« — Ombu ! ton fils est tombé au pouvoir des Portugais. Crois-tu me tromper par ton silence ? Crois-tu que je ne pensais pas déjà à ce qui pouvait être arrivé ? Et vous, ô vieillards, croyez-vous qu’en vous parlant Jakaré était tranquille ? Non : je souffrais plus que ne fait souffrir un mauvais songe, la nuit, dans la cabane. Quoi ! après vingt soleils d’absence, Tamandua n’accourt point se jeter dans mes bras ! Sa flèche ne frappe pas les arbres de la forêt pour m’annoncer de loin qu’il vient à ma rencontre ! Je me disais, en voyant que les vents ne m’apportaient point sa voix si douce à mon oreille : Ou mon ami est mort, ou mon ami est enchaîné. O Tupinambas ! pourquoi m’avez-vous chargé d’aller renouveler l’alliance chez les Tamoyos ? Ma tacape eût écrasé l’homme qui a menacé la tête de Tamandua ;j’aurais eu plus de force alors : j’aurais frappé pour lui : mon ami écouterait encore les leçons des anciens. Mais où sont les lâches qui le suivaient au combat ? Où sont-ils ? Honte à ces hommes de la tribu : ils n’ont pas su défendre leur chef ; ils dorment tranquilles dans les hamacs de l’aldée, et ils n’ont plus leur cacique : ce sont des femmes..... ce sont des Portugais !!! »
Dans ces derniers mots de Jakaré, que d’intérêts attaqués, que de coeurs froissés ! Ils excitent parmi les Tupinambas un murmure général, et des cris se font entendre. Tous regardent Jakaré avec des regards courroucés.
Un guerrier s’est avancé vers l’ami de Tamandua.
« Jakaré, dit-il, nous respectons ta douleur, pourquoi ne respectes-tu pas la nôtre ? N’injurie point ceux qui ne peuvent te répondre. Jakaré ! tu les appelais Portugais, et ils sont tous morts en combattant ! Ils dorment, non pas dans les hamacs, à côté de leurs femmes, mais avec leurs père, du sommeil des braves. Ils n’ont pu sauver Tamandua, qui avait porté la massue jusque dans les retranchemens européens ; les tonnerres ont brûlé les guerriers de ton ami ; un seul d’entre eux est venu affliger nos coeurs par cette nouvelle. Il a vu Tamandua qu’on enchaînait. Comme ils étaient joyeux d’avoir un cacique vivant ! Tamandua avait été frappé par derrière. Celui qui nous a dit cela a bien montré qu’il était Tupinambas, car il mourut avant qu’un soleil s’achevât : deux tonnerres l’avaient atteint. Jakaré, tu n’as pas été sage : tu as fais de la peine aux pères, aux femmes, aux enfans et aux amis des guerriers qu’avait commandés Tamandua. »
Jakaré répond : « — Guerrier, j’ai eu tort. »
Puis, se tournant vers Ombu :
« — Vieillard, je te le promets, tu reverras Tamandua.
« — Eh quoi ! encore tout couvert de sueur et de poussière, tu voudrais aller au fort ! Songes-tu que les portugais ont toujours un grand nombre de sentinelles, et que sur leurs remparts la mort ne dort jamais ?
« — Vieillard, tu reverras Tamandua !
« — Tu périras !
« — Je périrai peut-être, vieillard, mais tu reverras tamandua ! »
Alors, le devin s’approche de Jakaré, en agitant le maraca :
« — Guerrier, dit-il, je viens de converser avec les esprits : tant que le soleil ne sera pas tombé au fond de la mer, où il devient noir comme un charbon éteint dans l’eau, tu ne dois pas combattre, tu ne dois rien entreprendre. Tu entends que ce sont les esprits qui ont dit cela ? Va te reposer avec tes trente guerriers, et, au premier vol de la chauve souris, lorsque le fort fera entendre son tonnerre du soir, tu viendras à la Grande-Case avec ceux que tu auras choisis pour t’accompagner ; je te donnerai des conseils, et, avec le secours du Génie du bien, tu pourras peut-être délivrer ton ami. »
Jakaré a fait un d’obéissance ; le piaye regarde Ombu avec orgueil, et cherche á déguiser par une gravité feinte la joie qu’il éprouve d’avoir pu vaincre seul l’imprudente mais généreuse résolution de Jakaré. O pouvoir de l’ignorance et du fanatisme ! tu sais triompher même de l’amitié unie à la valeur !
Le chef indien, qui ne rend point à la voix de la sagesse, cède au charlatanisme d’un sauvage un peu moins ignorant que lui ; le piaye l’a séduit par un air d’inspiration. Ah ! le sort de l’homme est-il donc, ici-bas, d’être toujours trompé, d’être toujours en butte au mensonge et à la fourberie ?
[*] Voyez Hans Stade, le premier qui ait écrit quelques détails sur Brésil. Il avait été prisonnier pendant long-temps chez les Tupinambas.
JAKARÉ-OUASSOU.
C’est elle que je perds !
Mad. Amable Tastu
Jakaré et ses compagnons se sont retirés dans leurs cabanes ; ces derniers se livrent au repos, mais Jakaré, en proie à l’inquiétude, à la douleur, se refuse au sommeil : il attend avec impatience le moment de voler au secours du prisonnier. Oh ! s’il savait que c’est demain que Tamandua doit tomber sous le fer de l’étranger ! s’il savait que Coutinho a fixé ce jour pour la mort de son ami ! Comme il s’élancerait afin de sauver le chef ou de périr avec lui ! cependant il semble qu’un pressentiment l’agite : des images cruelles viennent en foule l’assaillir ; il croit voir le glaive des Portugais prêt à immoler Tamandua..... Soudain Jakaré, saisissant sa massue, frappe autour de lui ; ses dents s’entrechoquent avec violence : déjà il croit fouler des cadavres ennemis ; mais sa massue n’est point ensanglantée. L’Indien retombe dans son abattement.
Cependant le soleil a quitté l’horizon. Sur le fort portugais le tonnerre a résonné : Jakaré tressaille d’alégresse ; il se hâte de prendre sa massue, son bouclier, et se rend à la Grande-Case, suivi de fidèles compagnons. Alors, au son du maraca, des danses lentes et mystérieuses s’exécutent dans le silence de la cabane ; les danses achevées, les Tupinambas reçoivent, par un long cornet que tient le jongleur, la fumée du pétun, qui exhalte leur imagination. C’est ainsi que le piaye souffle aux guerriers l’esprit du courage[23]. Pour inspirer plus de terreur à l’ennemi, ils défigurent leurs traits, et se peignent le visage de différentes couleurs ; Jakaré surtout donne à sa figure une expression terrible, et, bouillant d’impatience, il quitte la case, l’aldée et la forêt.
Il côtoie les bords de la mer.
Il est déjà près de San-Salvador.
Tout-à-coup l’atmosphère s’épaissit, les éclairs sillonnent la nue ; l’hôte harmonieux des bois se cache sous la branche, et le terrible jaguar regagne en hurlant sa tanière. La foudre gronde au loin sur le golfe de Bahia, où les flots, accumulés en montagnes menaçantes, se heurtent et mugissent.
Jakaré continue sa marche entre les rochers et les arbres qui bordent le rivage ; il n’a qu’une pensée, cette pensée n’a qu’un but : il faut sauver tamandua. Il le sauvera : comment ? il l’ignore, mais il le sauvera. Plus il approche du fort. Plus il sent redoubler son courage et son espoir. Soudain il aperçoit, à la lueur d’un éclair, un léger esquif qui battu par la tempête, cherche à rentrer dans le fort. Jakaré reste un moment pensif ; avec cette embarcation, il pourrait s’introduire dans la citadelle portugaise. Comment parvenir à s’en rendre maître ? Non seulement elle est éloignée de la côte, mais encore des Européens armés la dirigent.
Un des guerriers qui accompagnent le chef américain quitte ses compagnons, et s’avance vers Jakaré, car il a compris sa pensée :
« — Jakaré, veux-tu que je t’amène cette pirogue ?
« — Quoi ! c’est toi, Acarapep ?
« — Crois-tu que je t’aurais laissé partir sans moi ? J’ai pensé : Jakaré traversera peut-être les eaux, et je ne serai pas à côté de lui ! Ne suis-je donc plus le Nageur ? J’ai fui les embrassemens de mon épouse et les caresses de mon jeune fils, afin de partager le danger d’un homme vaillant. Je viens te servir ; parle : mes bras me porteront aussi loin que ton oeil pourra me voir.
« — Brave compagnon, tu peux m’assurer un moyen de délivrer mon ami : vois-tu cette pirogue que des Portugais inhabiles conduisent ? il faut me l’amener. Je ne suis point un grand nageur comme toi ; je ne ferais pas ce que tu peux faire. »
Acarapep s’élance aussi tôt dans la mer, ses bras vigoureux l’éloignent du rivage ; il agit de ruse, se glisse entre deux eaux, et nage ainsi jusque vers les Portugais. Sortant alors précipitamment de l’onde, il monte dans l’embarcation, et, plus rapide que la foudre qui éclaire alors le visage des trois Européens, l’intrépide nageur jette l’un après l’autre dans les flots les marins pris pris à l’improviste, qui frappés de terreur, croient être le jouet d’une puissance surnaturelle. Acarapep, maître de l’esquif, et se riant des portugais qui se débattent dans les eaux, rame avec habileté, et reparaît aux yeux de ses compagnons, au moment où l’orage, qui s’est calmé peu à peu, cesse tout-à-fait.
« — Acarapep, dit Jakaré, tu es vraiment le Nageur. Écoute : tu as fait une chose difficile, j’ai des prisonniers qui seront bientôt tués : au prochain massacre, tu porteras le coup d’honneur[24] . »
Jakaré entre avec la moitié de ses guerriers dans la pirogue dont le nageur vient de s’emparer si adroitement. Les Tupinambas, ne doutant pas que les européens ne laissent entrer sans crainte cet esquif qui leur appartient, et que Coutinho avait envoyé pour explorer une partie de la côte qu’il ne connaissait qu’imparfaitement, rament droit au fort, où quelques Portugais ouvrent, sans défiance et dans l’obscurité, l’écluse de la citadelle à la pirogue d’exploration.
Les soldats du gouverneur, précipités de leur embarcation par un bras aussi déterminé que celui d’Acarapep, croient échapper à la mort en abordant au rivage de Bahia ; mais au sortir du gouffre où ils se sont vus un moment près d’être engloutis, ils tombent entre les mains des guerriers, qui n’ont pu suivre leur chef. Celui-ci est dans l’ivresse ; il ne saurait contenir sa joie, et il se dit : « Tremblez, Portugais ! les braves sont ici ! »
Jakaré, que les ténèbres protègent, se glisse le long des murs avec ses compagnons, qui observent le plus profond silence. Ils ne sont rencontrés par aucun soldat : tout semble livré au repos ; mais ils ne savent où diriger leurs pas. En quel lieu est Tamandua ? ils l’ignorent. Tout à coup Jakaré entend une voix :
« — Camarade, dit une sentinelle, où vas-tu donc à cette heure ?
« — Porter la nourriture du prisonnier, répond une autre voix. Ce misérable sauvage, Tamandua, il me donne bien du mal : lorsque je vais prés de lui, il a toujours à me répéter une foule de ces phrases de Tupinambas que je ne comprends pas ; il m’appelle un Génie du mal ; il ne veut point de notre nourriture ; il demande du manioc, et d’autres choses dont lui seul sait le nom ; je crois bien qu’il me parle aussi quelquefois du plaisir qu’il aurait à me manger. Mais tu ne pensais pas que c’est la fille du gouverneur qui l’occupe le plus. Je ne comprends point où il a pu la voir. Il dit qu’elle est belle, qu’elle est son amie, et qu’il veut l’emmener avec lui à Cotiva, dans la case du vieil Ombu, son père.
« — Je voudrais être à ta place, afin d’entendre le langage barbare de ce Tamandua, auquel tu portes, je pense, le dernier repas.
« — Oui, c’est le dernier ; car.....
« — Tu mens ! » s’écrie Jakaré, ne pouvant plus contenir sa rage ; et, d’un coup de massue, il fracasse le crâne de l’imprudent aventurier. Il sait maintenant où est Tamandua, car le Portugais qu’il vient de tuer avait montré plusieurs fois de la main la prison du fils d’Ombu ; il sait où trouver son ami : que lui importe d’être découvert ? Jakaré veut immoler l’autre soldat ; mais celui-ci évite le coup, fuit, et donne le signal d’alarme. Au même instant, presque tous les Lusitaniens accourent ; les compagnons de Jakaré mordent la poussière ; mais rien ne peut arrêter le chef de Cotiva : il s’élance à la prison de son ami, brise toutes les portes qui lui ferment le passage, renverse les soldats portugias, et, haletant, blessé par plusieurs balles, il arrive en poussant des cris de joie jusque dans les bras du prisonnier.
« Jakaré ! tamandua ! » sont les seuls mots qu’ils peuvent se dire.
Revenu de son émotion : « — entends-tu le bruit de leurs tonnerres ? dit Tamandua. Hélas ! ils vont te combattre encore, et je ne pourrai t’aider à les tuer !......
« — Rassure-toi. Hâtons-nous de fuir ! Déjà les braves qui m’ont suivi ont été accablés par le nombre !..... »
Il entraîne précipitamment le jeune cacique ; mais l’entrée par laquelle Jakaré est arrivé est remplie par les satellites du gouverneur ; les Indiens ne peuvent s’échapper que par cette issue : ils parviennent néanmoins, en brisant plusieurs portes, à s’enfoncer dans de longs corridors éclairés par des flambeaux. Cependant nul moyen de salut..... Jakaré marche le premier. Une femme éperdue, saisie de terreur, frappe ses regards : c’est Inez, qui, troublée par le tumulte qu’elle entend, voulait se rendre vers son père. En la voyant, Tamandua. Sent battre son coeur avec violence ; mais Jakaré ne voit qu’un ennemi, il lève sa redoutable massue sur la tête d’Inez : il va frapper.....
« — Arrête !s’écrie Tamandua, ton ami t’en conjure ! » Puis, s’adressant à la vierge : — « Je viens de te sauver la vie : voudrais-tu donc me faire mourir, en refusant de fuir avec moi ? »
La vierge se tait, et cherche à s’éloigner ; l’horrible visage de Jakaré l’a fait frémir.
« — Fille d’Europe, s’écrie Tamandua, tu es aussi barbare que les tiens ! Tu ne connais pas la pitié ! Jamais Tamandua n’implora un ennemi : « eh bien ! je t’en supplie, écoute-moi..... »
Mais Jakaré ne laisse point achever son ami ; malgré sa résistance, il l’arrache au danger. Il le saisit dans ses bras ; chargé de ce fardeau, il remonte précipitamment. Une idée frappe soudain son esprit ; un seul moyen lui reste pour échapper à la mort ; dans le corridor, près de la prison de cacique, se trouve une étroite fenêtre qui donne sur la mer : un coup de massue en fait sauter les épais barreaux ; Jakaré pousse Tamandua, et le précipite dans le golfe où il se jette après lui. Les deux Indiens, que les Portugais ont aperçus sur les flots, à la clarté de la lune, et sur lesquels ils font un feu continuel, ne peuvent gagner la côte des Tupinambas avec rapidité ; les bras de tamandua sont encore enchaînés : son ami l’aide d’une main à se soutenir, et nage de l’autre. Les balles sifflent autour de leur tête. Jakaré en est atteint ; son sang rougit l’onde amère, et aucune plainte ne sort de sa bouche ; il craint trop d’attrister celui qu’il aime ; son visage est riant ; il anime et encourage son ami. Cependant les deux guerriers touchent au rivage, où ils se reposent un moment. Jakaré, après avoir brisé enfin les fers de Tamandua, arrête son sang qui s’échappe avec abondance : il applique sur ses blessures des feuilles vertes et fraîches.
Tamandua et Jakaré marchent ensuite vers l’aldée. « Jakaré, dit Tamandua, tu es mon ami ! Je t’aime ! Que tu es vaillant ! tu n’as pas craint tous les hommes du fort ; tu es venu sauver ton ami.
« — J’ai fait pour toi ce que tu aurais fait pour moi : je t’aime aussi. Mais dis-moi, pourquoi donc as-tu retenu ma tacape qui allait frapper une ennemie ?
« — Ah ! tu ne sais pas quel mal tu m’aurais fait ! Cette femme, je l’aime : elle est belle ; tes yeux, ô Jakaré, n’ont jamais rien vu de si beau. »
En parlant ainsi, ils approchent de Cotiva ; ils y arrivent au lever de l’aurore. De toutes parts on accourt au devant d’eux ; toutes les cases sont désertes ; on se presse à l’envi sur les pas des deux guerriers. Ombu, le vieil Ombu, perce la foule ; oh ! qu’il verse de douces larmes, lorsqu’il presse contre son sein Tamandua, son fils qu’il avait cru perdu pour sa vieillesse, et le libérateur de ce fils bien aimé.
Les jeunes filles marchent devant Tamandua, et jettent des fleurs sur passage. L’une de ces jeunes filles pousse des cris de joie ; c’est la plus belle, c’est Moëma, c’est l’amante de Tamandua.
Les amis de Jakaré l’entraînent : ils le voient couvert de sang : et sur les blessures du chef indien, les matrones expriment le jus des herbes et des plantes salutaires dont la vertu est connue à Cotiva.
Tamandua se retire dans sa case : Moëma l’accompagne : elle veut savoir si elle est toujours aimée : elle a remarqué sur le visage de son amant une teinte de tristesse. Elle s’approche de lui :
« — Beau Tamandua, je t’aime toujours : si savais comme j’ ai pleuré lorsque tu étais enfermé dans ces grandes cases des méchans !.....
« — Pauvre Moëma, si bonne, si douce, je ne veux point te tromper : Tamandua aime une fille d’Europe.....
« — Tu aimes une fille d’Europe, Tamandua ! Mais ne m’avais-tu pas dit : « Quand j’airai fait passer toutes mes flèches dans le coeur des Portugais, je dirai à ton père : Je suis brave, j’ai tué beaucoup d’hommes d’Europe ; ta fille me plaît, elle est belle (car tu m’as dit souvent que j’étais belle) ; voici des présens : donne-moi ta fille, et nos amis bâtiront en chantant la case de Moëma et de son ami. Je serai le grand arbre de la forêt : elle sera la liane odoriférante qui s’entrelacera au grand arbre ; les vents la balanceront autour de moi, mais ils ne l’en sépareront jamais ? » Tu m’as dit tout cela : eh bien ! demande-moi à mon père[25].
« — Hélas, j’aime une fille d’Europe.
« — Que diront mes rivales, en voyant que mon guerrier m’abandonne, moi qui l’aime tant ? Comme elles seront joyeuses ! Je leur avais dit : « Je sais plaire : retirez-vous dans votre case, Tamandua a choisi sa colombe ; retirez-vous, la bouche du chef qui m’aime ne sourira point pour vous. Allez, pleurez sur le sein de vos mères. » Maintenant elles me diront : « La colombe est seule dans son nid ; c’est à elle de pleurer : réjouissons-nous. » »
« — Écoute, Moëma, tu es la plus belle des filles des Tupinambas ; tu es l’Inez de la tribu, mais j’ai vu l’Inez des Européens.
« — Oh ! je t’en supplie, prends-moi pour ton épouse. Vois-tu l’oiseau abandonner son nid après l’avoir habité avec celle qui répondit à ses chants d’amour ? La Portugaise n’est pas aussi belle que moi ; cette femme doit être méchante comme ses amis. Oh ! demande-moi à mon père; je ferai tout pour toi; je travaillerai à la terre, je planterai le manioc, je préparerai ta boisson, j’irai dans les bois, après ta chasse, pour rapporter les chevreuils que tes flèches auront percés ; je peindrai ton corps lorsque tu me diras : Femme, je vais à la guerre. » Je te ferai de belles coiffures de plumes et de beaux manteaux de plumes. Je ne laisserai pas nos enfans seuls dans la case, de peur que quelque méchant serpent ne vienne les manger. Tous les matins j’irai me regarder dans la fontaine du grand bananier ; et s’il arrive un jour que je ne sois plus belle, je pleurerai dans la fontaine du grand bananier m’a dit que je ne pouvais plus te plaire : voici la moitié de nos enfans ; Moëma n’est plus assez belle pour toi. » Mais non, je ne veux point vieillir, parce que je t’aime ; je serai toujours belle. Oh ! demande-moi à mon père !
« — Moëma, pleure, tu ne seras pas mon épouse ; tu réjouiras la vue des hommes ; moi, j’aimerai toujours la fille d’Europe. »
Le calme se rétablit à San-Salvador. Les aventuriers sont forcés d’admirer l’audace de l’ami de Tamandua ; et les cadavres qui gisent le long des murs n’attestent que trop la force de son bras.
JAKARÉ-OUASSOU.
Ils n’avaient point inventé, comme les peuples qui
se glorifient de leur civilisation, des prisons où l’on languit pendant des années entières, des pontons obscurs et empestés, où l’on respire tout à la fois l’horreur de la captivité et le désir de la mort.….. Le prisonnier voué au supplice jouissait jusqu’à
son dernier jour des plaisirs de la vie ; on n’en voulait qu’à son existence; on était loin de souhaiter qu’il l’abandonnât au milieu des souffrances.(Résumé de l’Histoire du Brésil et de la Guyane,
Par Ferdinand Denis.)Les femmes ont préparé la liqueur de la fête, les vases de terrer rouge, et tressé la mussurana, longue corde qui doit lier la victime ; les principaux chefs ont enduit leur corps de gomme, et orné leur tête des plumes de l’ara et du perroquet. Tout s’agite dans l’aldée ; des cris féroces s’échappent de toutes les cases.
C’est le jour du massacre.
Deux prisonniers vont périr ; l’un appartient à une tribu ennemie : c’est un guerrier Cahète ; l’autre est un soldat de Coutinho : tous deux sont à Jakaré. Depuis long-temps il brûlait de verser leur sang, mais sa mission au grand village des Tamoyos avait suspendu sa vengeance.
Les captifs sont renfermés dans une cabane, gardée par plusieurs Tupinambas ; on leur a donné à chacun une fille distinguée par ses attraits, pour embellir leurs derniers momens. Ils peuvent jouir de tous les plaisirs connus des Indiens. Chez les peuples civilisés, son fait souffrir au prisonnier tout ce que la cruauté peut avoir de plus horrible : on le plonge vivant au fond d’un cachot humide et infect ; là, chaque instant a son supplice, la torture habite les sombres pontons. Chez les Européens, le prisonnier meurt désespéré ; chez les sauvages, on le tue et on le mange.
Les sauvages sont beaucoup plus humains que les peuples civilisés.
Jakaré et Tamandua se redent sur la place du massacre. Là sont assemblés le devin et les vieillards, les guerriers, les femmes et les enfans. Les chefs décorent de touffes de plumes la liwara-pemme, massue de la mort, autour de laquelle on a dansé et chanté pendant plusieurs heures. Fier de porter le coup d’honneur, Acarapep ne peut contenir son impatience, et bondit de joie.
Cependant l’une des victimes s’avance : c’est le sauvage cahète. Sa démarche est assurée ; rien sur ses traits farouches n’annonce qu’il va mourir. Tandis que les hommes le lient avec la mussurana, les femmes chantent.
— « C’est nous qui tenons l’oiseau par le cou ; si tu avais été un perroquet pillant nos campagnes, tu te serais envolé. »
Les Tupinambas saisissent la mussurana, promènent le captif en triomphe, et poussent des cris de joie. Le Cahète, sans manifester aucune crainte, laisse tomber sur les spectateurs un regard dédaigneux.
— « Je suis brave, dit-il, je me ris de la mort : la mort n’est rien pour un Cahète ; je l’ai vue bien souvent au milieu des combats : elle ne m’a pas fait reculer. J’ai été trois fois à la guerre contre vous ; vous êtes des femmes. Vous avez fui devant nous comme les petits du chevreuil. Quant il faut marcher au combat, vous allez comme la tortue ; lorsque nos pieds foulent la feuille sèche du désert, vous vous cachez dans les grandes herbes, plus vite que la grenouille. Vous êtes les esclaves des portugais ; ils vous feront travailler pour eux comme des fourmis. »
Un Tupinambas interrompt le Cahète.
— « Regarde le soleil ! c’est pour la dernière fois.
— « Il y a long-temps que ton frère ne le voit plus : je l’ai percé de ma flèche. »
Puis se tournant tour à tour vers chacun des sauvages :
— « Vieillard, j’ai mangé ton fils ; jeune homme, j’ai tué ton père ; femme, tu peux prendre un autre époux, car le tien est tombé sous ma massue : j’ai rompu ses os comme des branches mortes. »
On allume devant le prisonnier le feu sur lequel ses membres seront étendus ; il sourit ironiquement. Une femme présente au vieil Ombu la liwara-pemme ; Ombu, après l’avoir maniée avec les gestes et la cérémonie d’usage, la remet à Acarapep. Le Nageur dit au cahète :
« — Avant de recevoir le coup de la mort, venge-toi. » Alors l’Indien, auquel on a laissé les mains libres, mais que la corde retient par le milieu du corps, écumant de rage, lance des pierres, de la terre et tout ce qu’il peut saisir, contre ceux qui l’entourent.
Lorsque, épuisé de fatigue, il prend un moment de repos, Acarapep s’approche, et dit :
« — Tu as avoué que tu avais tué et mangé des nôtres : tu ne vaux rien, tu dois mourir ; tu mourras !
« — J’ai dit vrai : rends-moi la liberté, et je te mangerai, toi et les tiens !
« — Eh bien ! je vais te prévenir, en te cassant la tête.
« — C’est le hasard de la vie ! Mes amis sont nombreux, ils me vengeront. »
Au même instant, le Nageur lève la liwara-pemme sur le front du captif, qui regarde fixement l’arme terrible ; Acarapep frappe, et d’un seul coup, fiat jaillir la cervelle du Cahàte.
Mille cris féroces applaudissent au Nageur. Celui-ci, plus que jamais enorgueilli de l’honneur qu’il vient d’avoir, se fait une profonde incision à la cuisse pour éterniser le souvenir de cette journée.
Jakaré fait amener l’autre captif. L’Européen s’avance ; ses pas mal assurés, ses regards consternés, abattus, la pâleur effrayante qui couvre son visage, sa respiration étouffée, tout décèle sa terreur. Il frémit, et recule épouvanté à la vue du cadavre du prisonnier cahète, que les femmes dépeçaient déjà[26].
Les cheveux du Portugais se dressent lorsque le sang de son compagnon d’infortune vient baigner ses pieds.
« — Oui, disent les femmes, tu es lâche ; tu trembles : les Portugais ne savent pas mourir. Va donc chercher ton tonnerre pour nous brûler ; bientôt tous tes amis du fort seront massacrés comme toi. Oui, le tigre d’Europe est tombé dans nos filets ; nous lui avons arraché les dents, nous lui avons coupé les griffes, et nous allons manger sa chair. »
Jakaré saisit à ces derniers mots la main de Tamandua :
« — Ami, dit-il tu as beaucoup souffert des Portugais : venge-toi. J’aurais voulu te donner le premier sang ; mais il appartenait au Nageur, qui m’a procuré les moyens de te sauver. Sans lui peut-être..... mais, tiens, tu peux te venger : voilà le captif ! »
Ombu donne la massue à Tamandua ; Tamandua s’avance vers le Portugais :
« — J’ai été le prisonnier des tiens ; j’ai souffert : je me venge. »
Et il le tue.
« —Le lâche ! s’écrie Jakaré ; il n’a pas entonné sa chanson de mort !! »
Les Tupinambas demandent le massacre des autres Portugais que les compagnons de Jakaré ont pris sur le rivage de Bahia ; mais, sur l’avis des vieillards, ils sont réservés pour fêter l’arrivée des Tamoyos.
Cependant Coutinho frémit de rage dans les murs de San-Salvador. Jakaré a trompé l’affreux supplice qui attendait son ami ; et, au milieu des forêts de Cotiva, ils respirent, libres, l’air pur de la liberté. La vengeance du gouverneur ne peut être assouvie par la mort des Tupinambas qui ont suivi Jakaré ; c’est le sang de Tamandua qu’il lui faut : il brûle de le répandre goutte à goutte. S’il pouvait frapper deux coups à la fois ! Qu’ils seraient doux à son oreille les gémissemens du jeune sauvage, répondant au dernier soupir de son ami !
Mais la fureur de Coutinho est portée à son comble ; un chasseur de Cotiva, qui après la cérémonie du massacre, s’est laissé entraîner à la poursuite d’un jaguar, a été pris par les aventuriers. Il leur apprend que le fils de leur chef, qui avait disparu, est captif à Cotiva avec trois autres portugais, et il ajoute : « Tuez-moi, puisque je suis votre prisonnier ; mais votre jeune cacique et ses compagnons seront tués et mangés á l’arrivée des Tamoyos, nos alliés, qui viendront vous tuer et vous manger vous-mêmes. Je serai vengé. »
De son côte, la fille du gouverneur est agitée de pénibles sentimens. Comme son coeur bat avec violence ! quelle pâleur couvre son front ! nul espoir ne reste à la vierge tremblante : son père ne presse-t-il pas un hymen détesté ? la main d’Inez n’est-elle point réservée à Almada ?
Fils de l’un des plus puissans seigneurs du Portugal, jouissant lui-même d’un grand crédit à la cour, Almada est à cet âge où les passions se disputent tumultueusement le coeur de l’homme, à cet âge où elles y règnent en souveraines. Almada, élevé dans le fracas des armes, environné de succès et de gloire, n’a jamais su mettre un frein à ses désirs. Séduisant au physique, hideux au moral, son corps est la réunion de toutes les perfections, et son ame le siége de tous les vices ; sa vie est un tissu de fautes et même de crimes : et voilà l’époux de la malheureuse Inez ! N’aurait-il pas mieux valu pour elle que les flots de la mer l’eussent engloutie, ou que sa tête eût orné le triomphe des sauvages ? chaque fois que la vierge songe à l’aventurier auquel on veut unir son sort, ses yeux se remplissent de larmes silencieuses. Il faudra donc l’oublier à jamais, ce Fernand qui ne s’illustre que pour elle !... elle ne connaît que trop l’indigne époux que l’ambition lui destine. Almada n’ignore point combien il est méprisé, mais il s’attache à sa victime ; il hâte les préparatifs de leur inion .... Si l’odieux hymen s’accomplit, Inez le présent déjà, ce sera le temps d’une autre cérémonie. Ah ! du moins il est permis au malheureux de mourir ! Pourquoi faut-il qu’ici-bas l’homme ne puisse mettre qu’une tombe entre lui et l’infortune !
Inez s’est en vain précipitée aux genoux de son père ; elle lui avoua tout, le baigna de ses larmes, en le conjurant de ne point la sacrifier ainsi : Coutinho fut inébranlable. Dès ce moment Inez résolut de se soumettre sans murmure ; elle garda le silence. Le nom de son amant, qu’elle n’osa plus prononcer, se réfugia dans son coeur : toute l’autorité de Coutinho ne saurait l’en expulser.
Mais comment la vierge peut-elle envisager le sombre avenir ? Il lui faudra vivre enchaînée, par un serment horrible auquel l’ame n’a point eu de part, à l’homme qu’elle ne saurait aimer ! le titre sacré d’époux, si doux quand deux coeurs se comprennent, est un supplice continuel lorsqu’il n’est dû qu’au froid calcul de l’égoïsme.
Cependant la jeune Lusitanienne vient d’apprendre que son frère Gonzalez, prisonnier à Cotiva, serait massacré á l’arrivée de certains alliés qu’attendaient les Tupinambas. Coutinho n’espère point revoir son fils. La naissance de Gonzalez est son arrêt de mort ; le sang de l’oppresseur ne sera pas épargné à Cotiva. Inez espère pourtant encore : peut-être, par Tamandua, pourra-t-elle obtenir la liberté de Gonzalez. Elle fait appeler l’un de ses plus fidèles serviteurs, le nègre Toboroëc[27].
« — Toboroëc, oserais-tu affronter les dangers pour me servir ? »
« — Bonne maîtresse, je puis mourir si vous le désirez.
« — Je récompenserai ton zèle. Le temps presse : il faut te rendre parmi les Tupinambas. Tu demanderas á parler au cacique Tamandua ; dis-lui que la fille de Coutinho ; .....qu’Inez..... implore sa générosité pour un captif de l’aldée, pour son frère, nomme Gonzalez, et qu’il te soit rendu. »
L’esclave africain s’éloigne ; il précipite sa marche et arrive à Cotiva ; il se fait conduire à la case de Tamandua :
« — Guerrier, lui dit-il, je viens de San-Salvador ; ma maîtresse m’envoie auprès de toi.
« — Ta maîtresse, homme noir ! tu es donc esclave !
« — Je sers les Portugais.
« — Les portugais ! Tu ne hais pas ces hommes méchans et menteurs ?
« — A quoi me servirait de les haïr ? cela n’adoucirait pas mon sort. Chef tupinambas, plusieurs blancs sont captifs des tiens ; l’un est le frère d’Inez : elle te demande sa liberté.
« — Inez !..... dis-tu, c’est elle qui t’envoie !..... Ah ! elle embrassera son frère ; car je veux qu’en l’embrassant elle pense à moi. Gonzalez n’est pas mon captif, il appartient à mon ami. Mais Jakaré me donnera son prisonnier ; je conduirai moi-même le frère de la jeune fille du fort jusqu’aux palmiers qui sont au bout de notre forêt de peur qu’en voyant un Portugais, quelque chasseur ne puisse s’empêcher de lui tirer une flèche.
« — Ah ! pauvre maître !.....
« — Esclave, laisse-là ton maître ; tu peux rester avec nous, ici tu seras avec des hommes libres.
« — Inez est si bonne, si douce, qu’elle me fait oublier mon malheur.
« — ton malheur ! je croyais que tes pareils venaient exprès de leur pays pour servir les européens.
« — Tu te trompes : ce sont les européens qui viennent nous enlever de notre terre afin de nous faire travailler pour eux, toujours, toujours.
« — Vous ne savez donc pas lancer une flèche ? Vous êtes donc trop Lâches pour lever une massue ? N’y a-t-il point de jeunes arbres dans votre pays, que vous puissiez courber pour en faire des arcs ? Et à défaut d’armes, vos bras ne vous suffisent-ils point ? ne pouvez-vous étouffer vos ennemis ? Serait-ce parce que tu es noir que tu sers ? Regarde ce corbeau qui passe sur ta tête : il est noir aussi, le corbeau, mais il n’est pas esclave. Ses pères ont vu autant de fois leurs nids se démolir qu’ils ont vu de petites pierres emportés par l’eau du fleuve, et cependant, chez les Tupinambas, ils n’ont pas encore plané sur la tête d’un esclave.
« — Homme guerrier, pour quoi me reprocher toujours mon malheur ? Est-ce ma faute à moi, si les fétiches de ma terre ne me sont pas favorables, et si, à ma naissance, quelque méchant magicien a dit à celle qui fut l’amie de mon père, sous notre case, qui est là-bas, là-bas, derrière la mer : Ton fils sera vendu aux blancs : toute sa vie il travaillera pour les blancs.
« — Cette femme aurait dû répondre au visage noir qui lui parlait ainsi : Mon fils est homme : il ne suera point pour servir des Européens. Partout il peut être libre. Il n’est pas besoin de beaucoup de courage pour mourir. »
« — Cacique, je fais plus, je souffre. Le cerf qui s’endort sous ta flèche n’est pas à plaindre ; en diras-tu autant du cerf que tu as blessé, et qui, couché tristement dans les roseaux du marais, pleure sur sa blessure ? Mais tu parles comme un guerrier, et moi comme un noir qui a quitté son pays. Je retourne au fort. Tu m’as promis que Gonzalez y rentrerait bientôt. Je t’en conjure, hâte-toi, car son absence a retardé le mariage d’Inez.
« — D’Inez !
« — Oui, avec Almada, l’un de nos plus braves chefs.
« — Inez épouse d’Almada !... Almada, dont les reins ont plié sous ma massue dans le dernier combat ! Almada, que j’ai frappé de ma flèche à l’arrivée des Portugais ! Almada, qui le premier m’a fait voir le sang européen !..... Dis-moi : elle l’a donc accepté pour époux ? A-t-elle dit à Coutinho : Il me plaît ? » A-t-elle dit à cet Almada : « Mets ta main sur mon coeur, ô toi qui es mon bien-aimé, et chantons la chanson d’amour ? » Non, elle ne lui a pas dit cela..... Inez est bonne ; Almada est un méchant. Malheur aux Européens, si la belle fille du fort devient l’épouse de celui que je hais comme un enfant des Anhangas, et que je méprise comme une massue qui n’a tué aucun ennemi ! Oh ! oui, malheur aux hommes du fort, si la bouche de celle que j’aime reçoit les baisers du lâche ! »
A ces mots il quitte le nègre, auquel il a dit de ne point s’éloigner encore. Tamandua vole à la case où sont renfermés les prisonniers portugais. Il s’approche de l’un d’eux : « — Homme d’Europe, Caramourou a dit que vous saviez vous parler à une grande distance ; qu’avec des feuilles qui viennent chez vous, vous pouviez vous entendre, sans vous voir, d’une montagne à l’autre. Tu dois savoir faire tout cela. Le sais-tu ?
« — Oui, répond le prisonnier, qui avait compris le cacique ; mais je n’ai pas de ces feuilles.
« — Oh ! moi, j’en ai une dans ma case : je l’ai demandée à notre ami Caramourou, que vous avez tué. Je vais te l’apporter : je la gardais comme une chose belle, et parce qu’elle lui avait appartenu. »
Tamandua quitte le prisonnier, entre dans sa case, et ne tarde point à reparaître :
« — Voici la feuille, dit-il, il faut qu’à San-Salvador elle aille parler pour moi[28]. »
Une plume tirée de la dépouille d’un oiseau tué par les gardiens de la case des captifs, et plusieurs gouttes de catua[*] versées dans une écuelle de coco, offrent à l’aventurier les moyens de terminer promptement la lettre que lui dicte Tamandua, et qui doit être remise à la vierge du fort. Le cacique la prend avec précipitation, et s’adressant au soldat :
« — Ne m’as-tu pas trompé ? Est-ce bien ce que je t’ai dit ? Je le saurai. »
Et au même instant il va trouver un autre prisonnier portugais :
« — Que te dit cette feuille ? »
Le captif lit. Tamandua écoute avec joie : ce sont les mêmes paroles qu’il a dictées ; alors il se hâte de rejoindre l’envoyé d’Inez :
« — Homme noir, dit-il, tu peux retourner à San-Salvador. Ceci, donne-le à Inez ; ce n’est que pour elle seule. Lorsque tu verras que la fauvette n’est plus que sur une patte, et que la chauve-souris quitte le creux des arbres, c’est alors que j’accompagnerai Gonzalez hors de l’aldée. »
Toboroëc est rentre au fort. Il remet à sa maîtresse l’écrit du cacique, et lui annonce qu’elle embrassera le prisonnier des Tupinambas.
Inez repose sur un sopha : on voit encore sur ses joues la trace de ses larmes. Coutinho vient d’avoir un entretien avec sa fille ; il ne veut plus différer l’hymen qui doit compléter ses désirs ambitieux. Un jour encore, et Almada sera l’époux d’Inez !
Coutinho a vu couler les pleurs de sa fille ; il a vu la pâleur de son front, et son coeur n’a point été ému. Inaccessible à la pitié, le gouverneur est inébranlable dans sa résolution.
La vierge lit la lettre du jeune chef tupinambas :
« Oui, tu es plus belle que la colombe ; tu es plus belle que la lune descendant au fond du lac à travers les feuilles des arbres ; tu es belle comme le soleil du matin : ton haleine est douce comme la rosée du soir. J’aime ta chevelure, parce qu’elle tombe sur tes épaules plus belle que ne tombent le long des rochers les eaux de la cascade.
« L’homme esclave que tu as envoyé vers les hommes libres a dit qu’Inez demandait à Tamandua son frère Gonzalez. Sa mort devait fêter l’arrivée des Tamoyos, nos alliés ; mais ta bouche a dit : « Grâce ! » le sang du Portugais ne jaillira point sur la massue des Tupinambas : les femmes ne frotteront point le corps de leurs fils avec le sang du frère de mon amie.
« Inez :
« Je t’aime, je te l’i dit :
« Je t’aime, je te l’ai dit : si tu veux m’aimer aussi, toi, Almada ne sera pas ton époux ; il périra, parce que je suis brave, et que je le combattrai. Oui, il périra, et moi je vivrai. On ne peut pas mourir lorsqu’on aime tant.
« Ne va pas orner le hamac de l’homme méchant avant que nos alliés arrivent au milieu de nous ! Demain ils seront à Cotiva, et je me réjouirai, parce que les vieillards, qui ne veulent point me laisser aller tirer maintenant des flèches contre les guerriers portugais, alors ne me retiendront plus. Oh ! oui, je tuerai Almada et ses amis ! Je le tuerai, parce que je suis brave, et parce qu’il veut m’enlever mon amie.
« Non, celle qu j’aime ne sera pas son épouse ! Celle que j’aime doit habiter la case des Tupinambas. Tes yeux, ô jeune fille, font tressaillir d’amour ! »
Inez n’a pu relire sans effroi la lettre du sauvage. Les jours de son frère ne sont plus menacés, il est vrai, mais la vie de ses compatriotes est en danger. Elle connaît le courage des Tupinambas ; elle sait aussi que les Tamoyos sont terribles. Tamandua, emporté par son amour, se jettera comme un tigre au milieu des Européens ; peut-être le bras du chef frappera-t-il le gouverneur ! Tamandua ne combat jamais sans l’implacable Jakaré, dont la massue, s’agitant comme un tourbillon, fait couler des ruisseaux de sang autour de son ami !
Que la situation d’Inez est pénible ! Combien elle doit souffrir ! Le violent amour qu’elle a malheureusement inspiré au jeune Brésilien pourrait cause la ruine des Portugais. Des combats souvent répétés ont diminué leur nombre ; ce qui reste de soldats à Coutinho ne sauraient résister au torrent qui les menace. Les remparts de San-Salvador, élevés à la hâte, soutiendront mai un choc impétueux ; les munitions de tous genres sont épuisées, et les secours qu’attendaient les aventuriers ne paraissent point : tout les abandonne ; la mesure est-elle comblée ? le sang va-t-il enfin se payer par le sang, et le Ciel veut-il mettre un terme aux crimes des oppresseurs ?
Inez se flatte néanmoins qu’à l’approche des ennemis, son père verra qu’il lui est impossible de résister, et que les Portugais quitteront San-Salvador, en s’embarquant sur les vaisseaux qu’ils ont à l’ancre dans la baie.
Inez, pâle et tremblante, mais belle de sa pâleur, se rend au pied des autels pour implorer de ce dieu qui se plaît à nous soutenir lorsque chancelons, et à nous relever lorsque nous sommes abattus, une tranquillité que le malheur semble avoir chassée de son ame.
A peine la nuit a-t-elle enveloppé de ses ombres l’établissement de San-Salvador, qu’Inez presse sur son coeur un frère chéri : Gonzalez est rendu à ses compatriotes.
[*] On sait que c’est une couleur rouge.
JAKARÉ-OAUSSOU.
. . . . . . . . . Ils ne font autre chose que banqueter, chanter, danser, sans fin ny mesure. Ils dansent en rond sans bouger d’une place. En leurs chansons ils n’obseruent point de tons distincts, ains chantent comme d’une teneur. Le contenu d’icelles parle de leurs exploits de guerre, dont ils se vantent à merueilles, rapportant tout à haut louez la vertu miliaire ; cependant les vns iouent de leurs fleustes, les autres accordent le bransle de leurs pieds au refrain de la chanson. Il y en a d’autres qui presentent à boire aux danseurs, tellenent qu’à la fin tous tombent yures.
(Vieille Histoire de Portugal, traduction de 1581.)
LE jour marqué pour l’entrée des Tamoyos à Cotiva, ce jour que Tamandua appelle de tous ses voeux, est enfin arrivé.
Long-temps avant le lever de soleil, le jeune cacique a réveillé les oiseau sur la branche. Il s’enfonce dans la forêt, rapide comme le trait du chasseur. Les guerriers Tamoyos et le fils d’Ombu se rencontrent et se jettent le cri de la bien-venue à quelque distance de Cotiva. Tous se pressent à l’envi autour du jeune cacique dont la renommée a traversé le désert, et mille questions sont échangées de part et d’autre jusqu’à l’aldée.
Les Tamoyos entrent à Cotiva ; leurs ares sont détendus, et leurs boucliers se balancent suspendus à leurs épaules ; ils essuient la sueur et la poussière qui couvrent leur front. Les Tupinambas se précipitent en foule au devant d’eux, et après avoir offert à leurs nombreux alliés des boissons rafraîchissantes, les jeunes filles chantes en regardant le chef des Tamoyos, Pindobuza, ou le Grand-Palmier :
« — Que tu es bon[*] ! que tu pris de peine à venir ! que tu es beau ! que tu es vaillant ! que nous t’avons d’obligation ! que tu nous fais plaisir !
« Oui, les Tamoyos sont des hommes de coeur ; ils ne s’endorment jamais que fatigués. Vos arcs font trembler le désert ; vos flûtes[29] ne sont faites que des os de vos ennemis. Votre chanson de mort est la plus longue. Votre sang est comme la source d’un grand fleuve qui ne peut être épuisée. Votre flèche attache le bouclier au bras de l’homme qui vous fait la guerre. Les Tamoyos sont recherchés pour leurs chants : heureux ceux qui les écoutent !
« Heureuses les femmes des Tamoyos !
« Vous avez inventé les barques à trois rames, parce que vous avez la sagesse des vieillards.
« Lorsque vous visez un guerrier, vous dites : Je n’ai plus d’ennemi ! »
« Que vous êtes bons ! que vous êtes vaillans ! »
La voix des jeunes filles est coupée par des sanglots[*] : toutes versent des larmes abondantes, et les yeux des alliés sont humides de pleurs. L’assemblée entière pousse de longs soupirs.
Le Grand-Palmier répond aux jeunes filles : — « Comme vous savez flatter les hommes ! Vous êtes belles, filles des Tupinambas. Heureux celui à qui vous dites : Tu es mon bien-aimé » Heureux le chasseur qui, en revenant de la montagne, baise le sourire sur vos lèvres, et jette des fleurs dans vos cheveux ! Le soleil est beau, mai il est plus beau lorsqu’il éclaire votre visage ; la lune est belle, mais elle est plus belle lorsqu’elle vient se regarder dans vos yeux comme dans les eaux d’une fontaine.
« Vos paroles font tressaillir de joie. Auprès de vous, le guerrier oublie qu’il a un affront à venger ; le chasseur laisse tomber son arc et sa flèche ; le captif ne songe plus au jour du massacre ; il regarde la grande massue et le feu qui est à côté de la grande massue, et il dit : « Pour qui la grande massue, et pour qui le feu festin ? »
« Tant vous êtes belles, ô filles des Tupinambas ! »
Après la chanson de la bien – venue, on adresse des questions aux voyageurs :
« Avez-vous couru quelque danger en traversant les forêts ? les feux que vous allumiez pendant votre sommeil suffisaient-ils pour éloigner les tigres[30], ou bien fallait-il que le guerrier mît une flèche sur la corde de son arc, en disant : « Le tigre ne veut pas s’en aller ? » Avez-vous toujours rencontré des sources pour apaiser votre soif ? Jakaré avait-il laissé de grandes marques sur le tronc des arbres ? Avez-vous levé la massue contre des hommes ennemis ? Les lianes ont-elles arrêté votre marche, et les génies du mal vous ont-ils beaucoup tourmentés ? et les serpens mordaient-ils la chair de vos pieds ? »
Les matrones disent aux étrangers :
« — Vos membres sont fatigués, vous avez faim ; venez vous reposer sous les palmiers, vous y trouverez des nattes tressées par nos jeunes filles, et nous allons vous y porter de la nourriture. »
On ne fait point encore entrer les alliés dans les cases, parce qu’étant très-nombreux, on serait obligé de les partager ; chaque famille prendrait une certaine quantité de guerriers, et on ne pourrait ainsi les fêter tous réunis.
Les Tomoyos s’asseient, et placent à leurs pieds les arcs et les massues. Un repas, composé de viandes et de fruits, leur est offert.
Les jeunes filles[*], en rond, et les bras entrelacés, dansent autour de leurs hôtes, sur lesquels elles jettent des fleurs. Quelquefois une Indienne, légère comme la gazelle, se détache du groupe de ses compagnes, et, se glissant parmi les hommes, attache une guirlande à la massue du Tamoyos qui lui a souri le premier en entrant á l’aldée ; puis elle reprend sa place á la danse, et elle chante :
« — Beau guerrier Tamoyos, tu as menti quand tu disais : « Je n’ai pas encore d’amie ! » Je l’ai vue, ton amie ; regarde : elle est venue attacher à ta massue la guirlande d’amour. Beau guerrier Tamoyos, tu as menti. »
Cependant Pindobuza demande á une fille des Tupinambas de lui dire une histoire. Alors la jeune fille s’avance. Elle jette un regard douloureux, et qui peint la souffrance de son coeur, sur le cacique Tamandua ; celui-ci porte ses yeux sur la jeune fille : c’est Moëma. Moëma tressaille ; elle dit au chef des Tamoyos :
« — Grand-Palmier, si tu veux des chants qui te réjouissent, je ne parlerai pas : je ne sais plus les paroles du plaisir ; j’ai oublié comment on fait pour sourire.
« — O toi qui es belle, dit Pindobuza, tu souffres d’amour ! comme tu es pâle ! tu ressembles aux fleurs qui croissent loin du soleil !
« — Autrefois, répond l’Indienne, je vivais auprès d’un beau soleil ; mon soleil s’est éteint pour moi !
« — Moëma, s’écrie Tamandua, je t’en prie, ne parle pas ainsi ; mon coeur est affligé !
« — Eh bien ! reprend l’amante infortunée, je me tairai ; le mal sera pour moi seule. Écoute, Pindobuza, ma chanson sera triste : ma chanson n’est point une chanson des Tupinambas ; c’est un guerrier étranger qui l’a apprise aux anciens il y a bien long-temps. Nous n’avons jamais entendu parler du pays de ce chanteur qui, fait prisonnier, avait échappé á ses ennemis au moment où il allait être brûlé, car chez lui on brûle les captifs.
« Il s’était jeté dans les forêts, parce qu’il était poursuivi : il se perdit.... on avait cessé de le poursuivre, mais il ne put jamais rentrer dans la cabane de ses amis, parce qu’après avoir marché la long d’une grande mer, traversé de grands pays, le guerrier voyageur, dont le nom s’est perdu dans la mémoire des hommes, arriva chez les pères des Tupinambas, où il mourut. Presque tous ses cheveux avaient blanchi, son corps était courbé vers la terre ; et cependant il était de la troupe des jeunes hommes lorsqu’il fut pris à la guerre.
« L’étranger avait donc traversé pendant bien des soleils de grandes montagnes, de grands fleuves et de grands pays. Or, voici l’histoire que chantait l’étranger : il chantait les amours de la mort !
« — Oui, la nuit était belle ; le voyageur pouvait voir dans la forêt quelques unes des lianes qui arrêtaient ses pieds, car la lunes arrêtaient ses pieds, car la lune était ronde, et brillait à travers les feuilles.
« Des guerriers descendaient la montagne ; ils disaient à un jeune prisonnier qui marchait au milieu d’eux : « Tu fais bien, Nouktiaka, de nous réjouir par des chansons, car tu seras brûlé avec de grandes souffrances. » Nouktiaka répondait : « On parlera de moi parmi les vaillans, car ma chair vous défie ; saurez-vous seulement la torturer assez, la chair d’un brave ?.... » Et le captif chantait gaienent en descendant la montagne.
« Mais pourquoi les hommes vainqueurs ne frappent-ils plus le fils de leurs ennemis pour le faire marcher aussi vite que le chevreuil ? Oui, les hommes qui frappaient le beau captif viennent d’être étendus à ses pieds ; ils ne le donneront pas en spectacle à leurs femme.... : ils sont morts !
« Qu’elle était belle, la grande femme que Nouktiaka avait aperçue derrière un grand arbre !.... c’était la Mort[31] qui a conversé avec nos pères, et qui dansera sur la tombe de tous les enfans de nos pères !.... Comme son oeil était terrible lorsqu’elle a renversé ceux qui mettaient en sang les épaules du beau Nouktiaka !
« Nouktiaka voulut s’élancer vers la grande femme, mais elle étendit la main, et fit un signe qui arrêta le guerrier. S’il s’était approché d’elle, il fût tombé le visage contre terre. La Mort ne voulait point le faire périr, parce qu’elle l’aimait.
« Elles s’enfonça dans la forêt, où elle souffrait cruellement ; sa bouche prononçait des paroles d’amour, mais elle était obligée de fuir celui dont elle avait sauvé la vie ; car il aurait été renversé, si son corps avait touché le corps de la grande femme. Mais Nouktiaka poursuivait son amante pendant le soleil et pendant la lune ; et son amante s’éloignait sans cesse de lui en faisant de longs détours dans les bois : elle ne se reposait jamais, craignant que Nouktiaka ne la surprît au moment du sommeil.
« Un jour la grande femme était accablée de lassitude. Semblable au scoassou qui veut échapper à une troupe de chasseurs, ou telle que le nageur repoussé par l’orage des bords que ses bras cherchent à saisir, la grande femme s’assit sur les feuilles auprès d’une fontaine ; elle s’y endormit. Nouktiaka l’aperçut, il s’écria :
« Voici mon amie, qui est belle, et qui m’échappe toujours comme la lune échapperait dans cette fontaine aux petites mains de l’enfant qui voudrait la saisir. » Et le guerrier s’élança ; il pressa la grande femme sur son coeur ; mais aussitôt il tomba à terre.
La Mort s’éveilla, son beau visage devint pâle ; elle pleura sur le corps de son amant : c’est elle qui l’avait tué.
« L’homme étranger de qui les Tupinambas ont appris cette histoire disait encore : Tous ceux que la grande femme appelle la suivent : heureux ceux dont elle n’a pas oublié le nom, et qu’elle appelle lorsqu’ils pleurent ! »
« — O toi qui es triste parmi les filles des Tupinambas ! je te remercie, dit le grand Palmier. Ton histoire est belle. Lorsque nous aurons vaincu, lié, battu et mange les Portugais, et que nous serons de retour à notre aldée, nous la raconterons à nos femmes, parce que nous ne pourrons jamais oublier les amours de la Mort. Jeune fille, nous parlerons beaucoup de toi dans notre pays ; tu es si douce, qu’on doit t’aimer comme le kamichi aime sa femelle. »
Cependant vers la fin du repas on apporte d’énormes vases de terre et des coupes de coco renfermant un grand nombre de boissons ; c’est alors qu’on parle des intérêts de la nation, et du combat, et du combat qu’on doit livrer. On discute vivement ; Tamandua surtout s’exprime avec une force et une chaleur qu’inspirent à la fois l’amour et la haine ; Jakaré, plus réfléchi, mais non moins altéré que lui de sang européen, s’écrie, d’une voix qui couvre toutes les autres, qu’on n’attende pas plus d’un soleil pour marcher au fort. De leur côté, le chef Pindobuza et ses compagnons demandent que les vieillards fixent le lendemain pour le jour de l’attaque.
Tous sont du même avis : les devins promettent de rendre les Esprits favorables aux défenseurs de la liberté, et l'on apporte de nouvelles liqueurs dont les guerriers boivent avec excès : leur imagination s’enflamme, ils parlent et s’interrompent confusément. Tout-à-coup ils se lèvent, s’attachent aux pieds des espèces de castagnettes faites avec des fruits creux et bruyans, et, formant un grand rond, ils dansent ainsi sans changer de place jusqu’à ce que les boissons soient épuisées, et jusqu’à ce qu’ils tombent presque tous, et s’endorment dans une orgie complète.
[*] Voy. Alphonse de Beauchamp, Histoire du Brésil ; le voyageur français, ou Connaissance de l’Ancien et du Nouveau Monde, mis au jour par M. L’abbé Delaporte. (Article BRÉSIL.)
[*] Voy. Léry.
[*] Les femmes mangeaient ordinairement à part ; elles ne se réunissaient que pour boire du cauin.
JAKARÉ-OUASSOU.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Que d’époux ont gémi sous leurs chaînes pesantes !
De leur hymen souvent les chagrins sont le fruit :
La politique épouse, et le malheur unit.
D’Arlincourt.
On voit poindre sur l’horizon le soleil qui doit éclairer le triomphe de la liberté ou la victoire du tyran. Hélas ! il est d’un bien triste présage, puisqu’il annonce déjà l’hymen d’Almada et de la malheureuse Inez. La vierge s’est levée avec l’aurore. Du haut d’une tourelle, elle contemple, les yeux baignés de pleurs, le tableau ravissant d’une matinée d’un beau jour.
« — Salut, dit-elle en soupirant, beau soleil du Brésil ! salut ! Pour la dernière fois peut-être je viens admirer ton spectacle enchanteur ! Désormais tes feux ne réchaufferont plus mon coeur, glacé par l’infortune !
« O jours de ma jeunesse, qu’être-vous devenus ? Vous avez fui comme le nuage léger que viennent dissiper les premiers rayons du matin ! Riante contrée, je n’irai plus errer sous l’ombrage de tes forêts ; je n’irai plus folâtrer dans tes vertes prairies ! Oiseaux du bocage, pourquoi chantez-vous ? O nature, ton insouciance m’accable ! »
Cependant le frère de la vierge portugaise, Gonzalez, connaît le secret d’Inez. Retenu prisonnier à Cotiva, il ignorait que son hymen était près de s’accomplir. Son coeur est compatissant ; il s’émeut en songeant que le farouche Almada deviendra l’époux d’une soeur qu’il chérit. La noirceur du caractère d’Almada lui est connue ; ils ont combattu ensemble, ensemble ils sont venus au Brésil ; mais l’un y fut attiré par des idées de gloire et d’héroïsme, l’autre y aborda avec l’espérance d’y trouver des trésors et des esclaves.
Gonzalez se rend auprès d’Almada, fermement résolu de s’opposer à son union.
« — Seigneur, dit-il, mon père vous a promis la main de sa fille ?....
« — Et c’est aujourd’hui même, répond Almada, que je deviendrai votre seul amour pour ma soeur qui vous porte à l’épouser ?
« — Votre question me surprend, Gonzalez. Et quel autre motif ?.....
« — Je veux l’ignorer. Quoi qu’il en soit, chevalier, je vais vous parler fermement.....
« Inez ne vous aime point.
« — Que dites-vous ?
« — La vérité.
« — La vérité !
« — Oui. Au lieu d’une épouse, vous n’aurez qu’une esclave, une victime. Trop faible pour vous l’avouer, trop vertueuse pour résister aux volontés d’un père, Inez obéirait, si mon amitié pour elle ne prévenait son malheur.
Il se tait : la rougeur qui couvre le front d’Almada le force à s’arrêter. Celui-ci cherche à déguiser son trouble.
« — Gonzalez, dit-il, je ne puis vous croire. Eh quoi ! lorsque le gouverneur m’assure que j’ai l’amour de sa fille !
« — Son amour !
« — Lorsque la cérémonie est préparée !
« — Elle ne s’achevera pas ! Chevalier, vous avez trop d’honneur pour contraindre une jeune fille à vous épouser.... Ma soeur, je le répète, ne fait qu’obéir, et son coeur ne vous appartient pas.
« — Eh bien ! s’écrie Almada, ne pouvant plus contenir son humiliation et sa rage, qu’importe que les flambeaux de l’hyménée n’éclairent que la marche d’une victime ! Coutinho m’a promis la main d’Inez : Inez est à moi.
« — Jamais !
« — Que dites-vous ?
« — Jamais ! Si la voix de l’honneur n’a plus aucun pouvoir sur vous, si vous êtes sans pitié pour l’innocence, je saurai vous contraindre.....
« Me contraindre ! Lors même que ma résolution ne serait point irrévocable, le ton que vous prenez suffirait pour me décider. Oubliez-vous à qui vous parlez ?
« — Je sais qui vous êtes, et je remercie ma soeur de ne pas me forcer à vous nommer mon frère.
« — Fils de Coutinho, croyez-vous que ce titre vous déshonorerait ?
« — Vous ne l’aurez jamais !
« — C’en est trop !
« — Homme vil ! ne crois pas me cacher plus long-temps tes projets ambitieux : il faut qu’ici, à l’instant même, tu renonces à la main d’Inez.
« — Gonzalez ! vous m’outragez ! Je suis Portugais, et je porte une épée.
« — Indigne chevalier ! défends-toi ! »l
Le fougueux jeune homme ne se contient plus ; il fait briller son épée ; Almada tire lentement la sienne, et laisse tomber sur Gonzalez un horrible regard. Bouillant et courageux, le fils de Coutinho frappe sans songer à se couvrir. Almada pare avec adresse les coups de son adversaire. Le combat peut durer longtemps encore. Cependant Gonzalez redouble de force, fond sur son ennemi, et lui porte à la visière un coup vigoureux ; Almada ne peut éviter le choc, mais l’épée tombe sur la cuirasse, et vole en éclats. Alors un sourire détestable agite la lèvre d’Almada : il se voit maître de la vie de Gonzalez, qui s’offre désarmé à ses coups. Il s’approche du jeune Portugais, le perce de son glaive féroce, et il l’insulte en l’assassinant.
« —Faible enfant, lui dit-il, avec qui voulais-tu donc te mesurer ? Meurs, et laisse-moi en repos ! »
Gonzalez chancelle ; ses yeux se ferment : il tombe renversé sur le carreau. Almada regarde avec sang-froid sa victime. Il lui importe qu’on ne puisse soupçonner la mort du frère d’Inez. Il cherche un prétexte plaussible et capable d’excuser Gonzalez de ne pas assister à la cérémonie. Il se rend vers Coutinho :
« — Seigneur, lui dit-il, votre fils est gravement indisposé ; je viens de le voir : les maux qu’il a soufferts dans sa captivité, la joie que lui a occasionée sa délivrance inattendue, ont produit en lui une agitation extraordinaire. Ne vous alarmez point : sa position n’est pas inquiétante. Du repos lui est nécessaire. Il demande à rester seul dans son appartement, et me charge de l’excuser auprès de vous, si, dans un jour aussi solennel, il se trouve forcé de manquer à ses devoirs. »
Cependant l’heure fatale approche. Le gouverneur se rend auprès de sa fille. Inez est dans l’abattement. On aperçoit sur ses joues pâles la trace de ses larmes. Coutinho feint de ne rien voir, et, prenant la main de la vierge, il arrive, au milieu d’une triple haie de soldats, à l’église, où sont déjà le meurtrier de Gonzalez et le prêtre Manoël.
Inez se soutient à peine. Elle est couverte d’un long voile éclatant de blancheur ; son visage est pâle, pâle comme le bouquet virginal qui pare son sein. La vierge tremblante lève les yeux au ciel ; en les ramenant vers la terre, elle a frémi : le visage d’Almada exprimait quelque chose d’horrible.
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C’en est fait ; le serment fatal est prononcé : Inez est l’épouse d’Almada !
JAKARÉ-OUASSOU.
Mourons !
Gilbert.
LE soleil n’a point encore éclairé Cotiva, et déjà les chefs brésiliens se sont répandus dans l’aldée ; ils frappent sur leurs boucliers en criant autour des cases : « A la guerre ! à la guerre ! » Les Américains s’arment à la hâte. La haine portée aux Européens et la soif de la vengeance se peignent sur tous les visages. Tamandua, impatient de s’élancer où l’amour et son courage l’appellent, a rassemblé ses guerriers. Jakaré joint ses braves aux braves que commande son ami. Les Tamoyos, partagés en différentes troupes, sous la conduite de plusieurs caciques, ont à leur tête le grand chef Pindobuza. Du sein des forêts de la Capitanie accorent d’autres hordes indiennes, jalouses de partager la gloire de cette journée. De chaque rocher accourent des héros ; des bords sauvages du San-Francisco, des terres baignées par d’autres fleuves, et de la crète des monts, s’élancent des hommes belliqueux ; l’écho répète au loin leurs cris tumultueux. Jamais le Brésil n’avait vu tant de vengeurs assemblés[*] pour punir les tyrans ; fier de ses enfans, il semble tressaillir d’alégresse.
Les Indiens peignent leurs corps des couleurs du combat ; leurs traits défigurés offrent un aspect terrible : ils se présentent aux vieillards. Ombu parle au nom de tous les anciens : les feux de la jeunesse circulent un moment dans ses veines ; la force et la vigueur du premier âge animent ses discours ; il émeut, il entraîne, exalte les guerriers, et l’ardeur qui brille en ses regards passe tout entière dans leur ame. Il s’adresse surtout á son fils ; Tamandua rougit de ce que le vieillard lui recommande d’être brave. De leur côte, les femmes des guerriers font des souhaits pour la gloire d’un époux ou d’un fils.
Seule, la pauvre Moëma craint de rencontrer les yeux de son amant. Triste et souffrante, l’infortunée se penche lentement vers la tombe. Tendre fleur courbée par l’orage, si brillante naguère, aujourd’hui pâle et flétrie, Moëma ne compte plus de beaux jours ; la douleur a fondu sur sa proie. La plus belle parmi ses compagnes, elle est la plus malheureuse.
Cependant les sauvages s’ébranlent au bruit des flûtes de guerre ; les courages impatiens appellent les combats ; un nuage de poussière s’élève ; des cris de vengeance s’en échappent ; les massues frappent la terre, et l’armée s’avance vers San-Salvador.
L’ordre n’est point observé dans la marche, mais la valeur habite tous les rangs ; les chefs ne sont pas des capitaines expérimentés, mais chaque cacique est un héros, chaque soldat est armé d’un coeur d’airain.
Tout-à-coup, au détour d’une forêt, les tupinambas et leur alliés aperçoivent une troupe d’hommes armés ; une femme les précède ; elle porte un vêtement européen ; l’image du Christ brille sur sa poitrine ; c’est l’épouse de l’infortuné Caramourou, c’est Catherine, la filleule des rois.
A son aspect les sauvages s’arrêtent, saisis de joie et d’étonnement. La tribu, trompée par le faux bruit qu’a fait fait répandre le gouverneur, avait pleuré sa mort. Catherine s’émeut en voyant l’alégresse que sa présence inattendue fait naître parmi les siens ; chacun veut la voir, la presser dans ses bras et l’interroger ; on brûle de connaître le sort de Caramourou, de l’ami de l’Indien.
Et Catherine parle ainsi :
« Braves Tupinambas, je remets à un autre moment le récit de tous nos malheurs,et des traitemens humains que le monstre du fort nous a fait éprouver : j’ai à vous apprendre une nouvelle plus importante : Caramourou vit encore ! il gémit dans les fers du gouverneur. Comme lui j’étais captive à l’établissement portugais. Les barbares m’avaient séparée de mon époux ; j’ai trompé la vigilance de mes gardiens, et, étant parvenue à m’échapper, grâce au Dieu que j’adore, je voulais aller à Cotiva demander des guerriers, afin qu’ils tentassent avec moi de délivrer leur ami ; mais, poursuivie par des soldats européens, je cherchai un refuge dans une caverne ; lorsque j’en sortis, je vis, avec le soleil, une troupe de chasseurs ; je dis mon nom aux chasseurs : ils me reconnurent, se réjouirent, et ils m’ont appris que, réunis aux Tamoyos, les Tupinambas attaqueraient la ville aujourd’hui même. Frères ! je retourne avec vous à San-Salvador ; avec vous je combattrai. J’aurais bien désiré embrasser les amis de l’aldée, mais je ne dois entrer à Cotiva qu’après avoir délivré mon époux. »
Elle dit : les Américains, par leurs transports, témoignent à Catherine la joie qu’ils éprouvent de savoir que Caramourou, que cet Alvarès qui les chérit comme ses enfans, existe encore ; ils jurent tous de le venger et de le sauver. D’un pas rapide, l’armée s’approche de San-Salvador, bientôt elle foule le rivage de la mer ; les remparts ennemis apparaissent ; le fort lusitanien, placé au fond de la baie, se dessine sur l’horizon, et domine les flots de sa masse sombre et gigantesque ; à cette vue, un cri, un seul cri s’élève :
« — Mort aux Portugais ! »
Jakaré sort des rangs, et s’adresse à ses compagnons :
« —Tupinambas, s’écrie-t-il, et vous, Tamoyos, voici le jour que vous avez tant désiré. Les braves sont en présence de l’ennemi : c’est à lui de trembler. Le tyran a voulu mettre nos bras dans les chaînes : nous avons dit : Qu’il périsse ! Nous avons préparé notre vengeance, comme l’aigle qui long-temps épie sa proie avant de la déchirer. Nous avons dit à notre allié : l’Européen veut nous rendre esclaves ; et nos alliés ont répondu : l’Européen ne vous vaincra pas, ne vous tuera pas, ne vous mangera pas ; mais c’est vous qui le vaincrez, qui le tuerez et qui le mangerez, et nous vous aiderons, nous qui sommes vos alliés, à le vaincre, à le tuer et à le manger.
« Nous serons vainqueurs, parce que nous aimons la liberté: la liberté est pour celui qui l’aime; nous serons vainqueurs, parce que nos corps ne souffrent pas, parce que notre oeil est le plus juste, et parce que les Cahètes, lorsqu’ils nous aperçoivent à travers les arbres, disent en se sauvant : « Oh !oh ! oh ! fuyons : ce sont les braves ! »
« Puisse le Grand-Esprit nous protéger ! que celui qui aura visé un Portugais sans l’atteindre ne se serve plus de l’arc ; que celui qui aura levé la massue sans tuer son ennemi ne se serve plus de la massue ; et que celui qui ne pourra pas dire à son père en rentrant à l’aldée : « J’ai tué des Européens, je suis digne de toi, » n’ose plus reparaître au combat.
« Songez, ô braves, songez, ô fils des braves ; songez, ô alliés des braves, à la honte que vous auriez si l’étranger n’était pas défait ! Que diraient les Tupiniquins ! que diraient les Tapuyas ! Ils insulteraient aux Tupinambas et aux Tamoyos ; leurs jeunes filles ajouteraient quelque chose aux chansons : « Oui, diraient-elles, nos guerriers peuvent maintenant poursuivre le chevreuil dans le pays qu’habitaient les Tupinambas ; les Tupinambas nous ont craints, et, pour nous éviter, ils se sont fait enchaîner par les hommes d’Europe. »
« Fils de Tupan, soyez dignes de vos pères, soyez dignes de vous, soyez ce que vous avez toujours été. Nous eussions pu attaquer le fort pendant la nuit ; mais soleil a vu arriver les étrangers ! il faut que le soleil les voie fuir. Non, Portugais, la perdrix ne couvera point ses oeufs pour vous ; les fruits ne mùriront point pour vous ; ce n’est pas pour qu’il soit votre esclave que la mère suspendra son fils à ses épaules ; nos forêts ne produiront rien pour vous, non..., rien, si ce n’est la line qui servira à lier vos membres.
« A la guerre !à la guerre ! »
[*] A cette époque.
JAKARÉ-OUASSOU.
Celui qui te hait périra.
(Le Coran.)
LE mariage d’Inez est à peine achevé, elle n’est pas hors de l’église, qu’un tumulte effrayant annonce aux Portugais l’approche des sauvages. Almada s’est arraché d’auprès de sa tremblante épouse ; il s’arme avec précipitation, et s’élance vers les remparts ; l’arrivée des ennemis lui avait déjà été annoncée, mais il ne pouvait leur soupçonner tant d’audace. Quel est son étonnement et l’effroi des aventuriers ! Un torrent impétueux s’avance en grondant vers le fort. Cependant Almada ne manifeste aucune terreur ; il jette un coup d’oeil dédaigneux sur cette forêt de dards, sur cette armée de héros. Le gouverneur donne les ordres les plus prompts pour qu’on se prépare à recevoir l’ennemi. A l’aspect de cette multitude de barbares, il comprend son danger ; mais il dévore en secret sa rage, et, en présence de ses troupes, il affecte un calme qu’il est loin d’éprouver. Les secours qu’il attendait d’Europe ne sont point arrivés. C’est en vain que Coutinho parait ne rien craindre des sauvages ; la plupart de ses soldats ne s’aveuglent point sur leur position ; ils ont pâli en voyant le nombre prodigieux d’ennemis qui vont les attaquer en peu d’instans. Un murmure confus parcourt les rangs portugais : le mécontentement se peint sur tous les visages, toutes les bouches accusent Coutinho, et les complices mêmes de la tyrannie sont premiers à le maudire. La sédition éclate enfin, et les aventuriers déclarent qu’ils sont résolus de quitter le fort, de s’embarquer sur leurs vaisseaux, et d’abandonner les rivages, où ils ne trouveront plus que la mort. Hermandra s’est mis à la tête des mécontens ; ni les prières ni les menaces du gouverneur ne peuvent ébranler le chef révolté ; déjà il se dirigeait vers l’une des ports du fort, et se préparait à sortir, lorsqu’Almada, plein de colère, lui ferme le passage, et lui jette un regard flamboyant. « Audacieux ! s’écrie-t-il, arrête : lâche chevalier, indigne Portugais, quoi ! tu fuis devant ces misérables sauvages ; leur nombre t’épouvante ; misérable, tue-les, et il diminuera. Mais non, tu n’étais qu’un soldat timide, tu veux être un chef rebelle. Va, mon épée n’a jamais pardonné à un traître..... » En achevant ces mots, Almada, qui veut frapper les esprits par un trembler terrible, fait tomber aux pieds de Coutinho l’imprudent Hermandra. – « Tel est, dit, le sort que je prépare à quiconque braverait devant moi l’autorité du gouverneur. »
Et se tournant vers les aventuriers :
« Amis, eh quoi ! nous abandonnerions honteusement aux Tupinambas ce fort, cette ville naissante, que nos mains ont élevés avec tant de peine et au milieu de tant de périls ? Combattons ! Si la victoire nous échappe, il sera bien temps alors de gagner nos vaisseaux ; mais nous vaincrons : le danger redouble le courage ; les naturels, vous le savez, ne sont à redouter qu’au premier choc, et nous le soutiendrons glorieusement ; parmi ces Indiens, la discipline est inconnue ; eux- mêmes nous faciliteront leur défaite par le désordre continuel de leurs opérations. Chez nous, au contraire, le commandement et l’exécution ne font qu’un ; nos forces sont inférieures, il est vrai, mais bien dirigées ; celles des Américains ne vous offrent qu’un amas confus de barbares ignorans, plus dignes d’inspirer le mépris que la crainte. Allons, enfans de la Lusitanie, qu’est devenu ce courage, cette ardeur que vous avez montrés dans les combats ? Mais, je le vois, déjà vous rougissez d’un instant de faiblesse ; vous brûlez de laver votre honte dans le sang de l’ennemi : hé bien ! tout est oublié ; apprêtez-vous à combattre, ou plutôt à vaincre. »
Il dit : ceux qui, un moment auparavant, allaient déserter leurs drapeaux, excités maintenant par les discours d’Almada, demandent d’une voix unanime à en venir aux mains avec les sauvages.
Ceux-ci, en poussant de longs cris de guerre, arrivent à quelque distance de San-Salvador. Ils s’arrêtent, posent à terre leurs massues, et font pleuvoir sur le fort une grêle de pierres et de flèches. Coutinho, qui a tout prévu, y a fait entrer jusqu’à la dernière sentinelle ; les traits des Indiens ne frappent que les murs de la citadelle ; ce n’est qu’après avoir donné l’assaut et enfoncé les portes, qu’ils parviendront à se servir de la massue. Les sauvages alliés attaquent la partie de l’orient, mais sans succès. Ils changent alors de tactique ; quelques-uns des plus adroits se détachent du corps d’armée, et s’avancent jusque sous les remparts, ayant Tamandua à leur tête ; ils défient les Portugais, et leur montrent, en poussant des hurlemens, les os de ceux de leurs compagnons qu’ils ont dévorés. Les Européens, armés de leurs mousquets, et placés derrière les créneaux et les meurtrières, font feu sur les Indiens ; mais lorsqu’ils se découvrent une seconde fois pour les ajuster, ceux-ci, avec une dextérité extraordinaire, envoient des flèches qu’un oeil sûr a dirigées ; ainsi, à l’instant où le coup part, le soldat qui l’a tiré se trouve atteint ; quelquefois même il tombe sans avoir pu lever son arme, tant est prompte l’adresse de l’ennemi ; mais le combattant qui périt est aussitôt remplacé par un autre. Quoique plus nombreux, les Brésiliens ont cependant moins d’avantage, car les aventuriers trouvent enfin les moyens de tirer sans se mettre à découvert.
Le nombre des morts et des blessés augmente à tout instant chez les alliés ; le soleil touche à la fin de sa carrière ; à travers le crépuscule, on peut voir encore les nuages qui s’amoncellent, et semblent présager un orage ; les flèches volent au hasard ; les Tupinambas qui s’étaient avancés pour combattre rejoignent leurs compagnons, emportant avec eux les blessés ; Tamandua n’est pas de ce nombre. Quoique Jakaré ne se serve pas d’arc, il a suivi les archers, tenant à la main la massue qu’il n’abandonne jamais. « Mon ami, a-t-il dit, tuera plus de Portugais quand il saura que Jakaré est près de lui. » Et pendant l’attaque il s’était toujours placé de manière à pouvoir couvrir de son corps le corps de Tamandua. Arrivés près de leurs compagnons, les archers rendent compte du nombre des morts ; les sauvages conviennent d’attendre le jour pour reprendre le siége ; ils s’asseient alors, posent leurs armes à terre, demandent des histoires aux chanteurs, et ne tardent point à s’abandonner au plus profond sommeil, sans avoir eu le soin de placer des gardes avancées, et sans songer qu’ils peuvent être surpris[32] ; ils pensent que, puisqu’ils sont fatigués et qu’ils se reposent, l’ennemi doit être fatigué, et doit se reposer comme eux.
Cependant : « Homme, disait Jakaré à Tamandua, tu as tué des Européens, repose-toi. »
« — Ton ami n’est pas fatigué, répond l’amant d’Inez ; mais toi même dors, tu étais avez nous.
« — J’y étais, non pas pour combattre, mais parce que cela me réjouissait. Tamandua est si adroit ! Que j’aime à lui voir lancer une flèche, à le voir se courber avec la souplesse du serpent, et suivre de l’oeil cette flèche, qui est toujours une flèche de mort ! Le plaisir ne fatigue pas ; je ne veux point dormir. »
Le sommeil ferme bientôt les yeux de Tamandua ; Jakaré est près de lui, debout, la main appuyée sur sa massue, et dans une immobilité complète.
Pendant que le silence règne au camp brésilien, Coutinho assemble son conseil à la hâte.
« Vaillans seigneurs, dit-il, notre position est dangereuse, ne nous le dissimulons pas. Si les naturels persistent à continuer le siége, les vivres nous manqueront bientôt ; quant aux munitions, vous le savez , elles sont presque épuisées. Il faut qu’une résolution périlleuse, il est vrai, mais digne de nous, nous fasse remporter la victoire ; il faut étonner les barbares. Les sauvages doivent reposer maintenant sans nulle crainte ;que mes Lusitaniens fondent sur eux à l’improviste ; attaqués vigoureusement, leur perte est certaine. Le ciel nous favorise, les nuages voilent la clarté de la lune ; protégés par l’obscurité, nous approcherons les Indiens sans être découverts. Qu’une partie de mes troupes garde la citadelle, que l’autre aille au camp brésilien semer la terreur et la mort. »
Le dessein du gouverneur est approuvé, et mis à exécution sur-le-champ. Au milieu des ténèbres, les soldats portugais, sous la conduite d’Almada, s’éloignent en silence de San-Salvador ; mais ils n’ont pu tromper la vigilance de Jakaré, toujours attentif et immobile. Au premier bruit qu’il entend, il se penche, approche son oreille de la terre[33], et retient son haleine. Il écoute, il a souri.
« — Ce sont les pas des hommes d’Europe, dit-il ; ils marchent ainsi, je le sais : ce sont eux. Ne point laisser dormir mon ami ! On les tuera ! »
Et il éveille Tamandua et ses compagnons, en poussant le cri du hibou. Les sauvages se lèvent sans bruit, saisissent leurs massues, prêts à marcher dès qu’ils verront les Portugais.
Cependant un vent impétueux emporte tout-à-coup au loin l’orage qui menaçait d’éclater. Dégagée des sombres vapeurs qui l’entouraient, la lune jette sa clarté sur l’horizon pur et serein ; elle apparaît dans toute sa beauté, et, répandant sur le lieu du combat ses longs reflets argentés, fait succéder une vive lumière à la plus profonde obscurité. Les soldats de Coutinho, qui d’abord croyaient aller à un massacre, sont saisis d’effroi en voyant l’infériorité de leur nombre, et l’armée indienne, la massue levée, l’arc tendu, prête à fondre sur eux ; ils ne peuvent plus reculer, et les sauvages se précipitent en poussant d’affreux hurlemens sur les troupes européennes, qui font feu sur la masse désordonnée qui s’avance vers eux. Un grand nombre d’Indiens tombent blessés ou frappés de mort ; mais cet échec n’arrête point les Tupinambas. Une nuée de flèches est lancée sur les aventuriers, et, avant qu’ils aient eu le temps de recharger, les tribus alliées ont déjà tendu vingt fois la corde de leurs arcs. On s’approche, on se mêle, au milieu des rangs ennemi, les massues promènent le ravage et le trépas.
Pindobuza étonne ses alliés par la force de son bras ; il est couvert de sang et de poussière. Non loin de lui, on voit Catherine : elle joint au courage des hommes de sa nation la prudence et le coup d’oeil de l’Européen. Tantôt son poignard s’enfonce au flanc d’un chef, tantôt sa flèche redoutable renverse le soldat audacieux qui l’ose menacer. Mais Jakaré et Tamandua font surtout des prodiges de valeur ; le premier ne quitte jamais son ami.
« — Tu es trop courageux, dit-il ; ces hommes te tueront, et au contraire il faut les tuer ! »
S’il voit que Tamandua ne combat que deux ennemis à la fois, il lui laisse l’honneur de vaincre, et sourit en disant :
« — Comme Tamandua est fort ! comme il est adroit ! Les Portugais tombent sous ses coups de même que les cocos tombent sur la terre lorsque le vent secoue les arbres. »
Et lorsqu’il le voit près de succomber sous un grand nombre d’ennemis, il laisse les aventuriers qu’il combat, en leur criant :
« — Je ne suis pas lâche, je ne fuis pas : attendez-moi ; je vais sauver mon ami. Jakaré reviendra. »
Puis il délivre Tamandua, et revient à ses adversaires.
Pindobuza veut redoubler encore dans l’ame des siens la soif du carnage :
« — Pourquoi, leur dit-il, les hommes Tamoyos n’ont ils pas déjà tué tous les hommes portugais ? Est-ce qu’ils sont effrayés du bruit des tonnerres ? Oh ! non : mes guerriers sont sourds lorsque le génie de la peur veut leur commander. Tamoyos ! vous croyez Pindobuza, le chef, le Grand-Palmier ; le Grand-Palmier dit : « Tant que le perroquet regarde le chasseur, la flèche glisse sur ses plumes luisantes. Tel est le Tamoyos : tant qu’il regarde sans crainte le danger, tant qu’il voit le vissage de son ennemi, les tonnerres glissent sur sa poitrine : les tonnerres ne blessent que par derrière, ils ne vous blesseront pas. »
« Cela veut dire que vous êtes braves. »
Mais Pindobuza s’adressait à des guerriers devenus immobiles, et dont toute l’attention s’était portée sur deux combattans qui, éloignés de quelques pas du gros des troupes, et placés sur un tertre qui les mettait en vue des Brésiliens et des Portugais, s’attaquaient avec acharnement. Chacun paraît oublier son propre adversaire, et l’intérêt qu’on prend à cette sorte de duel a suspendu pour un moment le combat général.
Le fils d’Ombu était aux mains avec l’époux d’Inez. Au fort de la mêlée, ils s’étaient rencontrés et reconnus. Almada n’avait point oublié les traits de celui qui, dans la première bataille livrée aux Américains, l’avait mis aux portes du tombeau. La honte d’avoir été vaincu par ce jeune homme et le désir de la vengeance guidaient à la fois son bras. De son côté, Tamandua, en apercevant le chef lusitanien, avait poussé des cris de joie, et laissé son arc pour une massue tranchante.
Les deux combattans se frappent avec une égale fureur : l’adresse seule peut terminer cette lutte. Tout-à-coup l’épée d’Almada se brise : le brave Tamandua jette au loin sa massue. Alors leurs bras vigoureux s’entrelacent. Tour à tour ils se soulèvent et s’ébranlent, se replient, s’abaissent et se relèvent. Pied contre pied, poitrine contre poitrine, ils cherchent á se terrasser ; ils confondent leur souffle embrasé ; la tête haute, les muscles frémissans et tendus, s’étreignant avec rage, ils offrent aux spectateurs l’image d’un colosse formidable. Mais aucun d’eux ne succombe ; et, voyant qu’ils s’épuisent en vains efforts, ils allaient reprendre leurs armes, sans que les sauvages ravis songeassent á les interrompre, lorsque deux Portugais, particulièrement dévoués à Almada, se glissent jusques au prés des deux adversaires, pour se joindre á leur chef. Alors Jakaré, dont l’oeil suivait chaque mouvement de son ami, s’élance vers les soldats qui viennent seconder Almada :
« — Lâches ! s’écrie-t-il, je veille sur mon ami ! Il faut donc trois braves de votre nation pour combattre un jeune Tupinambas ! Votre cacique verra ce que c’est qu’un vrai brave : je suis Jakaré ! »
A ces mots, dédaignant de vaincre les deux soldats, il s’approche d’Almada, en le défiant et en l’insultant.
A leur tour les aventuriers s’avancent pour soutenir leur chef, et la bataille redevient générale.
Le nombre des guerriers du fort diminue à tout moment ; Almada, ne pouvant plus. Résister aux sauvages, ordonne la retraite. Les troupes se replient sur San-Salvador, en maintenant toujours un feu capable de tenir l’ennemi à une distance qui lui permette de rentrer dans la citadelle sans tumulte et sans confusion.
JAKARÉ-OUASSOU.
O horrible, horrible, most horrible !
SHAKESPEARE.
Que devenait Gonzalez ? D’infâmes scélérats, vendus à Almada, devaient, à la faveur des ombres de la nuit, emporter son cadavre, et le jeter dans les flots de la baie. D’après l’ordre qu’ils ont reçu, ils pénètrent dans l’appartement où le fils de Coutinho est baigné dans son sang ; ils s’en emparent, et sortent par une porte dérobée, silencieux, et fuyant tous les regards ; ils s’enfoncent sans bruit dans un souterrain obscur qu’il faut traverser pour atteindre le rivage, portant sur leurs bras le jeune Portugais qu’ils croient mort, et qui n’est qu’évanoui. Ils ont à peine fait quelques pas, que des gémissemens, qui s’échappent des ténèbres, viennent frapper leur oreille timide ; les superstitieux Portugais pensent entendre l’ame plaintive de quelque sauvage enchaîné, et mort en ce lieu. Plus ils avancent, plus les gémissemens redoublent, et plus ils sont épouvantés. Enfin le courage les abandonne ; ils jettent là le corps de Gonzalez, et s’enfuient.
Gonzalez est resté long-temps encore privé de sentiment dans le réduit où il se trouve, étendu sur le sol humide ; mais sa jeunesse doit triompher : sa poitrine se soulève légèrement, un faible soupir sort de ses lèvres ; il revient à la vie, ou plutôt aux souffrances. L’obscurité l’environne, il cherche à rassembler ses idées ; son combat avec l’époux d’Inez s’offre à son esprit, et l’accable d’un poignant souvenir ; mais il ne peut comment il se trouve dans cet endroit fétide ; l’air qu’il respire l’étouffe, et l’humidité de la pierre contre laquelle il est appuyé irrite encore la douleur de sa blessure. Cependant il cherche à se dérober à lui-même pour déplorer le malheur d’Inez ; il ne doute point qu’Almada ne se soit empressé d’accomplir son hymen. Gonzalez cache son front décoloré entre ses mains tremblantes, des larmes sillonnent ses joues, et le nom d’une soeur chérie s’échappe avec ses sanglots.
Tout-à-coup, dans l’obscurité, à quelques pas du jeune Portugais, un soupir étouffé se fait entendre. Au même instant, une main glacée parcourt le corps de Gonzalez, et s’arrête pesamment sur son bras. Le Lusitanien frissonne, ses cheveux se dressent d’horreur ; alors une voix lente et sépulcrale :
« — C’est un Européen : je les connais ; leurs membres sont faibles comme le roseau. C’est un Portugais : il a pleuré. »
Gonzalez a reconnu le langage d’un Tupinambas, sa terreur se change en pitié ; sans doute son compagnon d’infortune est une victime de ses compatriotes, plongée et oubliée dans les cachots du fort : il le plaint.
« — Tu souffres, pauvre sauvage !
« — Que veut dire le Portugais ? moi souffrir ! Non, je ne souffre plus. Depuis le jour où je me suis fait une massue de l’arbre enlevé sur la terre des ennemis, je ne me suis jamais plaint de la douleur. Souffrir ! c’est pour les enfans, ou pour les Européens[34] »
C’est ainsi que cet Indien cherchait à cacher les maux qu’il endurait.
Oh ! si le soleil éclairait ce réduit !
Depuis plus de six jours le sauvage n’avait pris aucune nourriture ; la plupart des blessures qu’il avait reçues au combat étaient gangrenées, et son corps était devenu la proie des insectes.
« — Êtes-vous enchaîné ? dit Gonzalez.
« — Nous, répond l’Américain : lorsque les tiens ont vu que ma chair était faible comme celle d’un vieillard, parce qu’ils ne la nourrissaient pas ; lorsqu’ils ont vu que les vers me mangeaient (les vers me mangent !), ils m’ont ôté ma chaîne en disant : « — Cet homme mourra ! » Et ils l’ont donnée à un autre Tupinambas, parce qu’ils savent que les fils de Tupan sont forts, et que la liane est trop faible pour leurs bras.
« — Infortuné ! depuis quand êtes-vous dans ce cachot ?
« — Les yeux du fils de mon épouse ont peut-être dormi six fois depuis que tes frères ont dit : « — Voilà un prisonnier. »
Je ne fuyais pas. »
Il s’arrêta un moment, et il reprit:
« — Si mon fils savait où je suis, il m’apporterait de sa chasse ; la tête de mon fils ne s’élève guère au-dessus de celle de la biche, mais mon fils est déjà adroit, et mon fils aime son père. Son père voudrait manger.
« Non, je ne fuyais ; mais les Portugais ont fondu sur moi comme les corbeaux sur un chevreuil blessé. J’était blessé. Maintenant les hommes de la tribu mangent avec leurs femmes. » Ici le sauvage voulut faire un mouvement ; il était trop faible pour s’avancer vers le Portugais ; ses mains s’agitaient dans l’obscurité, comme pour saisir une proie.
Gonzalez dit :
« — Qu’avez-vous ? »
Le sauvage répondit :
« — J’ai faim. »
Puis ; en pressant contre le roc sa tête vacillante, il ajouta :
« — Il y a long-temps que j’ai faim. »
Gonzalez frémit. Il voit que l’Américain, tourmente, se débat contre les angoisses du besoin. Son coeur généreux voudrait pouvoir le soulager, mais il n’en a pas les moyens ; faible et soufrant lui-même, il peut à peine se soutenir. Sa voix du moins prouve au sauvage qu’il compâtit à ses maux.
« Tu me plains, dit le guerrier ! oh, si tes yeux pouvaient voir mon corps ! chacun de mes membres a autant d’ennemis à combattre que ma tête a de cheveux. Je ne suis point un Esprit, je n’ai pu empêcher les vers de me ronger ; ils me rongent, ils habitent mes plaies ; tout mon corps n’est qu’une fourmilière ; je ne puis manger, et je sens qu’il me mangent. Leur ventre froid s’alonge et se replie sur ma chair saignante... »
Un cri d’horreur interrompt l’infortuné ; mais le sauvage prend la main de Gonzalez, et la promène avec un rire triomphateur sur de larges plaies.
« Enfant, dit-il, j’ai autant de courage que de faim, et je ne suis point un vil esclave des Anhangas[*]. Celui que tu touches a été chef, le chef se nomme Urugu ; il avait pour père le père d’un fils brave ; il a vaincu trois fois les Maques, parce que les Maques l’ont combattu trois fois... Oui, je suis le chef. Urugu veut dire : le corbeau dur. J’ai tué Jaguar-Ioup, le tigre jaune ; j’ai fait prisonnier Sco-Assou, le chevreuil agile ; j’ai mangé Caorobmacorandiba-Ouassou, le grand arbre. Ma flèche est tombée chez les Ovécates, chez les Margates, chez les Pitiguares, et chez tous ceux qui ont levé la massue contre les Tupinambas, et qui ont réveillé mon fils dans son berceau par leurs cris de guerre. »
A chaque parole qui sortait de sa bouche, le sauvage s’animait, et semblait, en dépit de la mort qui le menaçait, reprendre une vigueur nouvelle. Il dit tous ses exploits au désert ; mais la souffrance le rappela soudain à lui-même, et, oubliant cet esprit de forfanterie qui abandonne si rarement un sauvage, la nature reprit ses droits. Il était abattu ; il voulut chanter encore, mais sa chanson ne fut que regrets. Elle disait :
« J’étais guerrier, j’étais brave, et cependant il faut mourir.
« Mon père me prenait dans ses bras : « Urugu, disait-il, j’aime mes cheveux blancs, parce qu’ils couvrent la tête d’un père heureux. »
« Celle que j’aime et qui est mon épouse ornait mon front de plumes éclatantes. Elle venait me demander si l’ennemi avait fui devant moi, ou s’il avait été tué.
« Celle que j’aime m’avait dit : « Urugu, grand-chef mon bien-aimé, quand les petits du zabélé sortiront des oeufs de leur mère, tu seras pères pour la seconde fois. »
« Le zabélé a fait ses petits ; ma fille était belle, elle souriait à son père ; et cependant il faut mourir. »
L’Indien se tut, il était épuisé. Il resta un moment plongé dans sa pensée ; ses dernières paroles auraient pu faire croire qu’il avait oublié qu’un Portugais était à côté de lui ; mais tout-à-coup il releva la tête avec force, en s’écriant : « — Je n’ai pas dit que je craignais la mort, » et il retomba dans un morne silence.
Le sauvage était en proie à la faim, au sommeil, et aux souffrances que lui causaient les insectes, nés dans sa chair, et qui dévoraient les plaies vives ; cependant la violence de ses maux ne pouvait lui arracher un seul cri, un seul geste. A voir l’immobilité de ses membres avait une ame pour commander à la douleur.
Gonzalez appuie sa tête contre le rocher ; les fatigues qu’il a éprouvées, et la perte de son sang, contribuent à lui donner un repos bienfaisant ; malgré l’humidité du sol, et quoique la scène dont il vient d’être témoin l’ait fortement ému, il ne tarde pas à sommeiller.
Le sauvage expirait lentement. Son silence indique son agonie ; mais soudain il s’agite convulsivement ; ses yeux roulent au hasard dans leur orbite enflammé. Sa bouche desséchée s’ouvre et se ferme incessamment. Une horrible pensée a frappé son esprit. A côté de l’anthropophage est un Portugais ; il dort. Un éclair de joie traverse le visage d’Urugu. Il se traîne vers Gonzalez, et, réunissant ce qui lui reste de forces, il saisit le bras du fils de Coutinho, le porte à sa bouche, et y imprime ses dents ; Gonzalez se relève épouvanté de l’action du sauvage, qui ne fait plus qu’obéir au besoin qui le guide. Le corps d’Urugu souffre toujours, mais sa raison l’a déjà abandonné ; convulsivement, et poussé par l’instinct de la bête, chancelant au milieu des ténèbres, il cherche à se ressaisir de sa nourriture, et le portugais se débat contre l’horrible fou ; celui-ci se jette sur Gonzalez, et étendant les bras, colle sur lui ses mains décharnées, tandis que le convulsivement de ses dents décèle ses épouvantables convulsions. Tout-à-coup cette lutte effrayante est interrompue par un bruit sourd auquel succèdent des cris prolongés : Urugu vient d’entendre la voix des Tupinambas ; et son délire augmentant de plus en plus, il s’écrie, joignant les mains et se soulevant sur les genoux :
« Oh ! j’entends la voix de mes frères. Voici mes frère du pays des ames ; voici le pays des ames ! Tupinambas, je suis un homme de votre tribu ; j’ai été brave, j’ai faim ; donnez-moi de la chair. »
Aucune force morale ne gouverne plus le malheureux sauvage ; ses forces physiques l’abandonnent entièrement,... il expire !
Tandis que les entrailles de la terre recelaient cette scène d’horreur, la nuit prêtait ses voiles à un autre spectacle.
Après la retraite des portugais, les chefs indiens se réunirent en conseil. Plusieurs opinions sont tour á tour présentées et rejetées ; enfin un expédient proposé par Tamandua est adopté, et mis á exécution sur-le-champ. Mille flèches, au bout desquels brûle du coton, se dirigent sur San-Salvador, et, tombant en pluie de feu, y portent l’incendie, qu’un vent impétueux vient encore augmenter ; tous les efforts des Portugais sont vains pour l’arrêter, et les naturels suivant les progrès du feu, s’avancent avec les flammes, qui montent et tourbillonnent dans les airs. Hors la fuite, nul espoir de salut ; mais les Tupinambas entourent le fort et se partagent les victimes ; tous les édifices crient et fument ; les poutres embrasées et les solives craquent et croulent consumées ; les toitures s’affaissent, et tombent, entraînant des murailles noircies.
Les cendres brûlantes couvrent les flots de la baie, et le fort ne présente plus qu’un immense squelette ardent.
Catherine, l’audacieuse Catherine, á la tête d’une troupe de guerriers, marche sur le corps de vingt ennemis droit aux prisons de San-Salvador : Caramourou est là ; c’est qu’est son devoir. Elle a brisé elle-même les fers de son époux, elle l’a rendu à la liberté et aux Brésiliens.
Coutinho, retiré dans ses derniers retranchemens, profite du moment où les sauvages, ravis de la délivrance de Caramourou, suspendent le carnage, pour se jeter, avec quelque aventuriers et Almada, dans de frêles embarcations ; ils abordent à la hâte les vaisseaux qu’ils ont à l’ancre ; et, pour comble de honte, le jour qui vient de paraître éclaire et leur fuite et leurs désastres. C’est en vain que les naturels se précipitent dans les flots de la mer pour atteindre le reste des ennemis : les navires mettent à la voile, et s’éloignent rapidement de Bahia.
Long-temps avant de quitter le rivage, Coutinho et Almada, bravant la massue américaine, ont inutilement cherché Inez. Dès le commencement de l’incendie, la vierge s’était rendue au pied des autels.
Lors du départ des portugais, les flammes n’avaient point encore atteint l’église de San-Salvador, seule au centre d’une place, ne touchant à aucun des autres édifices.
Inez n’a pas abandonné ce lieu, où calme et résignée, elle attend en paix l’instant qui doit terminer sa vie. Au milieu du tumulte qui l’environne, toutes ses pensées se dirigent vers l’Éternel. Elle priait, lorsqu’à travers les colonnes du temple un guerrier s’avance vers elle : la vierge se cache sous son voile ; le guerrier s’arrête ; il est pâle, son sang coule ; il est blessé ; un soupir s’échappe de ses lèvres, Inez porte un regard timide sur l’Indien ; elle a frémi, elle a vu tamandua !
« — Inez, dit-il, voici ton amant ; je t’ail délivrée des portugais ; je l’avais dit. Viens, fuyons, fuis la grande case : mes compagnons vont la brûler. »
La fille de Coutinho ne répond point : son regard est fixe sur la blessure du cacique ; il s’en aperçoit.
« — Ce n’est rien, dit-il, » cherchant à déguiser sa souffrance ; mais sa faiblesse ne le dément que trop, il est forcé de s’appuyer contre l’un des piliers. Au même instant les Tupinambas se précipitent dans l’église en poussant leurs cris de guerre.
Le courage d’Inez l’abandonne à l’aspect de ces sauvages noircis par la fumée, couverts de sang et de poussière ; la vierge, tremblante, pâlit : son coeur se serre ; elle tombe évanouie sur les marches de l’autel.
Jakaré entrait :
« — Que fait mon ami ? dit-il.
« — Jakaré, répond Tamandua, les tonnerres ont percé ma chair ; mais je mourrai si l’Européenne ne vient pas à Cotiva. Je ne puis la prendre dans mes bras. Si quelque guerrier allait frapper mon amie ! Oh ! défends-là ! Elle est belle ! porte celle que j’aime à l’aldée. »
Il accompagne ces paroles de gestes expressifs.
Jakaré , qui ne sait qu’obéir lorsque son ami a parlé, répond :
« — Tamandua, sois tranquille : Jakaré veillera sur la femme de ton coeur, comme la jeune mère sur le berceau de son fils. »
Et il soulève doucement la vierge. Charge de ce précieux fardeau, il sort de l’enceinte du temple. Son plus grand regret est de ne pouvoir continuer le massacre de quelques portugais qui n’ont pas voulu suivre leur chef, préférant la mort à une fuite honteuse ; et la plus forte preuve d’amitié qu’il puisse donner au jeune cacique est de quitter le premier le lieu du combat. Inez est toujours privée de sentiment, et Tamandua, l’oeil fixé sur le visage de la vierge, suit lentement Jakaré .
Cependant les sauvages vainqueurs achèvent de détruire tout ce qui rappelle la tyrannie : l’église est incendiée ; le faible nombre d’Européens qui cherchaient encore à se défendre tombent enfin sous la massue, ou sont faits prisonniers.
Caramourou avait cherché en vain à sauver quelque édifices, et le surtout, des flammes dévorantes. Rien ne pouvait arrêter la fureur des naturels : ils avaient attendu cinq années[*] le jour de la vengeance. Tout ce qui peut se rattacher au souvenir des oppresseurs est impitoyablement détruit, et San-Salvador n’offre plus qu’un monceau de cendres.
Les sauvages, ayant à leur tête Caramourou et Catherine, qu’ils ont couronnés de fleurs, se mettent en marche pour Cotiva. La joie est dans tous les regards, sur toutes les lèvres, c’est á qui chantera le mieux ses exploits.
UN VIEILLARD.
« C’est moi qui ai été le plus mutilê dans le combat ; c’est moi qui dois commencer á chanter les paroles de la victoire. Or, moi qui suis vieux et mutilé, je chante :
« Les flèches ont fait couler le sang ; les oiseaux des forêts se sont envolés loin, loin, parce que nous avons crié : « Périssent les Européens ! »
« Nous mourions heureux sous les arbres de notre pays ; nos femmes étaient á nous ; les chasseurs chassaient en paix ; le vieillard, en touchant ses cheveux blanchis, disait : « On me respecte ; » les guerriers pouvaient se reposer, tranquilles sur les nattes, pendant tout un soleil ; rien ne troublait les femmes lorsqu’elles allaient travailler à la terre.
« Un homme arrive de la grande mer, Coutinho, un tyran.
« Depuis que l’étranger dormi parmi nous, les jeunes filles oublièrent qu’elles avaient eu peur des serpens dont le ventre glisse sur l’herbe ; elles ne tremblaient plus qu’en présence de l’étranger, tant il était méchant l’étranger des pays de la mer ! Lorsque l’homme portugais laissa pour la première fois la trace de ses pas sur le sable de notre terre, ses paroles étaient celles d’un ami ; nous avons dit : « Voilà un ami ; réjouissons-nous ! » car nos coeurs étaient simples ; mais l’étranger était le frère du tigre, et nous dîmes : « Qu’il meure ! il nous a trompés ! » car nos coeurs aimaient la vérité ?
UN JEUNE HOMME.
« Un jour celle que j’aime parce qu’elle est belle, se promenait dans la forêt, et allait chanter aux oiseaux les chansons que sa mère, la matrone, lui a dites lorsqu’elle la portait suspendue à son sein. Celle que j’aime rencontra un tigre ; aussitôt ma bien- aimée, qui se nomme Yaci[*], voulut s’enfuir ; mais au même instant elle aperçut un Portugais ; le portugais s’avançait vers elle. Alors Yaci, dont la bouche est plus fraîche que l’ananas, sentit trembler son corps. L’homme méchant approchait...... Mon amie se précipite vers le tigre, et lui dit : « Beau tigre, ta femelle est la plus belle ! Bon tigre, tu es vaillant, sauve-moi du portugais ! »
LE VIEILLARD.
« Coutinho bâtit une grande case sur le bord de la mer ; il planta sur notre terre ; il chassa dans nos bois, sans nous demander à nous, vieillards, qui sommes sages, si cela était bien. Il nous dit que le cacique de sa nation était puissant ; nous dîmes : « Cela peut être. » Il nous dit que ce cacique lui avait donné une grande partie du pays des tupinambas ; nous dîmes : « Cela n’est pas. » Il nous dit que nos arbres, notre aldée, nos cases, nos prisonniers et nos armes n’étaient plus à nous ; nous répondîmes : « Tu mens. » Et notre visage devenait rouge de colère.
« L’étranger disait : « Vous n’êtes que de pauvres hommes ; votre religion est bonne à raconter aux enfans suspendus au sein des femmes : « vous êtes ignorans ; » nous répondions : « Nos pères ne nous ont jamais dit cela. »
UN JEUNE GUERRIER.
« Les jeunes guerriers ont dit entre eux : Il nous faudra bien tuer et manger cet homme. »
UN CHEF.
« L’étranger a dit : « Combattons ! je vous foulerai aux pieds comme le vent foule l’eau des fleuves. »
LE VIEILLARD.
« L’étranger n’était que le fils de l’homme et de la femme : nous ne craignons que les Génies.
LE CHEF.
« Oui, nous avons dit, en frappant nos massues contre la terre : « Que les tacapes[*] brisent la tête de l’étranger ! les Tamoyos sont des braves ; qu’ils viennent avec nous combattre cet homme qui a le mensonge sur les lèvres. »
UN Tamoyos.
« Les hommes de coeur s’entendent ; nous sommes venus, car nous sommes vos alliés, et nous avons dit : « Nos massues frapperont ensemble ! » Les Européens lançaient la foudre, nous ne lancions que la flèche, et cependant nous avons jeté le cri des vainqueurs : nos bras sont forts.
« Que vous êtes braves, ô Tupinambas !
UN TUPINAMBAS.
« Que vous êtes braves, ô Tupinambas !
UN VIEILLARD.
« Nous sommes vainqueurs !
UN CHEF.
« Nous sommes vainqueurs !
UN GUERRIER.
« Nous sommes vainqueurs !
« Je t’aime, ô ma belle massue ! Comme tu es rouge de sang ! Combien as-tu tué de Portugais ? Je te placerai sur le berceau de mon fils ; mon fils te sourira, et sa mère lui dira : « Tu es le fils d’un brave ! »
« Je ne m’appuierai sur toi que dans les jours de fêtes ! Tu es trop belle et trop rouge de sang pour casser la tête des simples guerriers : tu ne tomberas que sur la tête des chefs, aux grands massacres.
« Je ne chasserai plus le daim et le cerf avec cet arc : je le déposerai pendant tout un soleil sur les genoux de ma bien-aimée ; je le poserai sur les cheveux blancs de mon père ; je lui dirai : « Que tu es heureux d’avoir un fils brave ! » et il répondra : « C’est comme cela qu’il faut parler ; tu es mon fils ! »
« O mon arc ! tu ne me serviras que lorsque je voudrai abattre l’aigle aux pieds de mon amie !
UN CHEF.
« Et moi, je suis le chef ; le chef a été vaillant : il a ri des tonnerres d’Europe ; il épouvantait l’ennemi comme le torrent qui gronde sous les rochers ; il rugissait comme le tigre ; sa massue tombait sur la tête des portugais avec plus de fracas que l’arbre renversé par l’orage dans les eaux du fleuve. Le chef a vu des européens lui demander grâce, et le chef a dit : « Non ! » Et il a frappé, et il a entendu le craquement de leurs os.
« Je dirai à mon père : « Vieux palmier, tu peux mourir tranquille, car ton fils a été brave, et les noms des pères des fils braves sont encore prononcés avec respect parmi les hommes, au-delà de vingt mémoires de vieillards. »
[*] Esprits infernaux qui tourmentaient les Indiens.
[*] Voyez Alphonse de Beauchamp, Histoire du Brésil.
[*] Yaci ou jaci veut dira lune : les Tupinambas ne prononçaient pas bien la lettre J. Léry rapporte qu’ils l’appelaient toujours Yen (Jean) Léry.
[*] Les massues : elle étaient très-longues, quelquefois tranchantes, et d’un bois excessivement dur.
JAKARÉ-OUASSOU.
Où peut-on couler des jours plus heureux qu’au
Sein d’un peuple chez lequel l’amitié est une vertu
journalière ? Dans un banquet, dans une réunion, partout
on trouve des amis, partout le coeur s’épanche.
GALL, Fonctions du Cerveau.
Tous les convives portent des mains avides sur les
Mets qui sont servis devant eux. Quand leur faim est
calmée, quand leur soif est éteinte, ils se livrent à la
musique, aux concerts et à danse, qui embellissent
et couronnent les festins.
HOMÈRE
LE soleil luit.
Gonzalez, toujours pâle et toujours faible, est resté dans cette espèce de tombeau où les satellite d’Almada l’avaient abandonné, jusqu’à ce que le bruit qu’il entendait eût cessé. Quoique accablé de souffrances morales et physiques, le repos qu’il a pris a ranimé ses forces. Il se lève, et, rétrogradant vers l’entrée du souterrain, il aperçoit la lumière du jour. Mais, hélas ! quel spectacle vient frapper ses yeux épouvantés ! il n’est plus de San-Salvador !
Le fort n’élève plus dans les airs sa masse orgueilleuse ; ses débris, encore fumans, noircis par la flamme, attestent seuls qu’il exista. O fragilité des choses d’ici-bas ! Là, quelques jours auparavant, à cette même place, étaient des Iambris dorés ; là, il y avait des fêtes, des jeux, des plaisirs..... Maintenant, la mort ! la mort ! et partout la mort !!!
Le fils de Coutinho est dans l’immobilité du désespoir.
Sa première pensée est pour son père, pour sa soeur. Passant sa main sur son front, il cherche à se persuader qu’un songe s’est emparé de lui. Il s’approche, touche, examine, touche encore :
« — Oui, dit-il, ce sont bien des pierres ; elles sont brûlantes ! »
Et en parlant ainsi, il remuait les débris de San-Salvador. Soudain il recula épouvanté ; il venait d’apercevoir sous les décombres des cadavres portugais. Gonzalez se rappela alors les cris qu’il avait entendus dans le souterrain ; puis, rassemblant toutes ses idées, il vit que les sauvages avaient attaqué les portugais, que ceux-ci avaient été vaincus, et peut-être tous massacrés. Cette pensés que son père et sa soeur avaient infailliblement péri, vint l’accabler de tout son poids. Il soupira. Il s’assit sur une colonne noircie et brisée.
« — Hélas ! dit-il en jetant un regard sombre autour de lui, voilà donc ce que ce riche pays nous promettait ! tel était donc le sort qui nous attendait au Brésil ! O mon père ! et toi, soeur chérie ! que n’ai-je pu du moins combattre pour votre défense ! Horrible Almada ! tu me portes aujourd’hui le plus douloureux, le plus déchirant de tes coups !..... Sans toi, j’aurais péri en couvrant de mon épée la tête de mon père et celle d’Inez ! D’Inez ! Ah ! monstre ! elle ne sera pas ton épouse ; et si le bras d’un frère n’a pu te l’arracher, la mort t’a ravi ta victime !..... La vierge est aux cieux ; et toi, puisse le Dieu vengeur..... »
Il s’arrêta : il est un sentiment qui empêche de maudire sur des ruines..... !
La tête de Gonzalez est retombée sur sa poitrine ; mais ces débris qu’il foulait agissaient trop violemment sur son coeur. Il se leva, et s’enfonça dans les forêts.
Elles retentissaient encore des cris d’alégresse qui marquaient l’arrivée des sauvages á Cotiva. Les femmes et les enfans des Tupinambas avaient rencontré les alliés à quelque distance du village, et mêlaient leurs acclamations à celles des guerriers vainqueurs. Catherine, la belle, la courageuse Catherine, et son époux Alvarez-Caramourou, sont fêtes et accueillis avec transport par les nouveaux venus. Chacun veut les voir, les bénir, et les presser entre ses bras. La case du couple bien aimé, un peu distante de l’aldée, a été conservée avec un soin religieux. Les deux époux l’habitent seuls. Ils y jouissent de toutes les commodités de la vie ; c’est là qu’Alvarez a déposé tout ce qu’il avait sauvé de son naufrage sur les côtes de bahia, et tout ce qu’il a apporté d’Europe, lors de son voyage á la cour de France. Le respect est la garde de la case de l’ami de l’Indien, et aucun sauvage, sans la volonté de Caramourou, n’oserait franchir le seuil de cette demeure sacrée.
Alvarez avait á peine revu ses chéris, que Tamandua se présente devant lui. Ses forces sont épuisées par la perte de son sang.
Il est pâle et défait.
« — Caramourou, dit-il, tu es l’ami de la tribu ; tu es l’ami de tamandua. Inez, je l’aime ; elle n’a point fui avec son père : mon ami l’a apportée jusqu’ici. Permets qu’elle entre dans ta case. Nos guerriers sont couverts de sang, cela épouvanterait mon amie. Mon amie est une colombe. »
A ce nom d’Inez, le Portugais a fait un signe d’adhésion. Il lui doit toute sa reconnaissance ; c’est sa tendre pitié qui souvent sut adoucir l’amertune de sa captivité ; vingt fois même elle implora la grâce du couple malheureux, et les deux prisonniers ont appris à la chérir. La jeune Portugaise est déposée sur un hamac, et confiée aux soins de Catherine la chrétienne. Tamandua ne veut point l’abandonner avant de l’avoir vue revenir à la vie ; mais Jakaré l’entraîne. « Ami, dit-il, le piaye te guérira ; tu es blessé, je ne veux pas que tu souffres ; il faut qu’il te guérisse. »
Quoique abattu et presque sans vigueur, Tamandua s’éloigne avec l’espoir de revenir bientôt au hamac de l’étrangère.
Sous sa case, Ombu attendait un fils chéri. Tamandua s’approche, haletant et épuisé de fatigue. Il se jette dans les bras de son vieux père ; et Jakaré :
« — Ombu, ton fils est vaillant ; il a tué bien des Portugais ; regarde sa massue, vois comme elle est rouge ; mais le sang de l’étranger n’a pas coulé seul ; les tonnerres ne savaient pas qu’il était ton fils et mon ami, les tonnerres l’ont blessé. Il est blessé, Tamandua.
« — O Tupan !!! Il s’écrie. Ombu, d’ami de me cheveux blancs ! Mon fils, comme il est pâle ! ils l’ont blessé.
« — Blessé ! » répète une voix de femme. Tamandua se retourne du fond de la case, une Indienne, cachée par l’obscurité, s’élance avec rapidité. En voyant entrer tamandua, Moëma avait caché sa tête dans ses mains, et des pleurs coulaient de ses yeux. L’infortunée était venue s’asseoir sur la natte d’Ombu pendant que le jeune chef combattait. Le sommeil n’avait pas fermé ses paupières. Elle entretenait le vieillard de son fils, de la valeur du jeune cacique ; et de son amour.
« Blessé ! » reprit-elle ; et, accorant vers Tamandua : « — O bons Génies, grand Esprit, pourquoi faire couler son sang ? Tamandua, je suis ton amante fidèle... Où est ta blessure ? mon amour la guérira, mes baisers la fermeront. Où est ta blessure ? mes pleurs couleront sur ta plaie avec le jus des herbes qui guérissent. Oh ! les méchans hommes d’Europe ! ils ont frappé mon ami si beau ! » Les pleurs inondent son visage : son coeur est déchiré par la douleur. Elle souffre plus que son amant. Cruel destin de l’homme ! la vie entière s’écoule dans l’amertune du coeur, et l’enfant qui vient de naître ne voit le jour qu’à travers un déluge de larmes. Moëma s’éloigne, suivie de Jakaré : elle court chercher le piaye, se le rend favorable par des présens, et obtient de lui la promesse de guérir le cacique. Elle veut aider le devin, et l’accompagne dans la forêt, d’où ils reviennent bientôt avec des plantes médicinales.
Cependant les principaux chefs sauvages se réunissent au carbet[*] en grand conseil.
Les Tupinambas adressent aux alliés des remercimens pour leur courageuse assistance ; quelques guerriers expriment la peine qu’ils ressentent de n’avoir pu s’emparer de Coutinho ; on s’adresse mutuellement des éloges outrés ; puis les Européens sont maudits, et l’assemblée est dissoute.
Les femmes préparent le festin pour fêter les chefs étrangers. Les Tamoyos s’asseient sur des nattes autour des vases qui renferment les alimens. Les vieillards et les caciques tupinambas ont paré leur tête de plumes éclatantes ; leur corps est couvert de gomme, et d’un écume balsamique qui jette un éclat éblouissant aux rayons du soleil. Outre l’élasticité et la souplesse que procurent aux membres ces enduits brillans, ils les préservent encore de la piqûre des insectes venimeux.
Le repas est aussi varié qu’abondant. On voit sur des nattes, et sur les larges feuilles du bananier[35], des cocos[36], des patates, le palmiste, les ignames, les figues d’acajou, le maïs, les maracujas, des oranges, le délicieux ananas, et les fruits de l’acayaba touffu. Le manioc, réduit en farine, et l’uiçu[*] assaisonnent la chair des pacas[37], des coatis[38], des chevreuils[39], des paresseux[40], et des canards sauvages.
Sur la fin du repas[**], on apporte le vin de palmier, la liqueur d’acayaba, et l’enivrant cauin, boisson que les Tupinambas aiment à l’excès.
Cependant Pindobuza s’adresse à un homme Tamoyos :
« — Boytiopua, dit-il, nous t’appelons le chanteur. Tu n’es pas seulement un bon guerrier ; tes histoires charment les oreilles de ceux qui les écoutent. Prouve aux tupinambas que Boytiopua le chanteur chante de belle histoires. »
On fait silence.
Boytiopua sourit, et commence :
« — Jacantin aimait Ara, Jacantin était aimé d’Ara.
« La même aldée les avait naître, et la case du père d’Ara touchait celle du père de Jacantin.
« Jacantin annonçait qu’il serait un jour le plus beau guerrier de sa tribu ; il s’élevait comme le palmier ; son bras avait déjà combattue l’ennemi, et sa flèche atteignait l’oiseau le plus élevé.
« Ara était comme la colombe qu’on avait vue, au jour de sa naissance, sur la cabane de son père. Ses yeux, bleus comme le nuage, étaient beaux ; ses cheveux étaient beaux, et sa voix était belle.
« Ara et Jacantin avaient joué ensemble, dans leur enfance, sur le bord des fleuves. Jamais Ara n’avait mangé une banane sans la partager avec jacantin ; jamais son ami n’avait laissé paraître le soleil sans déposer sur le front de son amie le baiser du matin.
« Un jour, celui qui aimait Ara était allé chasser dans la montagne.
« Une fille des Tamoyos l’aperçut.
« Elle se nommait Inis.
« Inis sentit qu’elle aimait le chasseur.
« Elle rentra dans la case de son père.
« Elle soupira.
« Et quand le chasseur revint sur la montagne, elle lui dit :
« — Beau chasseur, je t’aime. »
« Celui qui chassait répondit :
« — Jacantin aime Ara. Jacantin est aimé d’Ara. Ils sont ensemble, ceux qui s’aiment, comme la liane la liane et le chêne ; je suis le chêne : la liane est plus belle que toi. »
« Cependant Jacantin ajouta :
« — Pauvre fille ! »
« Inis ne répondit point, mais elle pleura sur ces paroles : « La liane est plus belle que toi ! »
« Inis dit alors : « Je séparerai la liane du chêne ! » Elle dit cela, et pâle comme un génie blanc de la nuit, elle coupa en plusieurs parties une tresse de sa chevelure, et glissa adroitement le poison dans le manioc qu’elle préparait[*].
« Elle alla vers l’amante aimée, et lui dit :
« — Ara fêtera avec moi le jour qui donne un frère à Jacantin. » (Jacantin venait d’avoir un frère). Ara, rouge de plaisir, accepta avec joie ; elle embrassa sa rivale. Inis lui offrit de la chair, Ara mangea la chair ; Inis lui offrit de la boisson et des fruits, Ara prit la boisson et les fruits ; Inis lui donna le manioc, ara accepta le manioc en souriant : le manioc devait lui donner la mort !
« Et lorsque son amant accourut au devant d’elle, Ara ne le reconnut pas, et le repoussa, en disant :
« — Que veux-tu ? »
« Jacantin fut affligé ; il crut avoir perdu le coeur de son amie.
« Cela n’était pas.
« Ara n’avait plus sa raison.
« Jacantin vit bientôt que les mauvais Génies s’étaient emparés de la jeune fille. La pauvre Ara fuyait et la grande case de ses parens, et les danses de ses compagnes, et les oiseaux, et tout ce qu’elle avait aimé ; sa bouche disait des choses qu’on n’entendait pas ; elle-même paraissait ne plus rien comprendre.
« L’aldée fut dans la douleur. Inis, la femme rivale, dit :
« — C’est moi qui ai fait tout cela. » Et elle ajouta, en regardant Jacantin : « La liane mourra ! c’est bon. »
« Inis creusa elle même la tombe d’Ara, et au second soleil le hamac d’Ara portait une femme morte.
« Inis, la femme méchante, prit dans ses bras le corps de sa rivale, le mit dans la terre, et le couvrit de terre. Jacantin jeta des fleurs sur le
tombeau ; les fleurs ne se fanaient pas ; l’amant malheureux les arrosait de ses larmes.
« Une nuit, Inis, la femme tigre, vint déterrer le corps d’Ara, dont les membres étaient rongés par les vers.
« Lorsque Jacantin arriva pour pleurer, il trouva Inis à côté de celle qui avait été son amie. Inis lui dit !
« — Que sont devenus ces beaux yeux, ces beaux cheveux, cette voix si belle ? Tout son corps n’est que pourriture.... Tu m’as dit : La liane est plus belle que toi. » Maintenant vois... laquelle de nous deux est la plus belle ? alors Inis, furieuse, se jeta sur sa rivale, la déchira avec ses ongles ; puis, saisissant une flèche :
« —Va la rejoindre, s’écria-t-elle ! » Et elle frappa Jacantin.
« Cependant les vieillards parlèrent entre eux à l’ombre des bananiers. La famille de Jacantin et la famille d’Inis s’assenblèrent. Alors on dit : « Inis, la femme de sang, a tué ; Inis sera tuée. » Et la famille d’Inis dit : « Cela est une chose qui doit être ainsi, parce qu’elle est juste. » On fit venir Inis ; on lui dit : « Femme, tu as été méchante ; femme, tu as tué ; femme, meurs. » Alors on passa un lacet au cou de a jeune fille, afin que cela l’étranglât[41].
« Inis mourut : elle est morte. »
[*] Lieu des grandes assemblées ; les Brésiliens y funaient, dit-on, des calumets.
[*] C’est une espèce de farine que l’on fait avec différens poissons.
[**] Les sauvages ne boivent point en mangeant : cela est plus naturel.
[*] Sortilège très-connu des sauvages brésiliens.(Voyes La CLINIQUE.)
JAKARÉ-OUASSOU.
Regardés comme des sauvages par les sauvages
eux-mêmes, les Aymores ne s’élevaient guère, pour
l’intelligence, au-dessus de la brute . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Ou prétend que ces barbares faisaient un plus grand
usage de la chair humaine que les autres.
FERDINAND DENIS, Résumé de l’Histoire du
Brésil et la Guyane.
BOYTIOPUA avait fait silence.
Un transport d’admiration s’était élevé parmi les sauvages, et ils disaient :
— « Chanteur, votre histoire est belle. Vous chantez bien : heureux ceux qui possèdent les qualités d’un guerrier et celles d’un homme comme vous ! Vous seul savez charmer les oreilles de ceux qui vous écoutent. »
Au milieu des Tamoyos se trouvait un sauvage Aymore[42], fait prisonnier par eux ; il avait été adopté[*]. Du rang des alliés, cet homme s’est levé. Le dépit et la confusion ont altéré ses traits ; sa taille gigantesque domine l’assemblée ; cependant il sourit, mais de ce sourire qui ferait trembler si le barbare tenait sa massue. Il s’avance vers Boytiopua, et agitant sa chevelure en désordre :
« — Homme chanteur, dit-il, la nation applaudit l’homme de la nation : c’est bien. Les alliés applaudissent le chanteur allié : c’est bien. Moi, je ne suis point né des Tamoyos ; moi, je n’ai été ton frère, le frère des tiens, que lorsque j’étais homme ; moi, je dis que ton histoire ne me plaît pas, parce que ton histoire n’est point une histoire de mon pays, et parce que tu n’es pas un bon chanteur. Ta bouche n’aurait dû s’ouvrir que sur le berceau de ton fils, car tout plaît aux enfans dès-lors qu’on parle. Les vieillards disent vrai, et les vieillards nous apprennent que le corbeau, qui ne dit rien de bon, doit se taire : pour moi, guerrier, je sais combattre, je sais chanter. »
« J’ai combattu, je vais chanter :
« Je suis du pays ou les hommes sont braves et méchans, du pays des Aymores. Un jour, chez Aymores, une femme accoucha[43].
« On le tuera et on le mangera.
« Le fils de cette femme fut nommé Aquiqui le Paresseux, parce qu’il restait immobile dans son berceau, et qu’il ne paraissait pas agile. Le fils de cette femme grandit ; il pensa :
« On dit que je suis paresseux, il faudra qu’on dise que je suis agile ; on m’appellera le Sauteur : je ne veux pas être paresseux. »
Le fils de cette femme pensa cela, et il se mit à courir dans les bois. Il courut vers la montagne, il courut dans la vallée.
Vous le savez, vous tous qui m’écoutez et qui aimez mon histoire, les hommes Aymores n’aiment pas l’eau[*]. Hé bien ! le fils de cette femme nagea dans les fleuves ! Il montait sur les arbres, et trop faible pour tuer le Jakaré, il se plaisait à le tourmenter.
Il prenait des noeuds de roseaux qu’il remplissait de fourmis rouges[44], de scorpions mâles et de marimbundos[**] ; ces noeuds il les jetait dans la gueule du Jakaré, lorsqu’il le trouvait endormi au soleil sur le bord de l’eau.
« Il sera tué, et il sera mangé.
« Souvent le fils de cette femme se trouvait éloigné des yeux de son père de la distance que parcourt un chasseur qui a marché vite, vite, tout un soleil. Alors le fils de cette femme, qui faisait deux pas dans le pas d’un homme, cet enfant passait les nuits dans la forêt ; à côte de lui il entendait gronder le jaguar, et il glissait quelquefois sur des serpens entrelacés. Cet enfant tendait aussi des piéges aux animaux, et quand il les avait pris, il se battait avec ses prisonniers ; cet enfant était chaque jour réprimandé par son père, qui lui disait : « Prends garde à toi, le tigre est méchant, et le crocodile nage bien. » Mais cet enfant pensait : « Je ne veux pas qu’on m’appelle le Paresseux, » et il continuait à courir dans les bois, et à traverser les fleuves.
« Un jour cet enfant, le fils de cette femme qui était accouchée, Aquiqui, le Sauteur, ne revint pas vers son père ; il était trop loin, il ne put arriver qu’après trois soleils.
« ...... Son père lui dit :
« — Écoute, je t’avais dit d prendre garde à toi ; je t’avais dit : « Le tigre est méchant, et le crocodile nage bien. »
« Aquiqui répondit :
« — Père, pourquoi m’as-tu appelé le paresseux ? si je ne faisais pas tout cela, les enfans, les hommes de mon âge, se moqueraient de moi, et ils riraient aussi de toi. »
« Le père d’Aquiqui dit :
« — J’aime mieux manger ta chair, que si le tigre ou le crocodile la mangeait. Si tu t’échappes encore, Aquiqui, je te tuerai avec ma flèche, ou avec ma massue, ou avec mes mains. »
« Aquiqui répondit :
— « Je ne suis plus le Paresseux ; je suis le Sauteur. »
On va le tuer et le manger.
« Puis le fils de cette femme, cet enfant, Aquiqui, le Sauteur, disparut encore.
« Quand il revint, son père lui dit :
— « Le Sauteur ne ma pas écouté ; il va mourir. De mauvais Génies ont touché le ventre d ta mère, ô Aquiqui ! hé bien ! j’aime mieux manger ta chair que si le tigre ou le crocodile la mangeait. Comment faut-il te tuer ? Aquiqui, je vais te tuer. »
« Le Sauteur pleura d’abord, parce qu’il allait mourir ; mais il dit après :
« Je ne suis plus le Paresseux ; je ne pleurerai pas. » Il dit encore :
— « Père, avant d’être tué, je vais voir si les oiseaux se sont pris aux piéges que j’ai tendus. Le père répondit :
« — Va et reviens. »
Aquiqui revint ; les oiseaux étaient pris. Le Sauteur dit :
« — Père, tue-moi avec ta flèche, parce que c’est avec la flèche qu’on abat l’oiseau, qui est agile, puisqu’il vole ; ou avec ta massue, parce que c’est avec la massue qu’on casse la tête des guerriers qui sont lestes et qui courent bien.
« Alors le père l’assomma avec sa massue.
« Comme il coupait les membres pour manger, la mère vint à passer par là ; elle dit :
« — Que fais-tu ? » Le père répondit :
« Je mange notre fils, le Sauteur, celui qui était le Paresseux ; je viens de le tuer : j’aime mieux manger sa chair que si le tigre ou le crocodile la mangeait. » La mère dit :
« Homme, tu as raison, j’en veux manger aussi. »
« Et le fils de cette femme, cet enfant, Aquiqui, le Paresseux, le Sauteur, fut coupé en morceaux.
« On l’a tué et on l’a mangé. »
Le sauvage Aymore a cessé de parler, et chacun d'applaudir.
[*] Les Brésiliens adoptaient quelquefois leurs prisonniers, mais cela arrivait rarement.
[*] On prétend même qu’ils renonçaient à poursuivre leur ennemi s’il traversait une rivière ou quelque marais.
[*] Espèce de guêpe dont la piqûre est très-douloureuse.
JAKARÉ-OUASSOU.
Une froide sueur couvre mes membres fatigués, je
soupire, je cherche en vain un soulagement à mes
angoisses ; un funeste délire s’empare de mes sens. Il
me semble que la cruelle Mort m’étouffe entre ses bras
sanglans.
Alors reviennent à ma pensée tes joues de rose et
De neige, tes yeux brillans et doux, tes dents d’i-
voire, ta bouche gracieuse.
GONZAGA, poète brésilien. (Traduction de
E. De Monglave et P. Chalas.)
QUELQUES jours s’étaient écoulés depuis la victoire remportée par les Brésiliens. Les Tamoyos, après avoir joui d’un repos bienfaisant qui leur a fait oublier les fatigues du combat, se disposent à leur aldée. Ils se réunissent au signal des chefs, et Pindobuza le Grand-Palmier prend la parole :
« — Partons, guerriers, partons ! Il faut revoir nos cases : les bons Génies de nos cases croiraient que nous les avons abandonnés, et que nous avons été vaincus ; il faut retourner bers nos femmes ; nous baiserons leurs lèvres : pendant notre absence, elles ressemblent à la fauvette que le chasseur a privée du père de ses petits.
« Vous, ô Tupinambas, lorsque vous voudrez le secours de nos bras, vous direz : « — La cabane des Tomoyos est comme le nid de l’aigle ; c’est la demeure des braves : allons les chercher, ce sont nos amis. »
Jakaré répond : « — Oui, vous êtes les amis des Tupinambas. Vos femmes sont dans la douleur de votre absence, mais vos Génies ne croiront pas que vous avez été vaincus ; lorsque les Tamoyos vont à la guerre, les enfans, qui ne combattent pas encore, demandent aux vieillards qui ne combattent plus : « — Où sont nos pères ? » Les vieillards disent : « — a la guerre. » Les enfants demandent : « — Ont-ils vaincu ? » et les « vieillards répondent : « — Ils ont vaincu, » sans crainte de se tromper, et ils ne mentent jamais.
« Jakaré a été au grand village des Tamoyos. Vous êtes habiles à vous fortifier, ô alliés des braves ; vous savez vous entourer de palissades et de pieux sur lesquels vous placez la tête de vos ennemis, et il y en a beaucoup[*]. Jakaré a vu vos femmes, vos femmes sont belles ; Jakaré a vu vos vieillards sont de grands guerriers ; Jakaré a vu vos enfans, vos enfants sont de petits guerriers.
« Nous sommes heureux de vous connaître. Nous éprouvons de la peine à vous quitter. »
Les jeunes filles s’avancent aussi pour complimenter les voyageurs :
« — Marchez, pieds des Tamoyos, foulez en paix la feuille du désert.
« Portez les homme courageux jusque dans leur aldée.
« Tamoyos, vous allez arriver ; vous direz :
« — Nous voici. » On vous « répondra : « soyez les bien venus. »
« Les femmes diront à vos bras : « — Combien avez-vous tué de portugais ? » et à vos massues : « — Où sont vos soeurs, les flèches ? » Vous direz : « — Elles sont dans le coeur des portugais ; » vous direz : « les hommes d’Europe sont couverts d’armes « éclatantes, ils se sauvent : « le chef des Portugais a fui, et cependant il brisait nos têtes « avec des tonnerres.
« Nous sommes braves.
« Marchez, pieds des Tamoyos, foulez en paix la feuille du désert. »
Pindobuza répond :
« — Filles des Tupinambas, vos bouches disent de bien jolies choses. Vous êtes belles comme des colombes, et vos paroles nous réjouissent « plus que le chant de l’azuléon. Mais il faut partir.... Mes guerriers, prenez vos arcs.... Les Tupinambas vivront toujours dans la mémoire de leurs alliés ; leur nom restera sur nos lèvres, plus doux que le miel de l’abeille45, parce que les Tupinambas combattent comme le jaguar..... Tamoyos, prenez vos massues..... Jamais nous ne pourrons oublier les vieillards de Cotiva, parce qu’ils sont sages, ni leurs filles, parce qu’elles sont belles..... Homme, partons ! »
A ces derniers mots de l’Américain, les femmes versent abondamment des larmes ; les Tupinambas pleurent aussi ; de toutes parts l’attendrissement est à son comble, et l’on n’entend que des sanglots.
Les Tamoyos s’éloignent, les uns en frappant dans leurs mains, les autres en tirant des flèches d’adieu. Bientôt ils s’enfoncent dans l’épaisseur de la forêt, et l’on ne distingue plus qu’un bruit confus, un bruit sourd de pieds heurtant la terre.
A la première halte, le Grand-Palmier monte sur le tronc d’un vieil arbre, brisé, noirci par la foudre ; et s’adressant à sa troupe :
« — Qu’ils sont heureux les hommes vainqueurs ! Que nous sommes heureux ! Oui, votre coeur est dans la joie, et vos lèvres doivent sourire. En arrivant á l’aldée, nous dirons : Femmes, réjouissez-vous ; préparez le festin, préparez la boisson, car nous avons vaincu, vaincu des hommes qui combattent avec le feu. Les Tupinambas sont braves, cela est vrai ; ils ont bien aidé les Tamoyos ; mais ce sont les Tamoyos qui ont chassé les portugais, parce que leurs bras sont forts comme les bras des gros arbres. »
Il a dit, et de sa lève inférieure le sauvage laisse échapper un sifflement horrible, qu’il répète trois fois.
Au village Tupinambas, le jongleur parlait ainsi aux guerriers de sa nation :
« — Murucujé, d’ami des Génies du bien, Murucujé qui tient en son pouvoir les Génies du mal, Murucujé le devin promet des soleils longe et « heureux aux braves qui ont vaincu. Oui, vous avez vaincu, parce que je vous ai dit : « Recevez l’Esprit de force, afin de surmonter vos ennemis. » Les Tamoyos... ce sont aussi de bons guerriers ; ils combattent bien, et vous pouvez frapper ensemble ; les Tamoyos sont « aussi des vaillans ; mais leur devin n’est pas aussi puissant que moi, et l’européen n’a fui que devant vos massues. »
Cependant la chaleur brûlante du climat et l’agitation du jeune cacique contribuent à envenimer ses blessures. Toute la science des sauvages semble échouer contre la violence des douleurs qu’il éprouve. La tristesse règne dans la tribu. Ombu se désespéré en secret ; car devant les Tupinambas il doit paraître calme et résigné. Chez les braves, un père ne pleure point son fils qui meurt pour la patrie.
Le vieillard s’éloigne de la case où Tamandua repose dans un hamac ; il craint que son courage ne le trahisse, et que des pleurs n’attestent sa faiblesse ; mais lorsqu’il voit le piaye, il lui dit :
« — Les herbes du devin guériront-elles le fils d’Ombu ? »
Le jongleur répond :
« — Des Esprits, sage vieillard, m’ont dit que le soleil du hibou sera favorable au brave blessé : il donnera du sommeil aux yeux de ton fils. »
Mais de tous les habitans de Cotiva, le plus á plaindre est Jakaré.
« — Hélas ! dit-il, je ne suis pas une femme ; je ne dois pas pleurer. Est-ce que Jakaré voudrait être une femme maintenant ? Oh ! non ! »
Lorsque le sauvage n’a plus la force de supporter le supplice de son ami, il court cacher dans la solitude sa douleur, et peut-être ses larmes.
Une femme veille seule et constamment auprès du malade. Attentive, prévenant ses moindres désirs, épiant un signe, un besoin, ni la fatigue du jour, ni le manque de repos pendant le nuit n’ont pu l’éloigner du hamac de Tamandua. S’il eût été permis au jeune indien de sommeiller et de faire des songes, en se réveillant il eût cru voir, à côté de lui, le Génie du bien, sous les traits de Moëma ; mais une fièvre brûlante l’agite sans cesse. Il ne peut distinguer les objets qui l’environnent. Sou amie l’appelle en en vain.
« — Tamandua, dit cette femme, c’est moi, c’est Moëma ; elle est prés de toi. Tu ne la connais donc plus, la voix de Moëma ? Réponds à celle qui t’aime. Je suis la fleur, amante du soleil ; il faut toujours que je contemple le vissage de mon ami ; je ne puis vivre sans mon ami.
« Mais pourquoi ton oeil semble-t-il furieux ? Ne crains rien : j’empêcherai la mort d’approcher ; quoique femme, je la combattrai. J’ai été l’amante d’un brave ; je sais comment on fait pour vaincre : je la vaincrai. Tamandua, beau cacique, réponds-moi..... »
Moëma, en disant ces mots, saisit la main du guerrier. Son accent passionné et ses regards touchans auraient attendri un coeur de fer. Cette main de Tamandua, elle la baise, elle la presse sur son sein, elle la couvre de ses larmes. Dans sa douleur, elle demande à Tupan de lui donner toutes les souffrances du cacique, afin qu’il revienne á l’existence. Tamandua n’entend pas les accens de Moëma ; le plus violent délire s’est emparé de lui. Des pensées diverses se heurtent dans son cerveau. Quelquefois ses traits prennent une expression menaçante, et le nom de Coutinho s’échappe de ses lèvres. Sa physionomie change tout-à-coup ; son regard s’adoucit et devient suppliant ; il joint fortement les mains par un mouvement convulsif.
« — Inez, dit-il d’une voix tremblante, fille d’Europe, belle fille d’Europe, m’aimes-tu ? Blanche colombe, fuis les corbeaux du pays des méchans.....Vole vers le désert ; viens, ton nid sera le plus beau..... J’aime ton nid...... Inez, ...... veux-tu suivre mon amour au désert..... au désert..... où Tamandua est cacique ?
« — Toujours l’étrangère ! dit Moëma en soupirant. Mais l’étrangère, elle ne sait pas aimer le beau Tamandua..... Elle n’est pas là pour le soulager, l’amante aimée ; il l’appelle, et elle ne vient pas ; loin de le consoler, elle augmente ses peines..... O la femme cruelle ! »
Le devin, qui avait promis au père de Tamandua du sommeil pour son fils, ne s’était pas trompé. Dans le cours de ses observations médicales, il avait remarqué qu’après un long délire vient ordinairement un repos, que suit ou la mort ou la délivrance du malade. C’est ce qui arriva. A la suite d’une crise terrible, Tamandua tomba dans un profond sommeil. Comme il entrait a lors dans les vues du devin de prédire le bien plutôt que le mal, il annonça qu’au lever du soleil le cacique reviendrait à la vie. Le hasard et la force du tempérament de Tamandua justifièrent ses prédictions.
Au point du jour, Moëma, Ombu, Jakaré, et toute la famille du blessé, entouraient le hamac chacun attendait dans la plus grande impatience le résultat des promesses du devin. Enfin Tamandua fait quelques mouvemens ; le piaye s’écrie :
« — Amis du guerrier, parens du guerrier, réjouissez-vous ! celui qui était près,bien près du pays des ames, revient parmi vous ; il ne vous quittera plus. »
En effet, Tamandua avait repris connaissance. Ses yeux se portent sur ceux qui l’environnent. Son père, son ami, sollicitent une parole, un regard. Quoique, peu d’instants auparavant, Moëma fût dans une tristesse profonde, la guérison de Tamandua fait briller le sourire sur son visage. Autant elle a répandu de larmes, autant elle éprouve de joie ; sa gaieté va jusqu’à la folie : elle rit, elle danse, elle chante tout à la fois. Elle s’adresse à tous les objets qui s’offrent à sa vue :
« — Oiseaux, fuyez, dit-elle, fuyez ; voici le chasseur Tamandua : il est adroit.
« Prenez garde.
« Palmiers, réjouissez-vous ! mon guerrier viendra se reposer sous votre ombrage.
« Cocotiers, croissez en paix ; Tamandua vous défendra.
« Branches des cocotiers, portez des fruits ; mon ami les mangera. »
Plusieurs jours se sont écoulés ; par ordre du devin, l’ami de Jakaré prend quelques soleils de repos. Quoiqu’il soit déjà convalescent, et qu’il ne ressente plus aucune douleur, il céde au piaye ; il brûle cependant de voir Inez, qu’il a laissée évanouie dans l’habitation de Caramourou.
Quelques heures après y avoir été déposée, Inez revint à elle. Caramourou lui expliqua comment elle avait été transportée à Cotiva. Rien de ce qui est nécessaire, ajouta-t-il, ne vous manquera ici. Je suis abondamment pourvu de toutes les choses utiles aux besoins de la vie ; j’ai même apporté de France plusieurs objets d’agrément. Je crains néanmoins que, loin de votre patrie et de vos parens, vous ne puissiez supporter votre infortune. Mais il faut savoir se soumettre aux volontés de la providence. Vous trouverez d’ailleurs parmi les sauvages une hospitalité qu’aucune nation civilisée n’exerce aussi généreusement. »
Il instruisit alors Inez du triomphe des Tupinambas ; il entra dans tous les détails relatifs à l’incendie de San-Salvador, à la fruite de Coutinho et d’Almada, à la disparition de Gonzalez. A ces accablantes nouvelles, la vierge fut saisie de douleur. Caramourou, qui la vit plongée dans la tristesse, pour détourner le cours de ses idées, lui parla du jeune chef indien qui l’avait sauvé, en l’éloignant du combat. Il lui apprit qu’il malade et retenu dans hamac par suite de ses blessures. La reconnaissance qu’elle lui portait fit qu’on ne tarda pas à l’informer de sa guérison ; elle en ressentit une vive joie.
Jakaré vint plusieurs fois dans la case de l’ami de l’Indien. Il feignait de s’entretenir avec lui, mais il était envoyé vers Inez par Tamandua, qui ne pouvant sortir, se servait de ce moyen pour connaître l’état de celle qu’il aimait.
Les Tupinambas ne tardèrent pas à apprendre en quel lieu avait abordé le tyran. Il s’était réfugié à la capitainerie d’Os Ilhéos, et il se hâtait de rassembler des troupes, espérant revenir à San-Salvador avec Almada, venger leur commun affront ; mais les vainqueurs de Cotiva ignoraient les desseins du gouverneur.
[*] Usage de presque toutes les peuplades brésiliennes.
JAKARÉ-OUASSOU.
Le sage ne doit point se laisser abattre par l’adversité.
L’ ARIOSTE.
Caramourou avait placé son habitation sur les bords d’un ruisseau paisible comme son coeur. Un arbre immense prêtait son branchage á la cabane de l’ami de l’aldée ; d’autres arbres, plus jeunes, et rapprochés à cet effet les uns des autres, formaient des murs impénétrables et d’une grande solidité. Les Indiens lui avaient dit : « Nous empêcherons le soleil de te brûler, » et une éternelle verdure rafraichissait cette case.
Les occupations ordinaires de Catherine étaient la guérison des malades. Elle joignait à l’art naturel des sauvages les talens qu’elle avait acquis en Europe ; elle savait aussi fermer les blessures du coeur, tandis qu’elle soulageait les maux du corps.
Des travaux non moins sublimes occupaient Caramourou. Il consacrait tous ses instans à la propagation du culte évangélique ; il tâchait de mettre à la portée de l’intelligence des sauvages la morale des Écritures, et degrés il ouvrait leurs yeux à la lumière du christianisme.
Qu’il était beau cet envoyé du Seigneur, lorsqu’entouré de barbares anthropophages, il prêchait la parole de Dieu ! Il n’offrait point l’image d’un grand de la terre parlant de pauvreté sous des vetemens brillant de pierreries, et d’humilité au milieu des grandeurs humaines. Il ne cherchait point á éblouir ; son culte était á la fois simple et admirable ; il avait pour temple la voûte des cieux, et au désert tout lui parlait vivement de son Dieu.
Déjà Caramourou comptait quelques prosélytes parmi les sauvages. Presque tous approuvaient ses doctrines ; mais ses leçons étaient difficilement suivies. Un jour qu’il avait lu dans le livre sacré un de ces magnifiques passages qu’en vain on voudrait trouver ailleurs, un Indien fut émerveillé de ce qu’il venait d’entendre. Il dit en lui-même, après avoir répété les paroles que venait de prononcer Caramourou : « Il a raison. » Et lorsque la nuit fut venue, il se glissa dans dans la case du Portugais, et lui déroba le livre. Il le cacha avec soin, en disant : « Je veux que cela soit á moi, parce que cela est beau, et que lorsqu’on l’a, on dit des choses sages. »
Quelque temps après, il le rapporta à Caramourou, et lui dit tristement : « Cela est beau, mais je ne sais point en faire usage. Garde-le, et parle-moi souvent avec. »
Cependant Tamandua est entièrement guéri de ses blessures. Au milieu de la joie qui l’environne, le seul Jakaré paraît triste..... Pauvre sauvage !..... à toi maintenant les malheurs !
Lorsque Jakaré avait vu la fille de Coutinho pour la première fois, il avait à peine remarqué sa beaité ; mais, en la tenant dans ses bras, il avait senti battre son coeur. Maintenant qu’il est chaque jour à côté d’elle, les traits de la jeune vierge, ses regards, ses formes gracieuses, tout est fait pour enflammer l’ami de Tamandua. Il veut en vain commander à ses sentimens ; il veut en vain la fuir, s’éloigner de celle qu’aime Tamandua : son ami lui-même sert involontairement à augmenter sa passion. Chaque fois que, pour lui plaire, il se rend à la case de Caramourou, chaque fois que son ami lui dit d’aller vers l’étrangère, c’est autant de traits qu’il enfonce dans le sein de Jakaré. L’idée d’aimer celle qu’aime Tamandua fait son supplice.
« — Quoi ! dit-il en lui-même, moi Jakaré ! moi le rival de Tamandua ! Celui que sa bouche a appelé du nom d’ami irait le trahir ! Ah ! il faut fermer les yeux pour ne plus voir cette femme ; il faut dire à mon coeur de ne plus la désirer. »
Il s’efforce d’oublier sa voix, l’expression de son visage ; mais, soit qu’il marche, soit qu’il repose, Inez est toujours présente á son esprit. La nuit même, dans ses songes, l’étrangère lui apparaît sous mille formes. Il se réveille ; elle est près de lui, il étend les bras pour la saisir : il n’embrasse que le vide.
Il n’a plus aucun goût, aucun plaisir ; les danses des jeunes filles ne l’amusent plus, la chasse n’a plus d’attraits pour lui. Au lever de l’aurore, il a déjà quitté le hamac, qui ne lui procure qu’un sommeil agité ; il use sa vie sans désirs et sans but. Il fuit toute la tribu, il fuit aussi son ami ; il n’oserait supporter sa présence ; il se reproche son amour ; il se croit coupable, et craint d’avoir manqué aux devoirs que prescrit l’amitié. Quelquefois ses sens l’emportent sur son coeur ; il oublie Tamandua, la tribu, l’univers entier ; il oublie tout...... Il ne voit que l’objet de sa passion ; il veut s’abandonner à l’ardeur qui le brûle. Inez est là..... là..... Il va la presser dans ses bras ; il s’avance..... Qui l’arrête ? Une barrière insurmontable son ami. Alors son désespoir redouble ; son coeur est en proie aux tourmens les plus cruels ; il lui semble qu’un feu intérieur le consume ; il s’agite, se débat contre sa pensée ; il déchire sa chair pour refroidir ses sens embrasés, et se roule en sanglottant sur la terre humide de ses larmes, sans trouver jamais aucun soulagement.
Infortuné ! voilà donc quelle sera désormais ton existence : de la douleur, toujours de la douleur. Qu’il est malheureux celui qui n’a connu que les tourmens de l’amour ! Ah ! qu’il doit être heureux celui qui n’en connaît que les charmes !
Aurait-on pu croire que la vertueuse Inez, l’ange de San-Salvador, serait la cause de tous ces maux ? Hélas ! loin de son père, de sa famille, pleurant un frère qu’elle croit mort, que de maux n’a-t-elle pas à supporter elle-même ! Mais du moins elle possède un ami dans le sein duquel elle peut épancher ses chagrins ; Caramourou la soutient et la console. Le pieux Lusitanien verse dans son ame le baume bienfaisant de la religion.
Inez, dit-il, nous ne devons point chercher le bonheur dans ce monde, il n’en est point de réel, chacun a ses chagrins ; celui qui souffre le moins, celui-là, ma fille, est l’heureux de la terre ; un coeur calme ; presque tous sont déchirés. Ah ! si d’un coup d’oeil nous pouvions mesurer l’univers, nous reculerions effrayés. Et cependant ce n’est que dans le tableau des misères humaines que le sage lit une autre vie. Oui, souffrir est notre sort ; mais qui oserait se plaindre en regardant une croix ? Tous nos maux égalent-ils ceux de Jésus-Christ expirant au Calvaire, baffoué avec le dernier mépris, torturé, brûlé de soif, enveloppé d’épines, et n’ayant pour le plaindre, et pour dire : Il pleure, » qu’un vil larron, le rebut et la honte des humains !
« Hélas ! ici-bas la coupe du bonheur est renversée, celle du malheur humecte toutes les lèvres ; mais le Ciel nous a donné des consolations et des amis pour nous aider dans notre pénible voyage ; s’il en était autrement, Inez, peu d’hommes verraient blanchir leurs cheveux. Et moi aussi, fille de Coutinho, j’ai été façonné à l’école de l’infortune ; mes bras ont été meurtris par des chaînes ; j’ai été trompé dans mes affections plus chères : mais j’en rends grâce à Dieu ! comment pourrait-il connaître le découragement, celui qui implore la miséricorde du Seigneur ? Pour le chrétien, ma fille, il est un breuvage délicieux au fond du calice d’amertune. »
Ainsi parle Caramourou ; le sage Portugais se fait chérir de sa digne compatriote, dont les chagrins se dissipent par degrés. Déjà la vierge est moins triste et moins abattue ; déjà sa pensée la reporte en Europe, près de Fernand. C’est le sort de l’homme de toujours changer ; tout passe ; les plus grandes douleurs s’affaiblissent ou se calment.
JAKARÉ-OUASSOU.
Et sur le sol. Mouillé par un cristal limpide,
La végétation lève sa téle humide.
La Coroleide, D’ ARLINCOURT.
« La vue de leurs plaisirs pèse sur mon coeur. »
JAKARÉ-OUASSOU.
L’OEIL d’Inez, que n’obscurcissent plus les pleurs, peut maintenant contempler le spectacle enchanteur de la nature. Elle aime à s’égarer dans les bosquets touffus, à s’asseoir au bord d’une onde pure. Parmi les Indiens elle ne court aucun danger : tous respecteront celle à qui Caramourou donne l’hospitalité.
Un matin, elle se mit à parcourir les environs de Cotiva. Le soleil[46] paraissait derrière les montagnes ; l’oiseau chantait son premier chant ; la rosée brillait en perles argentées, suspendues aux branches des arbres. Un doux murmure se glissait dans la feuillée ; l’air était embaumé du parfum qu’exhalent les fleurs du désert. Chaque plante semblait respirer la vie ; et la nature, sortie de l’obscurité, fraîche et pure comme le coeur d’une jeune vierge, s’éveillait en souriant au matin.
Les alentours de Cotiva offrent un spectacle ravissant et sublime. Les premiers feux du jour embrasent les flots de cette baie profonde, qui s’enfonce dans les terres, parsemée d’une multitude d’Île verdoyantes, au milieu desquelles Itaparica s’élève majestueuse[*]. Ce golfe immense, couronné de rochers dentelés, de rians coteaux et d’épaisses forêts, reçoit le tribut de presque toutes les rivières de la contrée.
Mille oiseaux, enorgueillis d’un plumage éclatant et varié, saluent la naissance d’un beau soleil. De tous les arbres de la forêt s’échappent des accens délicieux. Ces concerts de la nature peuplent l’immensité d’harmonieux accords. Chaque nid de mousse ou de feuillage est un autel où l’oiseau offre, dans le désert, ses premiers accens à l’Être dont il reçut la vie. Les jeunes passereaux eux-mêmes, encore mal assurés sur la branche tremblant, s’essaient à publier les louanges du Créateur ; et si leur voix est inhabile aux tendres modulations, elle est du moins reconnaissante.
Dans cette contrée délicieuse de Bahia règne un printemps éternel. La nature, toujours jeune et toujours belle, ne s’y montre que parée de se plus touchans attraits. La verdure, entretenue par la rosée des nuits, couvre sans cesse la terre. Sur le même arbre, on voit à la fois des fruits mûrs, des feuilles, des fleurs, et le fruit prêt à mûrir.
Des arbres aux bras gigantesques, et des lianes fleuries, forment la ceinture des fleuves, où nage incessamment l’énorme capibara ; quelquefois ces mêmes lianes, poussées par le vent contre ces mêmes arbres, établissent d’une rive à l’autre des ponts naturels de verdure et de fleurs ; les singes aiment à les parcourir avec légèreté, et s’y balancent en poussant un cri monotone, répété dans la solitude.
Les palmiers[47], d’espèces multipliées à l’infini, croissent en forêt au milieu des sables ; l’ibirapitanga[48], à la couleur de feu, si recherché de l’Européen, croît ordinairement le long des roches. La mangue embaumée, l’ananas, qui exhale mille parfums et s’arrondit avec grâce sous sa brillante couronne ; les énormes cédrats, la mangave, la goyave, revêtue de pourpre ; les oranges étonnantes, que l’on nomme ombigo ; le sassafras, qui balance mollement dans les airs ses cloches odoriférantes ; le mangamba, le cacao, qui porte un fruit nouveau à chaque nouvelle lune[*] ; le copahu, la pitanga, le cotonnier, le citronnier, le lis d’or, le jasmin rouge, le vanillier, qui avec le lierre, entoure le tronc des arbres, et la banane aux grappes d’or, croissent sans culture sur un sol entrecoupé de mille ruisseaux, rafraîchi par une foule de sources limpides qui jaillissent du sein de la terre.
Vierge encore dans ces heureux climats, la nature, que n’a point salie la main de la civilisation, partout offre à l’oeil charmé le tableau enchanteur et varié des productions du Nouveau-Monde. Au milieu des sables s’élève l’acuyaba touffu, aux fleurs blanches et roses, et dont les fruits, qui font les délices du Brésilien, brillent suspendus à ses rameaux. Plus le sol paraît aride, plus l’acayaba étale de magnificence. Des touffes de sensitive se pressent le long des massifs ; mais cette plante, trop facile à s’alarmer. Lors même que l’oiseau-mouche l’effleure de son aile, cache sous un voile de verdure sa naïve beauté.
Non loin des bords d’une fontaine ou de quelque ruisseau, on voit une rose dont le Brésilien aime à parer les cheveux de sa jeune amante : la clicia[49] apparaît, au lever de l’aurore, d’une blancheur éblouissante. Une tendre nuance de pourpre se fait sentir vers le milieu du jour ; et lorsque le soleil éteint ses feux derrière l’horizon, la fleur est plus rouge que la grenade.
La vigne sauvage, les chèvrefeuilles et les lianes grimpantes, dont quelques unes donnent par incision une eau fraîche et pure, après avoir fait cent détours dans les massifs, embrassent en des réseaux de fleurs l’acajou, le myrte brésilien, l’ipécacuanha, qui ne croit qu’au Brésil, le campêche et le bétélé, qui se plaît le long des fleuves, où l’on trouve les canards au triple collier de pierreries.
Une multitude d’oiseaux brillans peuplent les dômes majestueux des forêts : le zabélé, les colombes américaines, à la gorge étincelante ; l’ara, aux plumes écarlates, jaunes et blanches ; le bicude, le sabia, le teitei, l’azuléon, aux voix délicieuses ; le serin d’or et d’azur ; le cardinal, dont la tête de feu s’agite au sommet des arbres ; l’oiseau-mouche, que le zéphyr entraîne comme un ouragan, et que le Brésilien a nommé rayon du soleil, le toucan, au bec immense, et dont le plumage emprunte tantôt la pourpre de la grenade, tantôt l’éclat de l’ébène, et tantôt celui du citron ; le perroquet, dont on voit des nuées s’abattre sur des bois d’orangers, et qui, comme le prisme, réunit toutes les couleurs dans leur pureté primitive.
Des montagnes hérissées de forêts impénétrables bornent l’horizon de leur immense rideau, et se dessinent au milieu des nuages ; tandis que leur cime court se perdre dans les cieux, leurs racines reposent immobiles au centre de la terre. Ces colosses du monde paraissent être la dernière limite de la nature : l’oeil chercherait en vain à mesurer leur prodigieuse hauteur. De leurs sommets, où sont amoncelés des rocs effrayans, prêts á se détacher et á écraser les vallées, se précipitent d’innombrables torrens qui grossissent et qui grondent ; ils battent les flancs des montagnes, et s’avancent en mugissant comme pour dévorer la plaine.
Quel homme ne jetterait un long cri de joie à l’aspect de ces montagnes aussi vieilles que la terre ! Qui ne sentirait doubler les pulsations de son coeur en plongeant son regard étonné au sein de ces vastes forêts, filles vierges du monde, à qui le temps apporte de la force et de la jeunesse ! Qui ne verserait une larme brûlante à la vue de cet ouvrage sorti éblouissant des mains de l’Éternel, et où le Créateur semble avoir offert une ombre de sa grandeur !
Mais il n’a pas voulu que Bahia fût un nouvel Eden.
Des milliers d’insectes et de reptiles à larges pates se disputent les lieux humides[50]. Les lézards, ennemis implacables des serpens, se glissent entre les fentes des roches, tandis qu’à côté de l’horrible crapaud, gonflé d’un noir venin, on voit sortir de terre l’énorme araignée velue, si commune au Brésil. Nulle contrée ne produit plus de serpens redoutables. Outre l’épouvantable giboya[51], nommé serpent – chevreuil, parce qu’il attaque principalement cet animal qu’il dévore avec une rapidité surprenante, et le babaji, ou serpent de feu, on y voit l’ibiboca, qui charme les regards par l’éclat de ses écailles, mais dont la morsure est terrible ; le boicininga, qui semble voler en rampant ; le jiraraca et l’ibiracuca, dont le venin produit un effet épouvantable. A peine ces reptiles ont-ils fait une blessure, que le sang s’échappe avec violence par toutes les extrémités du corps.
Les forêts retentissent des hurlemens d’une foule d’animaux féroces, tels que le javali, l’once, qui promène ses ravages dans l’épaisseur des massifs ; le loup-hyène, le surasanas, le chat-tigre, le saratu, plus brave que le renard, mais à peu prés de sa taille ; les antas, le tapir ou tapirassou, que le brésilien fait tomber dans ses piéges ; le porc-épic[52], ou hérisson de la grande espèce, enveloppé de dards aigus dont il frappe son adversaire ; et le jaguar, altéré de sang. Malheur à l’Indien dont la flèche ne perce pas le coeur de l’animal ! Le jaguar bondissant s’élance, enfonce ses larges griffes dans la chair de sa victime qu’il se plaît à meurtrir, et rapide, il l’entraîne en la dévorant.
Inez s’était assise au pied d’un arbre élevé ; ses regard se portaient tour-à-tour sur la montagne et sur la vallée. La vue d’une nature pittoresque avait fait descendre en son ame ce calme doux et mélancolique qui ravit, ce vague mystérieux et tendre, esquisse des félicités célestes.
Depuis quelques instans elle était immobile, lorsqu’un léger bruit se fait entendre. Elle se retourne : Tamandua était prés d’elle, dans l’attitude de la contemplation. Il avait une main appuyée sur son arc, l’autre sur son coeur, et sa tête se penchait sur son sein.
C’était la première fois que, depuis la guérison du cacique, la vierge le voyait. Elle avait toujours évité sa présence : elle voulut se lever.
« Tu vas encore me fuir, » dit Tamandua d’un ton de reproche ; et des pleurs mouillent ses paupières. Le son de sa voix est si doux, son regard est si suppliant, que la jeune Portugaise n’a pas le courage de l’affliger en s’éloignant.
Le Brésilien s’approche ; il pose son arc à terre, et s’assied lui-même aux pieds d’Inez, sur la verdure ; la vierge rougit : elle avait levé son voile, pour mieux jouir de la fraîcheur de la matinée.
Tamandua porte ses yeux sur les yeux d’Inez ; les paroles semblent avoir abandonne ses lèvres. D’où naît ce silence ? Hélas ! la douleur était dans son aine. Il avait appris de Caramourou que l’hymen auquel Coutinho avait forcé sa fille s’était accompli, et qu’Almada, ayant quitté son épouse avant la fin de la cérémonie, pour voler à la défense du fort, s’était embarqué avec le tyran, après la destruction de San-Salvador. Ces nouvelles avaient jeté le cacique dans le désespoir. Il n’était plus pour lui aucune espérance de bonheur[53]. Ce fut surtout coutre Coutinho qu’éclata sa rage. Il trouverait quelque consolation dans son infortune, s’il savait qu’Inez n’avait fait qu’obéir aux volontés du tyran.
Tamandua est resté immobile devant l’Européenne ; il sent plus vivement encore son malheur en contemplant celle qu’il adore ; il détourne la vue pour pleurer.
Près des amans infortunés était un couple heureux ; à travers le feuillage, Tamandua aperçoit deux oiseaux dont le langage amoureux charmait les échos de la forêt. Le soleil naissant animait leurs brillantes couleurs ; le zéphir venait se jouer dans leurs plumages. Ivres d’amour, ils battaient des ailes en soupirant, et se prodiguaient mille caresses.
« La vue de leurs plaisirs pèse sur mon coeur, dit Tamandua ; ils insultent à mes souffrances. » Il saisit alors son arc, lance une de ses flèches... Le mâle est atteint ; il est blessé, il tombe, il meurt...... et sa fidèle compagne s’envole : elle a changé ses soupirs d’amour en des cris plaintifs de douleur. C’est bien, dit le cacique ; nous souffrirons ensemble. »
A ces mots. Il s’éloigne.
[*] Itaparica est une grande Île oblongue dans le golfe de Bahia. Des sauvages de la grande nation des Tupinambas l’habitaient autrefois.
[*] Voy. Le poème de Caramourou, traduit par E. De Monglave.
JAKARÉ-OUASSOU.
Spiritus malignos horrent.
BARLEUS.
Ils ont horreur des esprits malins.
Un bruit confus, répandu à Cotiva, agitait les Tupinambas. Les sauvages courent çà et là, et parlent tumultueusement ; des groupes se forment ; les vieillards s’assemblent. On apprend enfin que les hommes chasseurs ont rencontré, non loin d’une caverne dite des Esprits[54], un Génie blanc ; tous assurent l’avoir reconnu à sa forme pour un Esprit ; seulement on diffère dans la manière de raconter. Celui-ci l’a aperçu lorsque l’orage grondait : il commandait aux élémens, et sa voix se mêlait aux accens de la foudre ; celui-là, au moment où il conversait avec des Génies invisibles. On entendait, mais cependant on ne comprenait pas leur langage. Selon les uns, il sortait de la terre ; selon les autres, il descendait des nuages ; tous ont fait des efforts pour tâcher de l’entraîner, mais lorsqu’il a paru, ils se sont sauvés épouvantés : les braves ne craignent pas les hommes, mais ils fuient devant les Génies. On ignore si l’Esprit qui jette l’alarme á Cotiva vient pour féliciter les Tupinambas d’avoir chassé les portugais, ou s’il vient, au contraire, pour les punir. Est-ce un Génie du bien ? est-ce un Anhanga ? Ce qu’il y a de certain, c’est qu’un Esprit seul peut habiter la mystérieuse caverne, l’un des lieux plus redoutés de sauvages, parce qu’il est demeure d’êtres inconnus et invisibles, à ce que dit le jongleur, qui trouve son intérêt à accréditer ce bruit répandu à l’aldée.
Inez, Caramourou et son épouse sont les seuls qui ne partagent point la superstition commune. Ils pensent néanmoins que les sauvages n’ont pu être entièrement trompés ; mais comme aucune trace n’atteste le passage du Génie, comme rien n’annonce qu’il soit à craindre, Caramourou n’a point interrompu ses occupations journalières.
JAKARÉ-OUASSOU.
A la clarté de la lune, dont un rayon s’échappait
entre deux nuages, j’entrevois une grande figure
blanche penchée sur moi.
CHATEAUBRIAND, Atala.
PARMI les objets d’agrément qui sont dans la demeure de Caramourou, est une guitare appartenant à Catherine. Elle avait appris en Europe à s’en servir : c’était aussi l’instrument favori d’Inez. Un soir, elle s’était arrêtée sous un bosquet touffu ; après que ses doigts légers eurent préludé quelques instans, sa douce voix, en harmonie avec son coeur, chanta ses paroles :
Voyez-vous cet oiseau dont l’éclatant plumage
Étincelle dans l’air comme l’astre qui luit ?
Par son brillant ramage
Il entraîne et séduit.
Sur chacun des mortels un instant il s’arrête ;
Il folâtre toujours ; vif et capricieux,
Né le matin, le soir à la mort il s’apprête.
Il n’a point de patrie, il habite en tous lieux ;
De tous il est l’idole.
Mais, hélas ! que son charme est perfide et trompeur !
Léger, rapide, il fuit, il vole, il vole, il vole :
C’est le bonheur.
Voici venir un monstre ailé,
Au noir plumage ;
De nuages épais sans cesse environné,
Sa présence toujours annonce le ravage.
Dur, inflexible, inexorable,
A chacun des humains apportant la douleur,
Constamment près de vous il veille infatigable :
C’est le malheur.
Inez se croyait seule ; mais à quelques pas d’elle était un Indien caché par le branchage, debout, appuyé sur sa massue ; ses pieds se croisaient,et sa tête se penchait comme pour saisir la mélodie ; ses traits annonçaient le plaisir indicible que lui causaient les sons de la guitare. Le sauvage était grand ; ses membres nerveux étaient remplis de muscles qui indiquaient sa force extraordinaire ; son visage était celui d’un gladiateur romain ; la lune, en traversant le feuillage, éclairait ses formes herculéennes, et donnait à son corps, immobile et couvert de gomme, la ressemblance d’une énorme statue de bronze.
C’était Jakaré.
Jakaré passait près de l’endroit où se trouvait la vierge portugaise. A tiré par se chants, il s’approche ; d’abord il est émerveillé de ces accens étrangers pour lui ; mais lorsqu’aux accords de la guitare se mêle la tendre voix d’Inez, l’ami de Tamandua est transporté d’ivresse ; il retient son haleine, de peur de troubler la vierge : il est dans l’extase. Son oreille n’a jamais entendu que des sons grossiers : cette musique harmonieuse le remue jusqu’au fond de l’ame, et il sent se développer en lui une foule de sensations qui lui étaient inconnues.
A quelque distance de Jakaré se trouvait un autre auditeur que charmait également l’harmonie, un serpent[55], un énorme serpent qui paraissait écouter dans la plus grand immobilité. Jakaré l’aperçut : il ne fit pas le moindre geste ; il comprit que tant que la musique durerait, l’animal resterait silencieux. Jugeant qu’il serait temps de secourir la jeune fille lorsqu’il y aurait du danger, et craignant surtout de l’interrompre pour un animal qu’il était habitué à vaincre, il laissa donc achever Inez, à laquelle il prêtait toute son attention, sans perdre de vue le serpent.
Depuis un moment les cordes de la guitare ne résonnaient plus. Un affreux sifflement se fait entendre ; il est suivi d’un léger bruit dans les feuilles sèches. Inez, effrayée, voit le serpent s’avancer vers elle avec rapidité ; elle jette un cri perçant, et veut s’enfuir ; mais l’épouvante a paralysé ses membres : elle tombe évanouie sur la terre. Prompt comme la pensée, Jakaré se jette entre le corps inanimé de l’Européenne et le reptile, qui redouble de vitesse. Jakaré vole à sa rencontre ; l’animal dresse sa tête hideuse pour mordre son ennemi ; et en assène un coup formidable sur la bête rampante, qui en est étourdie. Jakaré lui porte de nouveaux coups aussi terribles que le premier, partage son corps en plusieurs parties, et des tronçons épars du serpent jaillissent des flots d’un sang noir et épais.
Il fut un temps où Jakaré aurait contemplé avec orgueil cette victoire ; ce combat aurait été pour lui un titre glorieux ; mais maintenant à peine songe-t-il à son triomphe. La jeune fille qu’il vient de sauver d’une mort certaine est étendre près de lui, sans mouvement. La pâleur couvre son front : un faible souffle indique à peine qu’elle respire. Jakaré s’approche, met un genou en terre, soulève légèrement Inez, et passe son bras autour de sa taille, pour la soutenir et la rappeler à la vie. Mais, hélas ! dans ce moment Jakaré recouvre tout son amour et toute sa frayeur. Il n’ose abandonner celle qu’il aime, et cependant il craint de ne pouvoir supporter plus long-temps la vue de tant de charmes..... Le contact de ces membres si beaux, de ces formes si délicates, le fait tressaillir de volupté..... Il cherche à repousser les pensées qui assiégent son imagination..... Ils sont seuls..... Inez est sans résistance..... Jakaré veut vainement échapper à ses sens ; malgré lui il s’enflamme, le feu est dans son sang. Mais le Ciel ne fera pas durer plus long-temps les combats dans son être ; le sublime Jakaré restera fidèle à l’amitié, à la vertu. Le silence qui règne au bosquet est troublé par le froissement des feuilles mortes ; le sauvages, sorti de son enivrement, lève la tête, et voit, õ surprise ! une longue figure blanche qu’éclaire la lune, et dont les yeux sont fixés sur lui. A l’aspect du Génie de la caverne (car ce ne peut être que lui), Jakaré pousse un cri terrible. Il se jette à genoux, et, joignant les mains : « Qui que tu sois, dit-il, Génie du bien ou Génie du mal, je te remercie. Ta présence me sauve du danger ; mais je veux le fuir. Jakaré n’a pas trahi Tamandua ; il ne veut pas le trahir.... Mais je ne puis la voir plus long-temps. Bon Génie, veille sur la jeune fille ; mauvais Génie, ne lui fais aucun mal. »
Le Génie s’avance alors. Ces mots : « Veille sur la jeune fille ! » ont excité son intérêt ou sa curiosité. Il se penche pour voir les traits de la vierge, il les reconnaît : « Inez ! s’écrie-t-il, Inez ! grand Dieu ! reviens à toi, je t’en supplie ! » Il saisit une des mains de la jeune Portugaise, et la couvre de baisers et de larmes. Inez fait quelques mouvemens ; elle respire avec plus de liberté ; elle ouvre enfin les yeux, et reprend connaissance. Elle regarde celui qui est devant elle : « Que vois-je ! dit elle ; c’est toi ! mon ami ! mon frère ! » Et elle se jette dans les bras du fils de Coutinho, car c’était lui-même.
Après avoir quitté San-Salvador, Gonzalez était entré dans la forêt, pour y chercher de la nourriture et du repos. Des orages, des bananes et des ananas avaient suffi à ses besoins. Il s’était retiré, pour passer la nuit, dans la caverne où les chasseurs tupinambas l’avaient aperçu. Comme ils ignoraient que ce Portugais eût échappé au massacre, ils l’avaient pris pour un de leurs Esprits, car aucun d’eux n’avait osé même le regarder attentivement, tant ils craignaient sa présence. La guitare d’Inez avait seule attiré Gonzalez en ces lieux.
Après s’être un peu remise du trouble dans lequel l’avaient jetée ces diverses émotions, Inez informa Gonzalez de tout ce qui s’était passé à San-Salvador et à Cotiva ; Gonzalez l’instruisit aussi de ses malheurs.
La jeune Portugaise se rendit ensuite vers Caramourou, afin de lui annoncer qu’elle avait revu son frère. Mais Caramourou jugea qu’il serait imprudent de le faire venir à l’aldée ; la haine que portent les sauvages aux Européens pouvait lui être funeste. On convint donc qu’il se tiendrait caché dans les alentours. Caramourou lui donna tout ce qui pouvait le voir tous les jours.
JAKARÉ-OUASSOU.
PÉZARE.
Sais-tu souffrir ?
OTHELLO.
Oui, parle.
PÉZARE.
Et, sans être agité,
Apprendre un grand malheur avec tranquillité ?
Garde-toi d’écouter la méchante langue ; ne t’avise pas d’être complaisant à ceux qui parlent mal du prochain.
L’ECCLÉSIASTE.
Il est partout de lâches, partout des traîtres ; il y en avait parmi les Tupinambas.
Quelques Indiens, inhabiles à la chasse ainsi qu’au combat, amollis par les présens que leur ont fait les Européens avant que les sauvages aient déclaré la guerre à Coutinho, et regrettant la liqueur de feu[*], qu’ils aiment à l’excès, ont résolu de rappeler le gouverneur portugais. Tangara et Janipaba sont ceux que les mécontens ont choisis pour chefs ; ils conviennent entre eux de faire connaître leurs desseins à Coutinho, et des négociations sont commencées à cet effet. Mais ils savent que la plus grande partie des Tupinambas s’opposeront à leurs projets. Ceux qui les approuvent sont en très-petit nombre. Ils n’osent se découvrir, et agissent en secret l’intrigue fera ce que la force ne peut faire. D’abord, pour priver la tribu des deux principaux chefs, ils veulent diviser Tamandua et Jakaré.
Tangara et Janipaba se réunissent. Ils n’ignorent point que Tamandua aime l’Européen, sans en être payé de retour ; l’amour de Jakaré pour selle qu’aime son ami n’a point échappé à leurs regards observateurs. Janipaba se rend vers Murucujé-le-Devin. Après lui avoir fait part du projet qu’ils ont conçu, il le fait entrer dans leurs plan ; et le complot le plus noir, le plus abominable, est ourdi contre les deux sauvages amis. Pour le mettre sur-le-champ à exécution, le jongleur va trouver Jakaré ; il l’aborde avec un visage grave et sévère :
« — Jakaré écoute ma voix ; il sait que je connais tout. Il est Jakaré-le-Fort ; je suis Murucujé-le-Devin. Les Esprits ont dit au devin que Jakaré était coupable. Tu est coupable. Ils m’ont dit que tu ai mais l’Européenne, et que tu étais aimé d’elle. »
L’Indien, en entendant ces paroles, reste pétrifié d’étonnement. Les lèvres de cet homme simple ont à peine la force de balbutier ces mots :
« — Murucujé, tu dis vrai ; j’ignore si la fille d’Europe aime Jakaré ; mais puisque tu converses avec les Esprits, et qu’ils t’ont dit cela...
« — Oui, ils m’ont dit cela. Jakaré, ton coeur est bon, et tu aimes ton ami ; tu souffres d’être son rival ; voilà qui est bien : c’est bien. Les Génies ont entendu ta plainte : ils m’envoient prés de toi pour faire cesser tes tourmens. Obéis à mes ordres. »
Il dit d’un air inspiré : le sauvage écoute dans le plus religieux silence. Alors le piaye :
« — Il est un moyen d’obtenir le repos : le voici. Cette nuit, au milieu de la nuit, tu sortiras doucement de ta case ; tu graviras la montagne Blanche : tes épaules seront chargées de présens pour les bons esprits. Tu auras du cauin, des poissons, des peaux de jaguar et des plumes de perroquet. Arrivé sur le somment de la montagne, sous le grand jenapuga (tu connais le grand jenapuga), tu diras : « Bons Génie, j’aime la fille des Européens : elle m’aime aussi ; mais je ne veux plus l’aimer, parce que je souffre. Voici des présens. » Tu diras cela cinq fois, afin que les esprits l’entendent, et ils rendront la joie à ton coeur, et le sourire à tes lèvres. »
Murucujé se tait. Le crédule sauvage, charmé de ce discours, se dispose à exécuter les ordres du devin. Il apprête les présens que celui-ci lui a recommandé d’apporte : le devin espère se rendre le lendemain à la montagne pour s’en emparer.
Tangara va nouer un autre fil de la trame. Il s’approche de Tamandua, et s’assied sur sa natte, près de lui, les bras croisés. L’amant d’Inez remarque á peine l’Indien. Sa douleur et son amour l’occupent tout entier. Après un moment de silence, Tangara s’adresse à lui, et d’un air d’intérêt :
« Le cacique est affligé, dit-il. La fille d’Europe est celle qu’il a choisie, il pense à elle. Le cacique voudrait être celui à qui elle dira : « J’aime, je t’aime ; » mais la fille d’Europe n’a pas dit cela au fils d’Ombu.
« — Tu dit vrai, Tangara ; comment tes yeux peuvent-ils voire ce qui est caché ? Oui, je l’aime, et je suis dans la peine.
« — Tamandua, depuis que l’Européenne est parmi nous, tu as fui celle qui était ton amie, Moëma. Pourquoi, à la chasse, ta flèche part-elle sans qu’une main sûre l’ait dirigée ? C’est parce que le génie de l’amour est dans ton sein. Et lorsque l’étrangère foule l’herbe qui est au bord des ruisseaux, tu suis la trace de ses pas, la tête baissée ; ton amante cueille une fleur : elle la jette pour une autre plus belle, puis elle laisse celle qui est plus belle pour une autre plus belle encore. Toi, son amant tu ramasses avec soin la fleur fanée qu’elle a tenue dans ses mains ; tu la prends, tu la baises, et tu la caches dans ta case. Ne t’ai-je pas vu manger des bananes du bananier qu’elle préfère ? Ne t’ai-je pas vu aussi t’asseoir à la place où elle s’était assise ? En observant toutes ces choses, je disais : « Pauvre Tamandua ! comme il aime ! » J’ai entendu aussi d’autres hommes qui disaient : « Pauvre Tamandua ! »
« — Tangara, tu es habile à connaître la vérité.
« — Oui ; mais j’ai vu aussi que la fille d’Europe fuyait les Tupinambas. Où donc est son amant, ai-je pensé ? Il faut que je le sache. Alors j’ai quitté la jeune fille, et j’ai appris... o Tamandua ! comment te dire cette chose ? »
A ces mots, l’hypocrite sauvage feint d’être peine de lui donner une affreuse nouvelle.
Mais Tamandua :
« Parle sans crainte, je sais souffrir.
« — Hélas ! le coup que je vais te porter est terrible : cependant tu sauras tout, Tamandua. Tu as été trahi ; l’amant d’Inez, celui qu’elle aime ! ô le perfide ! c’est ton ami, c’est Jakaré.
« — Me trahir ! lui ! Je ne le croirai jamais Lui ! Jakaré ! Si mes yeux voyaient cela, si mes oreilles l’emprendaient, je dirais : mes yeux et mes oreilles me trompent ; Jakaré est mon ami, et mon coeur ne me trompe pas... Misérable guerrier, laisse-moi, je ne le croirai pas.
« — Tamandua, les Génies du mal s’emparent de toi : « Tangara, m’as-tu dit, ta bouche dit la vérité ; » et maintenant tu doutes de mes paroles ! Jakaré est un traître ; oui, c’est un traître : il se rit de toi. »
En disant ces mots, le sauvage cherche à lire sur le visage de Tamandua l’effet qu’a produit son mensonge. L’amour est soupçonneux ; il renplit le coeur de Tamandua de crainte et de jalousie ; mais l’amitié impose encore silence aux soupçons. Tangara, qui voit les combats de son ame, achève de l’égarer.
« Écoute : toi seul ignores tout cela, mais je puis te montrer ce que tu ne veux pas croire. Je te pardonne de m’avoir injurié. Lorsque tu auras reconnu la vérité, tu diras : Tangara, c’est bien. Jakaré n’était pas mon ami. »
« — O guerrier, pourquoi es-tu entré dans cette case ? Mais donne-moi des preuves.
« — Des preuves ! Si les lèvres de Jakaré disent : « J’aime l’Européenne ; elle m’aime aussi, » le croiras-tu ? Lorsque le milieu de la nuit sera arrivé, si tu es à la montagne Blanche, tu verras Jakaré. Que fait là un guerrier, la nuit, sans flèches, sans massue, sans armes ? Il va demander, par ordre du devin, des charmes[56] pour que l’Européenne continue de l’aimer. Tu le verras, regarde, écoute. »
Il dit et s’éloigne, laissant Tamandua en proie aux plus violens combats, et craignant de s’assurer de la vérité.
La nuit descend ; le soleil se cache derrière les montagnes ; les oiseaux chantent encore, mais faiblement : une gaze sombre voile la nature et s’épaissit ; les oiseaux ne chantent plus ; le soleil est caché ; la nuit est venue.
Selon les ordres du devin, Jakaré remplit un vase de terre de cauin, et charge ses épaules de peaux de jaguar et de plumes. Il sort en silence de sa case, et gravit la montagne Blanche. Arrivé sous le grand jenapuga, il dépose ses présens, et dit : « Bons Génies, j’aime la fille des Européens ; elle m’aime aussi. Comme elle est belle ! Voici des présens... Oh, bons Génies, accordez-moi le bonheur ! faites que la jeune fille...... »
Il n’avait pas achevé, que Tamandua paraît devant lui, et, lançant sur Jakaré un regard où se peignent à la fois la colère et l’indignation :
« Fils des Anhangas, dit-il, me voici, moi, Tamandua. »
En apercevant son ami, Jakaré est saisi de stupeur. Quoiqu’il soit innocent, l’idée d’avoir eu un secret pour Tamandua le remplit de confusion. Tamandua, aveuglé par la fureur, continue :
« Homme méchant, homme perfide, tu as trahi celui qui t’aimait.... qui t’aime encore ; car si mes lèvres n’avaient pas prononcé le serment de l’amitié, ma massue serait déjà rouge de ton sang.
« — Tamandua ! s’écrie Jakaré, moi te trahir ! moi ! tu l’as pu croire !
« — Tu oses démentir cela ! Mes oreilles n’ont-elles pas entendu les paroles que tu viens de prononcer ? Crois-tu m’abuser ? Ne suis-je pas Tamandua, le fils d’Ombu ? N’ai-je pas devant moi un Tupinambas faux, lâche et trompeur ? Jakaré osera-t-il nier cela ?
« — Je suis innocent, mais je suis bien malheureux : mon ami doute de moi, il m’injurie, moi qui l’ai délivré lorsqu’il allait mourir chez les hommes étrangers ! moi qui ai laissé de mon sang dans la mer lorsque je le soutenais dans la mer lorsque je le soutenais dans mes bras sur les flots.... moi qui pleure lorsqu’il pleure, moi qui marche devant lui pour écraser le serpent qui voudrait mordre ses pieds, moi qui l’aime, moi qui l’aime tant !!!....
« — Tu m’aimes ? Non, lâche ; tu dis ces paroles parce que tu crains mon bras. Homme-femme, tu trembles maintenant, tu redoutes ma vengeance. Ah ! pourquoi faut-il que ma main refuse de te punir ? Ne reparais plus devant moi ; cache-toi dans la forêt ; fuis l’aldée qu’habite Tamandua, afin que ses yeux ne soient point offensés par vue d’un méchant. Va-t’en ; ne force point un Tupinambas à tuer et à manger celui qui fut son ami.
« —Tuer et manger son ami ! Fils d’Ombu, ce n’est pas moi qui aurais jamais dit cela. » Et deux grosses larmes roulent dans yeux du sauvage. Tamandua, ajoute-t-il, de mauvais Génies te trompent : je suis toujours ton ami ; je n’ai pas cessé de te chérir, et cependant tu m’affliges.... Vois, je pleure.
« — Tes larmes sont fausses : tu es plus rusé que le serpent qui se glisse dans la case pour manger les enfans. Si tu ne veux pas fuir, je vais m’éloigner, et je ne te regarderai jamais. Lorsque tu seras dans le lieu où je chasserai, où je ferai la guerre, je détournerai la tête, et je courrai où tu ne seras pas. Misérable, menteur, méchant ami, laisse-moi, ne me suis pas. »
Jakaré répétait lentement : « Menteur ! méchant ami ! Mais je ne saurais pas dire, moi, de telles paroles. »
Tamandua avait disparu dans la forêt.
Jakaré veut en vain s’attacher à ses pas. Le malheur terrasse l’homme fort ; il le rend faible comme un enfant. Jakaré sent plier sous lui ses genoux ; il tombe épuisé. Il se relève péniblement, et continue sa marche jusqu’à ce qu’il soit arrivé à la casse de Tamandua. Il prête l’oreille ; des soupirs étouffés interrompent seuls le silence de la nuit : « Tamandua est là, dit-il, dans la douleur ; il croit son ami coupable, il faudrait le détromper. » Il se couche alors sur le seuil de la porte, afin que le fils d’Ombu ne puisse pas l’éviter. La haine de son ami est pour Jakaré le plus grand de tous les maux..... Il pleure, il pleure, il pleure encore, et ses larmes ne le soulagent pas. « Ah ! je souffre ! » dit-il, en se tordant les mains et en s’agitant avec désespoir ; il croit être étendu sur un lit d’épines.
« — Encore toi ! » dit-il.
Jakaré ne répond point ; mais ses mains jointes et son air suppliant, son accablement, la tristesse répandue sur son visage, tout émeut Tamandua ; il détourne la tête, craignant de se laisser attendrir.
« — Ne me parle plus, lui dit-il ; ne me regarde plus : il faut que je te haïsse !
« — Tu veux me haïr !..... Tiens, prends cette massue, tue-moi, tue-moi !
« — Fuis loin Tamandua !
« — Ah ! écoute-moi ; je ne puis me séparer de mon ami. Loin de lui, je ne suis plus un guerrier, je suis une femme ; je tremble, je pleure ; loin de lui, mon bras n’a plus de force, et mes pieds ne peuvent marcher. Il m’est impossible de ne pas t’aimer.
« — Comme ta bouche sait mentir avec adresse, traître !
« — Moi, un traître ! oh ! non ! »
En disant ces mots, Jakaré se jette aux pieds de Tamandua. Il embrasse ses genoux, et les presse dans ses bras ; mais Tamandua est inflexible. Il le repousse, et, cachant sa tête entre ses mains, il cherche à se dégager des bras de son ami. Jakaré l’inonde de ses larmes, se traîne après lui pour le retenir ; mais le dur, l’inexorable Tamandua multiplie ses efforts, et parvient à s’échapper.
Jakaré reste plongé dans un accablement affreux. Il est une douleur muette qui boule vers l’ame et la déchire, en anéantissant les facultés de l’homme. Le dernier degré de la souffrance, c’est lorsqu’on n’a plus même la force de se désespérer. Jakaré est comme privé de sa raison. Le sentiment de son malheur a éteint en lui tous les autres sentiment de son malheur a éteint en lui tous les autres sentimens. Ses membres sont immobiles, et son oeil n’a plus de larmes.
Enfin il sort de sa stupeur, et, tâchant de déguiser ses chagrins, il se rend sous la cabane de son père, le vieux Koniam-Bebe :
« — Père, lui dit-il, tu vas embrasser ton fils. »
Il le baise au front ; une larme brûlante coule sur la joue du vieux sauvage.
« — Pourquoi, s’écrie-t-il, le fils de Koniam-Bebe est-il affligé ?
« — Ton fils va quitter Cotiva.
« — Où va-t-il ?
« — Dans les forêts, loin, bien loin.
« — Pourquoi quitte-t-il ses amis, ses parens ?
« — Pour aller tuer des hommes ennemis. Jakaré a besoin de combattre. Depuis que sa massue ne se lève plus que sur le jaguar et sur le tapirassou, il s’ennuie. Père, embrasse ton fils. »
A ces mots, il le baíse encore, le contemple avec respect, et s’éloigne. Il vient de le voir pour la dernière fois ; il veut fuir à jamais Cotiva.
Sa tête n’est point ornée de plumes, et son corps n’est pas brillant de couleurs. Il n’a d’armes que sa massue. Son coeur est navré ; il marche, la tête baissée, et d’un pas lent et indéterminé.
Il venait de quitter l’aldée, lorsque, dans la forêt, Moëma se présente à ses yeux. Elle s’approche de lui :
« — Jakaré, dit-elle, guerrier, pourquoi cet air triste et chagrin ?
« — Jeune fille, répond Jakaré, j’ai bien raison d’être triste. Je pars, je reverrai plus Cotiva....... ni le fils d’Ombu !
« — Pourquoi abandonnes-tu Tamandua ?
« — C’est lui qui le veut !
« — Il ne t’aime donc plus ?
« — Moi, je l’aime toujours. Maintenant que je l’ai quitté, je sens que je l’aime beaucoup ; mais il dit (ô méchans Génies ! comme vous le trompez !), il dit que je suis un traître !
« — Toi, Jakaré, un traître ! Je ne le crois pas. Quelques esprits malfaisans l’auront abusé...... Mais quelle est la cause de tout cela ?
« — Celle qui fait aussi ton malheur.
« — L’étrangère ?
« — Oui, toujours l’étrangère !
« — Jakaré, je te plains. La fille des Européens a fait bien du mal en venant à Cotiva ! Ah ! pourquoi le devin n’a-t-il pas dit à Tamandua : « Cette fille, c’est une ennemie de ton repos. Avant de l’aimer, tue-là ! » Son sang aurait coulé sans que personne en fût affligé, et nous aurions tous mangé sa chair avec délices ; mais maintenant que les Anhangas ont résolu que l’homme tupinambas aimerait celle qui a été enfantée par une compagne des Européens, il n’est plus temps de donner ses membres à nos dents, car tamandua serait dans les larmes.
« Tu dis vrai ; tu es aussi malheureuse que moi. Mais tamandua m’a ordonné de fuir : je pars. Tu diras aux Tupinambas : Jakaré le guerrier est allé mourir loin des os de ses pères ; son corps sera dévoré par les bêtes qui auront faim, car il ne se défendra pas ; il n’aime plus la vie : Jakaré le guerrier est allé mourir loin des os de ses pères ! » Et si quelquefois Tamandua te parle de moi, dis : « Oh ! il n’était pas coupable ! tu as été trompé. » Jeune fille, tu peux dire cela, c’est la vérité. Alors peut-être Tamandua redemandera son ami ; mais il ne saura plus où me chercher. Je ne le reverrai que dans le pays des ames[57]. Là, oh oui ! je retrouverai mon ami, pour l’aimer, pour qu’il m’aime, pour que nous ne nous quittions plus jamais. »
A ces mots, il se sépare de Moëma, qui rentre à l’aldée.
[*]L'eau-de-vie.
JAKARÉ-OUASSOU.
Spargite hunun foliis, inducite fontibus unbras,
...........................................................................
Et tunulun facite.
Couvrez la terre de feuilles, ombragez les fontaines,
élevez un tombeau.
VIRGILE.
Caramourou et l’infatigable Catherine arrachaient chaque jour une foule de sauvages aux ténèbres de l’idolâtrie. Ils parlaient au coeur avant de s’adresser à la raison, ils touchaient avant de convaincre ; ils la faisaient aimer avant de la faire comprendre, cette belle religion du Christ, qui eût brillé de tout son éclat dans les forêts du Nouveau-Monde, si la croix eût traversé les solitudes d’Amérique sans se faire précéder de l’épée, qui frappe et qui tue. Caramourou, s’entourant de prosélytes, menaçait de ruiner la puissance naguère colossale du devin, qu’il signalait aux nouveaux chrétiens comme un imposteur dont toute la science consistait à savoir abuser de la simplicité de ses compatriotes.
Le devin souhaitait ardemment que les Portugais revinssent , espérant que Caramourou retomberait au pouvoir de Coutinho. C’est pourquoi il favorisait de tout son pouvoir le complot qui se tramait pour le rappel du gouverneur. Quelques Indiens, envoyés aux Ilheos, devaient arriver à l’aldée dans quelques jours, apportant la réponse de Coutinho aux conditions qu’on lui avait proposées. En attendant, le devin cherchait une occasion de frapper les esprits, afin de ramener sous sa domination ceux des sauvages qui commençaient à l’abandonner.
Observateur rusé, rien n’échappe à ses regards ; il connaît l’amour de Moëma pour Tamandua, et l’indifférence de celui-ci depuis qu’il a vu la fille du tyran ; il sait que l’amante délaissée du cacique coule des jours malheureux minés par la souffrance.
Son projet ne peut manquer de réussir. Parson ordre les Tupinambas se réunissent. Il arrive au milieu des sauvages, paré de plumes éclatantes, et tenant à la main le maraca, signe de sa puissance. Son maintien commande le respect, et sa voix est celle d’un inspiré.
« Écoutez, dit-il, enfans de Tupan, écoutez : cette nuit j’ai vu le Grand-Esprit ; le Grand-Esprit est grand, grand comme le seraient deux jenapugas attachés l’un au bout de l’autre ; son corps est couvert de plumes d’oiseau que les Tupinambas ne connaissent pas. Tout à l’entour sont des bras plus longs que les plus grands arbres ; sa tête est sous ses pieds ; sa bouche est derrière sa tête ; c’est de ses yeux que part la foudre, et voilà pourquoi vous le nommez Tupan, qui veut dire le tonnerre ; il marche aussi rapidement que le boicininga. Sa voix est en même temps terrible comme celle du jaguar, et douce comme celle de l’azuléon ; il parle le langage des Tupinambas. Il m’a dit : « Murucujé, sage devin, je parle ; fais rassembler les Tupinambas, mes fils. Tu leur diras : « Enfans de Tupan, m’a dit : Parmi les filles de la tribu il en est une qui doit mourir : elle mourra. Elle mourra avant que les hommes aient fait la troisième chasse. Son nom est Moëma ; elle est fille de Quereiva et de Bétélé ; ceci doit être annoncé à la tribu. Moëma, fille de Quereiva et de Bétélé, mourra avant la fin de la troisième chasse. »
Il dit : tous les regards se portent sur l’amante du cacique Tamandua. Moëma lève sur le jongleur ses beaux yeux éteints ; ses traits expriment plutôt le remercîment que la crainte. La mort ne se présente à son esprit que comme le terme de ses maux ; elle n’a pas la force de la désirer, mais elle obéira avec sounission à ses ordres.
Elle répond :
« Sage devin, puisque le Grand-Esprit le veut, le mourrai. »
Elle se tourne alors vers son père :
« Bétélé, dit-elle, ta fille va te quitter ; et toi, Quereiva, ma mère, celle que tu aimais tant, Moëma, ta fille, ne vivra plus dans ta case ; il faut me séparer de vous, de mes amis, de toute la tribu ; il faut abandonner et l’aldée et la forêt : je mourrai. »
En achevant ces mots, sa tête se penche sur son sein. Toutes ses amies, les jeunes filles, autrefois compagnes de ses jeux, se pressent autour d’elle ; c’est à qui lui prodiguera le plus de caresses et d’amitié. On essaie de la distraire ; on voudrait la voir sourire ; mais elle regarde autour d’elle ; elle n’aperçoit point Tamandua, et la présence de son infidèle amant pourrait seule la rappeler au bonheur ; mais tamandua est lui-même retire dans sa case en proie á la douleur.
La prédiction du devin répand la tristesse dans toute la tribu. Moëma est chérie de tous les sauvages, et chacun pleure une amie, car sa mort n’est pas douteuse : le devin l’a annoncée. La jeune fille elle-même regarde le terme marqué par le jongleur comme le dernier instant de sa vie ; et cette certitude, qui est constamment à son esprit, hâte les progrès du mal langoureux qui la consume.
De jour en jour ses forces s’affaiblissent. Hélas ! rose timide du matin, elle va tomber fanée en un printemps, et le soir du jour qui la vit éclore la voit desséchée sur sa tigre. A peine avait-elle effleuré de ses lèvres la coupe du bonheur, qu’il lui a fallu, en expiation, vider jusqu’à la lie le calice de l’infortune.
Caramourou est au prés d’elle ; il l’engage à braver les ordres du piaye ; il essaie de la dissuader de mourir, car il connaît la puissance de la prophétie du devin sur l’imagination des sauvages ; mais ses efforts sont vains. Moëma refuse même de prendre la nourriture qui lui est présentée, disant que c’est une chose inutile, puisqu’on ne prend de la nourriture que pour vivre, et qu’elle doit mourir. Une idée fixe l’agite sans cesse ; elle voudrait parler à l’étrangère ; elle prie Caramourou d’engager la fille des Portugais à venir dans sa case. Inez ne peut résister aux instances de Caramourou ; elle se rend vers Moëma, vers celle que les sauvages nom met sa rivale. En l’apercevant, la jeune Brésilienne détourne la tête ; mais bientôt, semblant repousser un sentiment de haine, elle lui dit :
« — Femme, ne tremble pas ; approche sans crainte. Je ne hais pas celle qu’aime Tamandua ; cependant c’est toi qui l’as fait mépriser sa bien-aimée. Avant de te connaître, il était mon ami. O ! qu’il était beau lorsqu’il me dit : Je t’aime ! » Je chantais ; il s’approcha de moi. Ma chanson le charma. Voici ce qu’elle disait :
« Je voudrais aimer.
« A peine le corbeau a fait quinze nids depuis que mon père a dit : « Je suis père. »
« Je n’ai point encore aimé ; mais je sens que mon coeur a besoin d’un amant. Je le chercherai au milieu des bois et sur la montagne ; je le chercherai dans la pirogue qui coule sur les eaux.
« Viens, lui dirai-je, aime-moi, je t’en conjure. Avec Moëma, tu seras plus heureux que le jour où pour la première fois tu tuas un ennemi ; tu seras plus heureux que lorsque tu délivras ton vieux père qui avait été fait prisonnier. »
« Si c’est un chasseur, je lui dirai : « Tu es fin comme le merle, et adroit comme le saratu ; ton corps est plus beau que le plumage du perroquet, et tes dents ont plus de force que le bec du vautour. »
« Si c’est un pêcheur, je lui dirai : « Tu nages mieux que la grenouille, et tu te caches au fond de l’eau[58] comme l’oiseau plongeur. »
« Je dirai à mon amant : « Entrelace tes bras autour de mon corps, et couvre ta tête de ma chevelure. »
« C’était ma chanson. Tamandua me dit : lorsque je suis près de toi, mon coeur est plein de joie ; il me semble que les plumes des oiseaux ont plus d’éclat, et que leur voix est plus douce ; il me semble que tu es la plus belle fille des Tupinambas, et que je suis le plus beau guerrier de la tribu. » Je lui répondis : « Tu aimes ! » ............et maintenant il m’a abandonnée ; il m’a laissée seule avec son nom sur mes lèvres, et je vais mourir. »
Elle s’arrête. Ces mots : « Je vais mourir ! je mourrai ! » reviennent sans cesse à sa louche.
Elle reprend :
« — Toi, Inez, tu resteras auprès de lui. Mais pourquoi ne veux-tu pas l’aimer ? Il est si beau, si fort, si vaillant ! Tàche de le rendre heureux, de me remplacer. Sois ce que j’étais pour lui..... une amante et une mère. Sauras-tu lui choisir de belles flèches et tresser la corde de son arc ? Fais-lui toujours de la boisson d’acayaba ; c’est celle qu’il préfère. Prends pour orner son front, au jour du massacre, les plumes rouges : il aime les plumes rouges. Voici comment il faut faire : rends-le d’abord brillant de gomme depuis les épaules jusqu’à la plante des pieds ; après cela, pour qu’il ressemble aux oiseaux, jette sur son corps un grand nombre de plumes ; la gomme les retiendra sur la chair du guerrier, et ce sera une belle chose. Quand le fils d’Ombu ira à la guerre, garde-toi bien de laisser apercevoir tes craintes ; il ne veut pas voir trembler l’amante d’un cacique.
« Il y a long-temps, il était encore bien jeune, il alla combattre ; je pleurai. Il me dit : « Moëma, ne pleure pas ; » et je me mis à chanter. Je chantai les paroles de la victoire, parce que je vis qu’il était certain de revenir vainqueur. Peins donc toi-même ses membres, en disant : « Je peins le corps de mon bien-aimé. Vois, ma main ne tremble pas ; je suis l’amante d’un homme qui tue toujours son ennemi : cet homme ne sera pas tué. » Fille d’Europe, je t’en supplie, fais tous tes ces choses pour lui. Alors, s’il retrouve en toi une seconde amie, il sera content, et il se souviendra de Moëma. »
En entendant ces paroles, la vierge portugaise est émue de pitié. Combien elle désirerait que la généreuse sauvage pût être rendue à l’objet de son amour ! Mais, hélas ! elle ne peut former que des voeux impuissans, et son coeur ignore les consolations qu’il faut apporter à cette infortunée.
Enfin Moëma sent venir ses derniers momens. Le jour que le piaye avait annoncé comme le dernier va bientôt finir. Une foule de sauvages sont près de son hamac. Vieillards, hommes, femmes, enfans, tous pleurent. Moëma demande à être seule avec Tamandua. On va chercher Tamandua.
Lorsqu’il entre :
« — Tamandua, lui dit son amante, j’ai voulu te voir avant de mourir. Ce n’est point pour te parler de mon amour, non ; mais ton ami Jakaré..... »
A ce nom, Tamandua frissonne.
« Jakaré, reprend Moëma, a fui loin de l’aldée ; c’est toi qui l’as voulu. Il ma dit : Moëma, je ne suis pas coupable : il faut que mon ami le sache. » Tamandua, Jakaré est innocent.
« — Pauvre fille, dit le cacique, toujours bonne ! Mais Jakaré !.... Ne m’en parle pas. C’est un traître ! »
Moëma se tait. Tamandua s’approche d’elle ; il prend sa main, et regarde la jeune fille avec des yeux mouillés de pleurs. Pâle, accablée sous poids de la souffrance, qu’elle était belle alors ! Dans cette voix tremblante, quelle magie ! quelle volupté !
« — Moëma, dit le cacique avec un accent doux et plaintif, serait-ce donc moi qui cause ta mort ?
« — Oh ! non ! répond Moëma, craignant de l’affliger ; le piaye l’a ordonné. Cette nuit, je dois mourir. Oui, lorsque le soleil aura passé à travers les feuilles du grand arbre qui est derrière la case du piaye, je serai morte. Bientôt mon corps sera renfermé dans le grand vase de terre rouge... Il y sera seul... seul... Tamandua, si je t’ai fait quelquefois de la peine, pardonne-moi. Je t’aimais tant ! comment pouvais-je voir, sans tressaillir comme la colombe percée d’une flèche, que tu me fuyais pour l’Européenne ! Il me semblait que tu disais tout bas : « Elle est plus belle que toi ! » Sais-tu que mon coeur était comme écrasé entre les deux rochers de la montagne ? Sais-tu qu’il est arrivé des jours où je ne pouvais plus pleurer ? Cela fait mal, bien mal, de ne plus pouvoir pleurer ! Tamandua, lorsque je n’occuperai plus aucune place parmi les hommes, jette sur ma tombe les fleurs qui auront orné les cheveux de l’Européenne. Puisse-t-elle t’aimer autant que moi ; puisse-t-elle être bien douce, bien travailleuse, et respecter les cheveux blancs de ton père ! Adieu, je vais pleurer, moi, en t’attendant, avec les Génies qui dansent là-bas derrière les montagnes bleues[59] ; je vais pleurer jusqu’au jour où je reverrai celui que j’aime dans le pays des ames. »
Tamandua, à ces mots, craignant de montrer sa faiblesse, se retire dans un coin de la case, et cache sa tête dans ses mains pour gémir.
La nuit est venue. Moëma s’affaiblit de plus en plus ; sa poitrine est oppressée, elle ne respire plus qu’avec peine : imagination frappée la jette dans le plus violent délire.
Cependant les nuages qui courent au hasard et s’amoncellent dans les cieux annoncent un orage. Des éclairs sillonnent la nue ; la pluie tombe à longs torrens. Des pas précipités se font entendre ; c’est le devin : l’ouragan le précède.
Il entre d’un air inspiré, et, agitant sa chevelure :
« — Tupinambas, dit-il, voici la nuit fatale ; Moëma n’a plus qu’un instant à vivre ! »
En ce moment, la jeune fille mourante s’agite convulsivement ; ses yeux roulent dans leur orbite ; son sein se souffle est embràsé.
« — Entendez-vous ? s’écrie le jongleur ; c’est la voix de Tupan ! »
La foudre éclate à ces mots, et rend un son prolongé qui couvre les paroles de Murucujé...... Moëma n’est plus ! Son corps est étendu immobile sur le hamac[60]. Pauvre Moëma ! si douce, si bonne, la voilà ! elle est morte, morte !!!...... l’amour l’a tuée !!!
Les sauvages restent anéantis du coup qui vient de la frapper ; ils regardent le piaye d’un air de reproche ; quelques uns voudraient parler, mais le respect les arrête : le devin n’agit que par la volonté d’êtres supérieurs !
La nuit entière se passe dans la douleur ; tous les sauvages regrettent Moëma ; le lendemain, sa fosse est creusée à quelque distance de l’aldée, au pied d’un arbre. On met le corps de la jeune fille, paré de ses plus beaux ornemens, dans le grand vase de terre rouge. Les sauvages le descendent dans la fosse ; on le couvre de terre, et on met sur le tombeau des fruits, de la boisson, et toutes sortes d’alimens, ainsi que la plante de la mort[61].
Pendant quelques jours, la tristesse la plus grande régna à Cotiva. Les parens et les amis de l’infortunée Moëma, inconsolables de sa perte, furent long-temps à sécher leurs larmes.
JAKARÉ-OUASSOU.
La nue se déchire, et l’éclair trace un rapide
Losange de feu. Un vent impétueux sorti du couchant
Roule les nuages sur les nuages ; les forêts plient, le
Ciel s’ouvre coup sur coup, et à travers ses crevasses
on aperçoit de nouveaux cieux et des campagnes
ardentes. Quel affreux, quel magnifique spectacle !
CHATEAUBRIAND, Atala.
TOUT présage un ouragan ; l’air s’épaissit et s’embrâse ; un poussière étouffante s’élève du désert, pareille à l’énorme flot de l’Atlantique ; et ternissant par degrés leur éclat et leur verdeur, elle monte au sommet des arbres, dont le branchage ne semble plus s’agiter qu’avec peine dans une atmosphère enflammée.
Par intervalles, de larges gouttes de pluie tombent pesamment sur la terre. La foudre ne gronde point encore, mais une odeur de soufre est répandue dans la forêt, où règne ce calme effrayant, précurseur de l’orage. Quelquefois, et de loin en loin, on aperçoit des bandes rougeâtres, qui traversent la nue en silence comme de longs serpens de feu. Des lieux humides s’élèvent des exhalaisons qui s’allument dans l’air, et s’évanouissent. Mais tout-à-coup les arbres tremblent, et balancent leur cime poudreuse ; de l’extrémité de la forêt s’avance un noir tourbillon, une trombe immense et mugissante, qui semble près de soulever le désert tout entier. Les arbres sont déracinés, rompus, et tombent avec fracas dans le lit des fleuves. La foudre a déchiré la nue : elle éclate, elle frappe la crête des monts, retentit d’écho en écho, et l’éclair éblouissant se réfléchit dans la prunelle sanglante du tigre, qui saute de rocher en rocher, et cherche un refuge contre la tempête.
C’est alors que de grands coups de tonnerre, qui se succèdent et se répondent, ébranlent et la forêt, et la montagne, et la cabane du sauvage. Le sauvage, réveillé au milieu d’un songe, s’assied sur son hamac ; à travers les fentes de sa case, il voit du feu, toujours du feu. Un bruit terrible frappe son oreille, et se prolonge sur sa tête.
Le sauvage dit à sa compagne :
« — Entends-tu ? »
La femme indienne répond :
« — C’est l’orage. »
Alors, le guerrier s’étend dans son hamac, et se retourne en disant :
« — C’est beau. »
Cependant les torrens ont grossi ; rapides comme la flèche, ils courent s’engloutir dans les fleuves, où ils entraînent d’énormes quartiers de roche, de grands troncs d’arbres brisés et noircis par la foudre, des métaux précieux confondus avec la fange, et des masses de terrain peuplées d’animaux.
On voit aussi flotter sur les eaux des nids enlevés à la branche protectrice. L’oiseau consterné pousse un cri lugubre, et, suivant le cours du fleuve, il vole autour de sa fragile demeure ; quelquefois il s’y repose ; il veut l’arrêter par le poids de son corps. Voyez-vous cette femelle plaintive ? comme elle agite sa tête humide hors de son nid ! Vains efforts ! elle se laisse entraîner sur les flots avec ses oeufs chéris.
Mais la tempête redouble ; les vents déchainés, impétueuse phalange du Nord, accourent des bouts de l’horizon, poussant devant eux la dévastation et la terreur. Le firmament entr’ouvre ses voûtes brûlantes, et vomit un déluge de feu ; la terre sent frémir ses entrailles, et répond aux bouleversemens des airs par de sourds mugissemens.
Après avoir quitté Moëma, Jakaré s’était enfoncé dans la forêt ; forcé de chercher un abri contre les autans, il entre dans une caverne dont l’ouverture est tapissée de feuillage ; au fond règne une obscurité complète, tandis que l’ouverture est faiblement éclairée par le jour qui perce à travers le branchage. Le cacique pénètre dans cet antre ténébreux, et s’étend sur la terre. Il y est à peine depuis quelques instans, qu’un sauvage y entre, et parait y avoir un Tupinambas que depuis longtemps la tribu désigne comme un lâche.
Les malheurs de Jakaré l’ont rendu indifférent ; il ne fait aucun bruit. Le sauvage est bientôt rejoint par un autre Tupinambas.
« — Es-tu Guicupanga, l’Oiseau-Crieur ? » dit le premier sauvage.
« — Je suis Tonou, le Grand-Lézard ?
« — Je suis Tonou, le Grand-Lézard.
« — Voilà qui est bien dit.
« — Quelles nouvelles Guicupanga apporte-t-il ?
« — Les nouvelles sont bonnes. Nos deux compagnons, envoyés aux Ilheos, sont de retour. Ils ont dit à l’Européen : « Coutinho, quelques uns des nôtres t’ont vaincu ! les enfans de Tupan sont braves. Veux-tu nous promettre autant de liqueur de feu que nous en voudrons ? et nous t’obéirons, et nous t’aiderons à revenir à San-Salvador. »
« Coutinho a répondu :
« — Je vous donnerai tout ce que vous désirerez. »
« — Alors les nôtres sont convenus avec lui du nombre de vases de liqueur qu’ils voulaient chaque jour pour la tribu, et des choses que Coutinho nous donnerait a dit :
« — Pour que tout ceci s’accomplisse, je vais partir avec de nouveaux guerriers et leurs tonnerres ; vous, disposez le reste des Tupinambas à nous recevoir ; et s’ils résistent lorsque nous arriverons, nous les tuerons et vous les tuerez avec nous, et vous aurez tout ce que j’ai promis. »
« Ceux qui ont été envoyés par nous ont répondu :
« — Cela est dit ; allons, et faisons ce que nous avons résolu. »
« Et ils sont partis pour revenir ; ils sont revenus. Voici les nouvelles. »
En entendant ces paroles, Jakaré a vingt fois été sur le point de s’élancer sur les deux traîtres pour les massacrer ; mais il se retient, espérant connaître tout entière la trame ourdie par les perfides sauvages.
« — Oh ! oh ! reprend Tonou, les Tupinambas sont adroits. Ceux qui ont parlé ainsi au portugais sont de grands chefs..... Nous aurons de la liqueur de feu.
« — Tu dis vrai. Maintenant il faut que le devin sache tout cela, car il disposera ceux qui le craignent à recevoir les Portugais. Murucujé le devin va bientôt arriver.
« — Oui ; et quant à nous, lorsque Coutinho sera revenu, ..... nous aurons de la liqueur de feu. Cependant il faut bien prendre garde d’être découverts. Murucujé le devin, qui est sage, nous a dit qu’il n’y aurait point de traîtres parmi nous ; le devin dit vrai ; il sait tout.
« — La victoire sera pour nous ..... La tribu se divisera ...... Déjà le cacique Jakaré ..... »
En entendant prononcer son nom, Jakaré ne peut plus se contenir. S’il avait écouté un instant de plus, il apprenait la trahison qui le sépare de son ami ; mais son peu de prudence lui fait manquer l’unique occasion peut-être qu’il aura de connaître la vérité.
« — Jakaré ! s’écrie-t-il en s’avançant vers les deux sauvages, immobiles et muets de terreur ; Jakaré le Fort, le voici ! Hommes infâmes, guerriers sans courage, il a tout entendu ! Oh ! lâches, vous êtes les ennemis de votre tribu ! vous voulez rappeler le tyran ! vous voulez être mort que d’être esclaves ! Esclaves ! ..... il vaut mieux courir vers le tapirassou, et se jeter dans sa gueule, en disant : « Bête, mange-moi ! » Et ce sont des Tupinambas qui veulent être commandés par des Portugais ! ce sont des fils de Tupan ! O ma tribu ! puissent tous tes guerriers périr avant de voir une chose Semblable ! »
Il dit ; ses yeux semblent deux feux allumés dans sa tête. Il se met á l’entrée de la caverne, et, s’adressant aux deux sauvages consternés :
« — je veux bien vous délivrer des Anhangas qui vous poursuivent ; je veux bien vous arracher á la hote qui vous menace. JAKARÉ-OUASSOU ne vous déteste pas assez pour vouloir que vous soyez esclaves ! Non, il est bon : il va vous tuer. »
Les deux sauvages, tremblans, n’osent faire un seul pas. Ils cherchent des yeux une issue pour s’enfuir, mais en vrain : le terrible Jakaré leur ferme le passage. Ils essaient alors de lui échapper par la ruse :
« — Jakaré, disent-ils, tu as été abusé : écoute-nous. Nos paroles étaient feintes ; c’était pour tromper ......
« — Pour tromper qui ? ...... Il ne faut tromper personne, misérables ! C’est parce que mon ami a été trompé qu’il faut que je le fuie ! ...... Peut-être des méchans comme vous.....
« — Nous ne sommes point des méchans ; écoute ce que nous allons t’expliquer....
« — Non, je ne veux rien entendre ; pourquoi Tremblez-vous ? l’homme innocent ne tremble pas. Vous êtes des lâches ; je n’aime que mes amis et ma tribu ; périssent les traîtres, ennemis de mes amis et de ma tribu ! »
En disant ces mots, il lève sur Tonou sa redoutable massue, et la fait retomber sur la tête du sauvage, qui est écrasé sous le coup. Guicupanga, épouvanté, se jette á ses genoux, en implorant son pardon ; mais l’inexorable Jakaré s’écrie :
« — Point de pitié ! »
La fatale massue se relève ; elle frappe, et Guicupanga éprouve le son perfide compagnon.
JAKARÉ-OUASSOU.
Nos prêtes ne sont pas ce qu’un vain peuple pense :
Notre crédulité fait toute leur science.
Voltaire, Oedipe
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Cependant l’orage a cessé; l’ami de Tamandua est sorti de la caverne. Le complot formé contre as nation vient ajouter à ses malheurs un malheur de plus. Il est de ces douleurs si fortes, si terrassantes, que, frappant l’homme d’un accablement total, elles affaiblissent en lui les préjugés nés de son éducation, et ceux qui ont leur source dans son esprit. Il chancelle dans ses idées les plus fermes; il interroge ses premiers sentimens . Comme la souffrance envahit tout son être , elle lui crée une second nature. Parvenu à ce point, il ose porter ses regards bien au-delà de cette barrière qu’il semblait auparavant ne vouloir jamais franchir ; les choses apparaissent alors bien différents de ce qu’elles étaient; et ce qu’il y a de plus sacré s’offre sous un tout autre aspect à l’homme réellement malheureux.
C’est ainsi que Jakaré, instruit de le perfidie du devin, qu’il méprise déjà, voudrait se rendre compte de sa puissance. Il n’ose pas encore s’avouer à lui-même que le doute est entré dans son esprit ; mais il dit, en portant la main à son front brûlant :
« Ma tribu a son devin : les autres tribus ont aussi leurs devins. Et cependant Murucujé notre devin m’a dit, à moi Jakaré, qui suis malheureux : « Jakaré-le-Fort, j’ai seul le pouvoir de converser avec les Esprits, de connaître, dans les songes, quelles sont les maladies qui font souffrir les hommes, et de savoir quel animal est entré dans le chair de ces hommes, afin de les tourmenter et de leur faire pousser des cris qui réjouissent Anhagas ; et celui qui dit chez une autre nation : « Je suis un devin : » ment à des hommes crédules ; sa bouche dit le mal »... Mais, moi, qui ai beaucoup marché sur la terre, j’ai aussi entendu d’autres devins dire : « Que les Tupinambas sont simples! Ils croient, que Murucujé-le-Menteur est un devin. Cela n’est pas ; il les trompe; qu’une femme lui donne un coup de tacape, et elle lui cassera la tête, parce que les Esprits ne le connaissent point, ne le protègent point, et ne lui ont point appris leur langue pour qu’il parle avec eux.» Et ils envoyaient à Murucujé de vilaines plumes, de vilaines peaux, de vilains colliers et de la mauvaise boisson, afin de se rire de lui. Alors Murucujé disait : « Ceux qui m’ont envoyé cela mourront avant trois soleils. » Les trois soleils passaient, et ils ne mouraient pas... Murucujé disait encore : « Ce guerrier est malade : je vais mettre mon maraca[*] devant la porte de sa case[62], afin qu’il le nourrisse pendant plusieurs soleils, et le guerrier malade guérira. » Lorsque le maraca ne voulait plus de nourriture, parce que l’homme qui souffre ne chasse pas, et ne peut avoir de bon gibier, Murucujé entrait dans cette case ; il suçait la blessure du guerrier, et après cela montrait la queue d’un gros lézard, et laissait tomber de sa bouche un scorpion mort, en disant : « Guerrier tupinambas, un lézard était entré dans ta chair avec un scorpion ; voici le scorpion, il est mort. C’est moi qui ai fait cela.... » « Comment se fait il donc que j’ai vu souvent le devin qui cherchait des scorpions au pied des arbres, et des lézards dans les rochers ? »
Jakaré se croit coupable; il jette un regard furtif autour de lui, craignant de voir un Génie prêt à le punir de ses pensées. Un instant de calme et de réflexion commence à rassurer le sauvage, qui a soulevé le poids des préjugés de son enfance, lorsqu’il aperçoit le devin qui s’avance à pas pressés. Il vient rejoindre les deus conjurés. Une pensée frappa aussitôt Jakaré; il s’enfonce dans un massif, devant lequel le jongleur doit passer. Des que Murucujé se trouve en face de l’endroit ou l’indien s’est caché, celui-ci imite le souffle précipité du jaguar: le devin, pâlissant, pousse un cri d’horreur; alors Jakaré dit en revenant sur ses pas, afin de se trouver en face de Murucujé : « Cet homme m’avait assuré qu’il ne craignait point le jaguar ; il m’avait dit : Je mettrais ses griffes sur ma tête, et je presserais mon front contre ses dents : »
« Il a menti. »
Lorsque le jongleur voit Jakaré, dont il connaît la force, il marche plus lentement, et son visage reprend sa gravité ordinaire. Jakaré lui dit :
« Le devin a-t-il entendu le jaguar qui était près de sa femelle ?
« — Oui ; je l’ai vu, »
« Jakaré se dit alors: il ment; il n’y avait pas de jaguar : le jaguar, c’est moi ; puis il s’adresse encore au devin.
« Le devin sait tout. Que font maintenant Tonou et Guicupanga ? »
Murucujé parait étonné de la question du sauvage ; il craint d’être découvert ; mais il répond avec assurance:
« Tonou-le-Grand-Lézard, et Guicupanga-l’Oiseau-Crieur, qui ne sont pas mes amis, ont été à la chasse des poissons[63] ; ils sont dans leurs pirogues.
« — Et ne leur est-il rien arrivé?
« — Ils ont pris beaucoup de poissons.
« — Le devin est-il bien sûr de ce qu’il dit à Jakaré ?
« — Oui.
« — C’est bien.
« — Jakaré autrefois n’était pas si curieux.
« — Non.
« — Si un Esprit méchant tourmentait Jakaré!
« — Mais lorsque je fis une grande pirogue que je te donnai, parce que le sang que tu avais fait sortir de ma chair, en la coupant avec une pierre, avait emporté la maladie, tu me dis: Jakaré, Jakaré, u es chéri des Génies du bien; jamais les Esprits du mal ne s’empareront de toi.
« — Où va Jakaré ? Il est triste.
« — Où va le devin qui ne répond point à Jakaré ?
« — Cela ne doit pas être connu des hommes.
« — Est-il vrai que tu sais tout ?
« — Oui, lorsque les Esprits me l’apprennent.
« — Alors, à quoi pense Jakaré ?
« — Jakaré pense à son ami Tamandua. »
Ce nom fait frissonner le malheureux cacique, et une larme s’échappe de sa paupière. Le devin, dont l’intérêt est de changer le cours des idées du Tupinambas, s’aperçoit avec secrète joie qu’il n’a point frappé à faux ; mais Jakaré voit bien que le fourbe ne cherche à émouvoir sa sensibilité que pour rompre le premier entretien ; il s’écrie :
« Que le devin me dise encore ce que je pense.
« — Jakaré pense que je sais tout.
« — O menteur!!! »
Le devin se retourne ; et veut s’éloigner ; il ne reconnaît plus Jakaré, naguère si soumis à ses moindres caprices ; Jakaré s’attache à ses pas ; une sueur froide couvre son front ; ses membres tremblent comme des roseaux agités par le vent. Que va-t-il faire ? Il a levé sa massue, il ferme les yeux avec force, et, cherchant à s'abymer dans le chaos de ses pensées :
« Traître! S’écrie-t-il. »
Et il frappe.
Murucujé jette un cri perçant, et tombe. Jakaré laisse échapper la massue de ses mains sanglantes, et se précipite violemment contre la terre, qu’il presse de sa poitrine ; les battemens multipliés de son coeur l’étouffent. Quoique sa raison l’approuve il est épouvante de l’action qu’il vient de commettre. En songeant à la mort du devin, il est saisi de crainte ; cependant il se relève et, pour s’étourdir, il erre dans la forêt, mais souffrant, mais dégoûté de la vie ; la nuit arrive, et la nuit n’apporte aucun adoucissement à ses maux.
« Jakaré ne dont plus, dit-il ; le Génie du sommeil n’aime que les hommes contens. »
Cependant l’amour de la patrie doit réchauffer encore cette a me magnanime. Ses propres chasseurs n’ont pu chasser du coeur de Jakaré le souvenir de ce qu’il a entendu dans la caverne. Il s’étonne de n’avoir point encore été à Cotiva instruire les Tupinambas des dangers qui les menacent. Mais il n’est déjà plus temps. Quelques chasseurs ont trouvé le devin expirant ; aussitôt ils le portent à l’aldée. Tout la tribu est informée de cet événement ; on accourt, on se presse, on s'interroge, on prodigue au piaye tous les secours connus des sauvages, mais ils sont inutiles. Au bout de quelques instans, le piaye fait des efforts pour parler ; on l’écoute :
« Celui qui m’a tué, dit-il est JAKARÉ-OUASSOU, le Grand-Crocodile, fils de Koniambebe. Tupinambas, il faut l’étrangler avec un lacet, et le manger avec vos dents.»
Un cri d’horreur s’est élevé contre Jakaré. Les sauvages sont résolus à obéir au devin, qui, ayant achevé ces mots, ne tarde pas à expirer, en recommandant aux Tupinambas le soin de sa vengeance.
Tamandua, qui avait entendu les paroles de Murucujé, pense que puisque Jakaré a trahi son ami, il a bien pu assommer le devin. Maintenant, aux, yeux des sauvages, la disparition de Jakaré s’explique assez, et ils se préparent à se mettre à sa recherche.
De son côté, l’ami de Tamandua, dont le coeur est simple, revient à Cotiva. Il veut apprendre aux Tupinambas que le tyran, rappelé par quelques traîtres qui sont parmi eux, doit bientôt arriver. A l’entrée du village, son père est assis sous un arbre ; il pleure.... Jakaré s’approche de lui, et dit :
« — Le père de Jakaré verse des larmes ? »
Au son de cette voix, le vieillard lève la tête, et pâlit] en apercevant son fils.
« — Jakaré, s’écrie-t-il, c’est toi ! Qu’as-tu fait!.... Le devin,.... il est mort,.... tu l’as tué!...
« — Tu dis vrai, mon père, oui; mais écoute.
« — Ah ! fils du vieux Koniam-Bebe, tu as tué un devin !!!
« — Il mentait, il voulait tromper la tribu, il voulait....
« — Jakaré, fuis ces lieux ; si les Tupinambas t’aperçoivent, ils te frapperont de « leurs massues.
« — Ils me frapperont, moi, qui veux les sauver tous!
« — Oh ! fuis! Murucujé a été trouvé par des chasseurs. Il était mort : ta massue est forte. Mais quoique mort il a parlé, parce qu’il est devin ; il a dit : « Jakaré est celui qui m’a tué !» Oh ! mon fils, si tu ne veux pas être étranglé, éloigne-toi!
« — Mais il faut que je leur dise...
« — Ils ne t’écouteront pas. Mon fils, je t’aime encore, je t’en conjure, je pleure ; cache-toi dans la forêt, ou bien ils briseront ta tête si tu veux résister ; et si deviens leur prisonnier, ils t’étrangleront. »
Jakaré réfléchit un moment : il ne craint pas pour sa vie, mais s’il meurt avant d’avoir pu parler, il ne pourra sauver les Tupinambas. Il vaut mieux rester dans les alentours de Cotiva, sans se montrer. Il espère trouver un moyen de faire savoir aux siens l’approche du tyran, avant qu’il soit sur la côte.
Ces considérations le décident. La plus grande preuve de patriotisme que pouvait donner le brave était de se cacher.
« — Tu as raison, dit-il à son père ; les cheveux blancs de Koniam-Bebe lui ont donné de la sagesse.... Je m’éloigne, mais bientôt tu reverras ton fils. »
Il disparaît.
Pendant quelques jours, les sauvages cherchent Jakaré ; mais comme chacun l’aime, chacun trompe sa conscience. Les Américains voudraient bien obéir aux ordres du piaye, quoique intérieurement ils désirent que Jakaré leur échappe. S’ils le trouvent, ils accompliront les dernières volontés du devin ; mais ils forment des voeux pour le salut du fils de Koniam-Bebe.
[*] Instrument de divination des devins ou piayes.
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JAKARÉ-OUASSOU.
Témoins de ce naufrage, les Tupinambas,
qui avaient reconnu et signalé leur oppresseur,
s’arment de leurs massues de guerre,.... et,
se jetant en foule dans leurs pirogues,
ils joignent les insulaires qui étaient aux
prises avec l’équipage de Coutinho.
(Alphonse de Brauchamp, Histoire du Brésil.)
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Coutinho, retiré dans capitainerie d’Os-Ilheos, que Georges Figueredo faisait coloniser avait long-temps dévoré sa honte. Il n’avait cessé de réunir tous les aventuriers résolus à partager sa fortune, dans l’espoir de s’emparer une second fois des cotês de Bahia. Il voulait relever ce fort qui dominait les flots, et cette ville naissante qui se fût élevée rapidement, s’il avait su mettre à profit les premiers travaux de Caramourou et de son épouse. Les perfides messagers de ces misérables Indiens, traîtres à leur patrie, vinrent raffermir ses projets, augmenter son espoir, et hâter son départ. Son ambition se réveille plus impétueuse que jamais; son imagination s’exalte. Ses ressources, il se les exagère ; ses ennemis, il compte les massacrer ou les subjuguer tous, en profitant de la division qui régnera parmi les Tupinambas.
Le gouverneur s’écrie, en saisissant la main d’Almada:
« — Chevalier, nous allons rentrer vainqueurs dans notre belle capitainerie. Auraient-ils pu croire, ces misérables idolâtres qui se nourrissent de chair humaine, que nous les laisserions jouir en paix de ce pays où il nous déployer tant de courage et de persévérance ; où nous avons affronté tous les périls, où nous avons lutté à la fois contre des animaux inconnus, et contre des hommes plus féroces que ces animaux. Almada, le moment est arrivé où vous allez venger une épouse.
« — Et vous deux enfans, dit Almada.
« — Lâches sauvages! Assassiner un jeune homme faible et souffrant ! car je ne doute point que Gonzalez n’ait péri sous leurs massues lorsqu’il ne pouvrait se défendre, et qu’il nous était impossible de le secourir.
« — Si les Tupinambas ne l’ont point frappé, ils n’en ont pas moins causé sa « mort ; ils l’ont enseveli sous les ruines se San-Salvador.
« — Oui, je le vengerai; mais avant de mettre à la voile, moi, vous et mes troupes, hâtons-nous de remplir nos devoirs de chrétiens, et nous pourrons faire savoir bientôt a notre bon roi Jean[*] que nous sommes rentrés en pleine et juste possession de cette grande capitainerie qu’il nous a donnée, et dont il est véritable maître. »
Le gouverneur ne tarde point à rassembler ses soldats ; il les harangue et s’embarque avec eux dans une caravelle, qu’un vent favorable entraîne loin des possessions de Figueredo.
Les regards de l’impatient Coutinho découvrent l’espace qui le sépare de la côte de Bahia; mais sur cette côte veille une sentinelle infatigable, Jakaré. Après s’être séparé de son père, il avait gagné le rivage. Là, à côté des ruines du fort, sur un tertre élevé, il porte ses regards dans le lointain de l’Océan. Quelquefois il monte à la cime des arbres les plus élevés ; et alors le vautour, la griffe ouverte, le bec tendu, ne met pas tant de persévérance à guêter sa proie.
Cependant Jakaré a jeté un cri terrible ; un point grisâtre se dessine sur l’horizon. Bientôt après, le sauvage aperçoit distinetement une voile dans la haute mer.
Alors il dit:
« — J’ai bien fait de casser la tête du devin ; maintenant, s’ils le veulent, qu’ils me tuent là-bas, à l’aldée ; ils verront que je disais vrai, que je n’étais pas un méchant. Que m’importe de mourir, puisque je suis malheureux !»
Jakaré quitte le rivage à la hâte, et se met à courir vers Cotiva. Il y arrive couvert de poussière et de sueur, le visage enflammé.
« — Tupinambas, s’écrie-t-il, voici Jakaré que vous avez tant cherché, afin de le tuer ! Jakaré a bien fait de ne pas se laisser prendre, d’aller sur le sable de la mer, de monter sur les grands arbres. Jakaré a bien fait de ne pas dormir, de ne pas manger, parce que son oeil a vu les Portugais. Voici les Portugais! Tupinambas, prenez vos massues ; hâtez – vous de sortir de l’aldée! L’Européen ne mettre point les pieds sur votre terre ! »
Étonnés et pleins de fureúr, les sauvages oublient et cet instant qu’ils ont juré de faire périr Jakaré. Ils ne voient en lui qu’un homme qui les sauve peut-être. Son crime a disparu un moment à leurs yeux. Des cris de vengeance et de guerre le village ; tous les hommes qui peuvent lancer la flèche ou lever la massue se rassemblent aussitôt sous des chefs de guerre élus à la hâte, et se précipitent vers le rivage. Aucun Tupinambas ne s’est déclaré pour l’oppresseur ; Tangara et Janipaba, en apprenant la mort du devin et des deux autres conjurés, avaient vu s’évanouir leurs espérances. Sans doute leur complot irritait les Génies, puisqu’ils s’étaient si fortement manifestés contre eux; et, dans leur ame basse et timide, la crainte triomphait de l’avarice et de la perfide. Tangara et Janipaba n’avaient dont pas cherché à s’entourer de partisans qui se déclarassent peur le gouverneur, et protégeassent son débarquement.
Pendant que les Américains accourent sur la plage de la baie, une tempête s’élève; les flots battent la caravelle de Coutinho, qui lutte en vain contre l'orage. Les vents l’entraiment avec violence, et le poussent sur les bas-fonds de l’île d’Itaparica, où il échoue. Les vagues entrent avec fracas dans l’intérieur du bàtiment, qui éprouve d’horribles secousses. Une pàleur effrayante couvre le front du gouverneur et des aventuriers. Chaque coup de mer peut les engloutir. Déjà leur vaisseau s’entrouvre ; un craquement se fait entendre : la caravelle est brisée !
Les infortunés Lusitaniens, se débattant contre une mer en courroux, parviennent avec des efforts inouïs à toucher le rivage de l’île. Échappés à peine aux groffres de L’Océan, de nouveaux malheurs les attendent. Les insulaires d’Itaparica, appartenant à la nation des Tupinambas, viennent les attaquer. Ils se défendent vaillamment. Ceux qui n’ont point d’armes arrachent des fragmens de rochers, qu’ils lancent sur leurs adversaires. Tous les aventuriers combattent enfin avec ce courage qui naît du désespoir. Coutinho cependant voudrait parlementer, et gagner les ennemis par de brillantes promesses ; mais trois de ses anciens soldats qu’il leur a envoyés sont impitoyablement massacrés à ses regards.
Coutinho ! imprudent gouverneur ! que sont devenus tes projets, tes rêves ambitieux ? Vois comme ils réalisent ! Malheureux ! il aurait mieux valu pour toi ne jamais quitter ta patrie, où quelque honneur s’attachait à ton nom! Mais n’accuse que toi dans ces jours d’infortune. Si tu dois tomber sans gloire sons la massue d’un sauvage, toi seul fus l’artisan de ta ruine. Qui t’a appelé sur ces bords inconnus ? la soif des richesses et l’insatiable désir de la domination. Qu’y trouveras-tu? la honte et la mort.
Cependant Jakaré et ses compatriotes, parvenus sur le rivage de la baie, ont distingué le naufrage, et poussé des hurlemens de joie. Les guerriers se jettent aussitôt dans leurs pirogues ; et, la mer étant devenue plus calme, ils approchent facilement de l’île, et joignent les insulaires, qui accablent les aventuriers d’une grêle de flèches, au milieu des rochers où ils se sont mis à couvert.
Tamandua, choisi pour l’un des chefs de guerre, est parmi les braves de Cotiva. Ses yeux ont rencontré plus d’une fois les yeux de Jakaré, qui ne commande aucune troupe ; mais il ne lui a par parlé. S’ils se trouvent à côté l’un de l’autre, ils gardent un morne silence. Néanmoins Jakaré ne peut toujours renfermer le chagrin poignant qui le dévore. Souvent il laisse tomber sur son ami un regard déchirant, mais Tamandua détourne la tête.
A l’arrivée des sauvages de Cotiva, Coutinho a senti l’espoir [renaître] au fond de son coeur. Il pense que ces Indiens sont en grand partie dévoués à Tangara et à Janipaba. Déjà, par son ordre, ses troupes se sont repliées vers le bord de la mer, afin de recevoir leurs alliés au sortir de les pirogues. Quelle est la rage du gouverneur lorsqu’il se voit si cruellement désabusé ! Maintenant, il n’en saurait douter, sa perte est certaine ; le nombre de ses ennemis est triplé. S’il pouvait encore faire usage de ses armes à feu, si terribles pour les naturels ! Mais elles sont englouties dans les eaux : l’épée doit se mesurer avec la massue.
Coutinho, écumant et furieux, ne se possède plus. Abandonné de touts parts, il veut du moins vendre chèrement sa vie. Il s’écrie en désespéré :
« — Amis, plus de salut ! Vous le voyez, tout est ici contre nous ; hé bien ! que nos derniers coups soient terribles ! Jetons-nous au milieu de ces horribles sauvages, qui lancent sur nous leurs misérables flèches comme sur de vils animaux ! Portugais ! ne tombez que sur des monceaux de cadavres ! »
A ces mots, les aventuriers se précipitent en masse sur les ennemis. Rien ne peut arrêter leur audace : ils enfoncent trois rangs épais de sauvages, et couvrent le sol de Brésiliens expirans et mutilés. Enfin, après avoir fait des premiers insulaires une épouvantable boucherie, les naufragés, couverts de sueur et de sang, parviennent jusqu’au centre même de leurs adversaires. Là, ils sont enveloppés, assaillis de toutes parts.
Un jeune cacique, qui a déjà frappé trois fois Almada au fort de la mêlée, se trouve enveloppé lui – même avec quelques uns de ses guerriers par un gros de Lusitaniens. Le cacique est blessé, épuisé. Vingt glaives étincelans le menacent à la fois. Un hurlement terrible se fait entendre. Un Tupinamba s’approche de cette poignée de courageux Portugais, au milieu desquels les autres sauvages n’osent pénétrer. Il défend sa tête du fer ennemi, en la cachant dans les rapides détours que fait sa lourde massue : c’est Jakaré. Le bon Indien va sauver son ami. Il reçoit dans ses bras Tamandua, qui, pâle et sanglant, reste sans connaissance.
Les Tupinambas, honteux d’un moment d’hésitation, suivent la route que Jakaré leur a tracée. Cet ami généreux et étonnant remet à trois Brésiliens le précieux fardeau dont il est chargé, et les suit pas à pas, afin de protéger Tamandua contre le bras désespéré des soldats de Coutinho.
Le gouverneur, attaqué vigoureusement, se défend avec un courage extraordinaire. Plus d’une fois il fait gémir la chair des sauvages, son glaive est rouge de sang ; mais après avoir fait des prodiges de valeur, et déployé le caractère portugais dans toute sa mâle énergie, après avoir vu disparaître Almada et succomber tous ses soldats, il tombe sans faiblesse, mais non pas sans remords. Sa tête est détachée de son corps, ornée de plumes, et les Tupinambas vainqueurs, rejoignant leurs pirogues, la portent en triomphe à Cotiva.
Jakaré, en y arrivant, dépose son ami dans sa case. Là, il dit à Ombu:
« Vieillard, je vais dire aux matrones d’apporter bien vite des herbes pour guérir Tamandua. Lorsque mon ami ouvrira les yeux, et qu’il verra son père, son père ne doit pas prononcer le nom de Jakaré, parce que Tamandua n’aime plus Jakaré ; il faut qu’il croie que c’est un autre guerrier tupinambas qui l’a sauvé. »
[*] Jean III.
JAKARÉ-OUASSOU.
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Encherei de suspiros outros ares,
Turbarei outras águas com meu pranto.
C A M O E S.
Je remplirai d’autres airs de mes soupirs ; mes
larmes troubleront d’autres fontaines.
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Après avoir périr presque tous les Portugais, Almada s’était jeté dans une barque. A la faveur des voiles de la nuit, il avait fui, inaperçu, le lieu du combat, et avait mis pied à terre sur la côte. Il se coucha à l'ombre d’un arbre, et, malgré ses craintes, harassé de fatigue, il ne tarde pas à s’endormir profondément.
Le lendemain, à son réveil, les scènes de la journée précédents s’offrent à son esprit comme le souvenir d’un rêve accablant. Cependant la triste réalité ne tarde pas à se faire sentir. Seul, sans ressources, jeté sur cette plage déserte, quel peut être son espoir ? Pour comble de maux, Almada, élevé au sein des plaisirs, ne connut jamais de religion. Le malheureux est impie ; nulle consolation dans ses jour d’infortunes ! il ne croit point à la puissance de Dieu ; quelle autre pourra l’arracher à son sort affreux ? qui empêchera que son corps ne soit la pâture des animaux, ou bien qu’il ne tombe vivant entre les mains des sauvages, qui le feront prisonnier, le forceront de chanter, le tueront et le dévoreront ?.... Qui la sauvera ? Le hasard, le souverain régulateur de toute chose.. Insensé ! le hasard ! Crois-tu que c’est le hasard qui dira au jaguar : Tu ne mangeras pas cet homme ? Crois-tu que c’est le hasard qui t’a donné la pensée ? Est-ce le hasard qui a construit l’univers, et qui ai dernier jour l’anéantira de so souffle ? Ah ! malheureux, si tu crois cela, c’est que tu es privé d’une ame qui sente le Dieu créateur ; tu n’es point un homme ! tu n’es qu’un vil amas de boue !
Après s’être abandonné à son désespoir, Almada cherche quelque nourriture pour apaiser sa faim ; des branches chargées de fruits se courbent sous sa main, et sa pensée ne s’élève pas vers l’Éternel ! Ah ! c’est dans les forêts d’Amérique, bien mois qu partout ailleurs, que l’homme ne saurait être ingrat envers son Dieu !
Cette première journée se passe sans qu’aucun événement change la position d’Almada ; seulement il a trouvé, pour passer la nuit plus sûrement, une grotte dont l’entrée est cachée par le feuillage et les broussailles.
Lorsque les sauvages arrivèrent à Cotiva en chantant leur victoire, Caramourou fut vivement affligé des scènes qui s’étaient passées à Itaparica. Quoique le gouverneur eût agi cruellement envers lui, il était loin de souhaiter sa mort ; aussi ordonna-t-il aux Tupinambas, qui insultaient à l’envi à ses restes mutilés, de lui rendre les honneurs de la sépulture.
Cette cérémonie achevée, il se rendit vers la fille de Coutinho, pour remplir un pénible devoir. Il instruisit d’abord Inez du naufrage des Portugais ; et après l’avoir, par degrés, préparé à cette affreuse nouvelle, il lui apprit la malheureuse fin de son père.
A ce coup inattendu, Inez fondit en larmes. En vain Caramourou lui disait de se résigner À son sort : la vierge était inconsolable. Heureusement elle pouvait épancher ses chagrins dans le coeur d’un frère qui les sentait vivement, et lui aidait à en supporter le poids.
Gonzalez fut informé par elle de ce fatal événement. Il mêla ses pleurs d’Inez. Son premier mouvement avait été de voler à Cotiva pour venger la mort de son père ; mais la reconnaissance enchaînait son bras. N’était-ce point aux sauvages qui’l était redevable de sa vie ? N’était-ce point le généreux Tamandua qui lui avait rendu la liberté. Et d’ailleurs que faire, seul, contre une multitude de sauvages ? Les combattre, ce ne serait que de la témérité, et non pas de la vertu. Il fallut se contenter de gémir et de prier Dieu, afin qu’il lui procurât les moyens de sortir de ce pays d’infortunes.
Cependant Almada, au lever du soleil, s’était dirigé vers le rivage. A peine avait-il fait quelques pas, qu’un bruit frappe son oreille. Il s’avance, caché par les arbres, du côté d’où partent les sons : il est près des voix. Il avance encore. Grand Dieu ! ses yeux ne le trempent point ! c’est Inez, c’est son épouse ! Elle est avec son frère, avec Gonzalez qu’Almada a vu tomber sous ses coups. Ilc roit que son imagination en délire lui présente des fantômes, et jette un cri de surprise. Inez et le fils de Coutinho se retournent : qu’aperçoivent-ils ? Un homme au teint pâle et cadavéreux, aux vêtement en désordre, aux cheveux ensanglantés,.... un époux... un assassin !!!
Revenu de sa frayeur, Almada s’approche d’eux. Il a repris son assurance, et témoigne sa surprise de retrouver en ces lieux les enfans de Coutinho ; puis, s’adressant à Inez, il lui reproche de n’être point avec son père :
« — Je suis votre époux, ajoute-t-il. Pourquoi n’avez-vous point fui avec ceux que « votre devoir vous ordonnait de suivre ?
« — Le ciel m’est témoin, répond la vierge, que ce n’est point par ma propre volonté que je fus séparée de mon père, et... »
Elle hésite un moment :
« — Et de mon époux.
« — Seigneur, dit Gonzalez, prenant alors la parole avec force, Inez est maintenant sous la garde de son frère. Quels que soient les événement qui arrivent, elle ne s’en séparera plus.
« — Gonzalez, en ce moment le malheur nous réunit. Ne renouvelons point nos disputes ; oublions tout. Je vous ai combattu...
« — Loyalement, dit Gonzalez avec un sourire ironique.
« — Les chances ont été pour moi ; mais ce n’est pas l’instant de reparler de cette fâcheuse affaire. Cherchons plutôt les moyens de salut qui nous restent. Puissions-nous revoir notre patrie ! Vous n’ignorez point le sort des malheureux Portugais qui revenaient avec le gouverneur à San- Salvador. Une seule espérance me reste. Une caravelle que l’infortuné Coutinho avait chargée de munitions devait partir peu de jours après lui, et n’a point encore paru. Elle peut arriver en ces lieux, si les sauvages ne l’aperçoivent pas, et s’ils ne vont point au devant d’elle avec leurs pirogues ; car elle ne pourrait se défendre, n’ayant que les hommes nécessaires pour la diriger. »
En disant ces mots, son oeil cherche à découvrir sur la mer le navire sauveur. Soudain il lève les mains ; sa figure devient rayonnante. Il aperçoit au loin, sur la plaine liquide, un point noir qui semble immobile, mais qui cependant est le bâtiment si impatiemment attendu.
Au bout de quelques instans le point qui approche grossit, et l’on distingue bientôt la caravelle des aventuriers.
Almada se mit à agiter dans les airs une partie de son vêtement. Ses signaux furent vus, et une chaloupe aborda. Alors Almada s’étant fait reconnaître de ceux qui la conduisaient, elle retourna vers la caravelle, qui jeta l’ancre en cet endroit.
Le bâtiment n’avait pas été aperçu des sauvages, qui, rentrés à Cotiva, croyaient avoir vaincu tous leurs ennemis, et, plongés dans une orgie complète, s’abandonnaient aux réjouissances et aux fêtes, chantant, dansant, et buvant du cauin.
« — Rendons grâce au destin qui nous favorise, s’écrie l’époux d’Inez. Il faut partir sur-le-champ. Nous ne sommes point en force pour combattre les sauvages..... Fuyons !
« — Seigneur, dit Inez, mon devoir m’est tracé : je saurai le remplir. Mais, avant de quitter ces lieux, permettez-moi de revoir une dernière fois celui qui m’a préservée des périls que je courais au milieu des sauvages, mon second père, Caramourou. Que je puisse seulement lui témoigne toute ma gratitude, et je serai prête à vous en Europe. »
Almada, quoiqu’à regret, consent à ce que lai demande Inez.
« — seigneur, ajoute la jeune Portugaise, dans quelques instans nous vous rejoindrons sur ce rivage. »
Puis se tournant vers Gonzalez :
« — O mon frère, dit-elle, tu ne m’abandonneras pas !
« — Soeur chérie, répond Gonzalez, jamais ! »
Le frère et la soeur se dirigent vers Cotiva. Gonzalez s’arrête dans la forêt, et l’Européenne se rend à l’habitation de Caramourou. Elle lui raconte alors,les yeux mouillés de larmes, qu’elle a revu Almada, et qu’elle va retourner en Portugal.
« — Cher Alvarez, dit-elle, puisse le Ciel vous récompenser de tout ce que vous avez fait pour moi ! Et vous, Catherine, puissiez-vous vous rappeler quelquefois la malheureuse Inez ! »
Caramourou verse des pleurs. Catherine fait mille caresses à l’Européenne. Mais les momens pressent : la fille de Coutinho les embrasse, et s’éloigne.
Elle a retrouvé son frère. Tous deus rejoignent Almada. Ils montent dans le chaloupe, qui les conduit au vaisseau.
L’ancre est levée.
Ils sont partis.
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JAKARÉ-OUASSOU.
Les rochers en sont teints, les ronces dégouttantes
Portent de ses cheveux les dépouilles sanglantes.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le héros expiré
N’a laissé dans mes bras qu’un corps défiguré.
RACINE, Phèdre.
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Après être guéri de ses blessures, Tamandua se rendit à la cause de Caramourou. C’est là qu’il allait apprendre a fuite de l’Européenne.
Caramourou lui dit qu’il devait renoncer à l’espérance de la revoir. Il lui expliqua comment elle avait rencontré son époux, de quelle manière ils avaient retrouvé un vaisseau du gouverneur ; il termina en lui disant que c’était la veille qu’ils s’étaient embarqués.
Tamandua interrompit vingt fois Caramourou par ses cris et par ses larmes. Lorsque celui-ci eut achevé de parler, lorsque le cacique fut certain de son malheur, il resta muet de désespoir. Ses yeux se remplirent de larmes, tout son corps frissonna, et il se mit à sangloter comme un enfant. Il rentra dans se case, et s’y cacha pour être seul avec ses souvenirs.
Cependant le joie occasionnée par la victoire avait passé comme toutes les joies du coeur de l’homme : la tristesse devait lui succéder promptement. Le fils de Koniam-Bebe, Jakaré-le-Fort, était prisonnier... prisonnier,.... et chez les Tupinambas !
Après la mort de Murucujé, un devin avait pris sa place. Connaissent le sort que Jakaré avait fait subir à l’imposteur, et craignant que l’on ne respectât pas ses ordres, s’il ne faisait respecter les ordres de celui qui l’avait précédé, il déclara que Murucujé n’était pas un traître ; qu’il était l’ami des Génies ; que Jakaré était un méchant, et que l’arrivée des Portugais était la punition du crime commis par un Tupinambas. Néanmoins il ajouta que les bons Esprits veillaient encore sur la tribu, puisqu’ils lui avaient accordé la victoire ; mais que pour qu’ils continuassent à protéger les enfans de Tupan, il fallait que celui qui avait massacré Murucujé, un devin, l’ami des Génies du bien, fût étranglé sans perdre de temps.
Le nouveau devin choisit, pour l’exécution de son forfait, un moment où Caramourou et Catherine s’étaient éloignés de Cotiva, afin de visiter les différents peuplades tupinambas qui habitaient les environs du Reconcave, et de répandre parmi ces barbares les lumières du christianisme.
Le devin fait entrer dans ses projets un grand nombre des anciens de l’aldée. Pendant que Jakaré dort dans son hamac, quelques guerriers s’emparent de lui, et lui lient les pieds et les mains, afin qu’il ne puisse leur échapper, tandis que, pour la forme, les vieillards délibéreront sur son sort.
Jakaré est renfermé dans une case séparée, et gardée par cinq Indiens placés à la porte. En voyant toutes ces précautions, le sauvage sourit : que lui importe l’existence ? son ami ne l’aime plus. Mais il ne peut s’empêcher de jeter un regard de pitié sur ses gardiens :
« — Si je voulais, leur dit-il, je vous tuerais, et je m’enfuirais. Vous savez que je suis Jakaré-le-Fort. Mais je veux viens mourir : je suis malheureux. »
Quoiqu’il paraisse calme, son coeur est torturé ; il souffre des maux mille fois plus cruels que la mort qu’il méprise... Il voit qu’il est va périr sans que son ami reconnaisse qu’il est innocent. Après la défaite des Portugais, Jakaré était revenu à Cotiva, espérant le désabuser ; maintenant il n’a plus d’espoir. . . . . Il mourra,.... et son ami maudira sa mémoire !....
Le devin presse le jour qui doit décider du sort de Jakaré. Bientôt les vieillards auront prononcé.
Tangara, l’un des deux traîtres qui ont conspiré contre la patrie, est tombé sous les coups des Portugais. L’autre, Janipaba, est blessé mortellement, et retenu dans son hamac. Il entend dire que Jakaré est prisonnier, et qu’il ne tardera pas à recevoir le châtiment de son crime.
Janipaba, en cherchant à rappeler Coutinho, n’avait désiré son retour qu’afin d’avoir des choses d’Europe, et surtout de la liqueur de feu. Se sentant près de mourir, il a des remords d’avoir ainsi rendu les deux amis malheureux. Il ne les a trompés que pour aider au rappel de Coutinho ; maintenant que Coutinho n’est plus, il ne lui reste que le chagrin d’avoir séparé Tamandua et Jakaré. Il veut réparer autant qu’il est un lui les torts qu’il a eus. Ils seraient curieux à observer les remords que peut éprouver à ses derniers momens un sauvage qui ne pense point que les vices sont châtiés dans une vie future !
Janipaba fait venir Tamandua :
« — Tamandua, dit-il, écoute. Je vais mourir. Autrefois ma bouche disait le mensonge ; à présent elle va dire la vérité : Tamandua, je t’ai trompé. Promets-moi de ne rien dire à la tribu de tout ce que je vais révéler. »
Tamandua accède à sa demande. Alors le sauvage lui raconte, sans omettre un seul détail, le projet de ceux qui négocièrent avec Coutinho la trahison du devin, et le moyen qu’il a employé pour lui faire haïr Jakaré ; il finit par lui démontrer l’entière innocence de son ami. Pendant ce discours, Tamandua a senti un frisson mortel qui glaçait ses membres. Plusieurs fois il avait été sur le point de se jeter sur le misérable qui se confessait à lui ; mais la crainte de ne pas connaître toute cette odieuse trame l’avait retenu. Son sang bouillait dans ses veines.
Janipaba lui dit en achevant :
« — Tu peux tuer celui qui te parle, je mourrai quelques momens plus tôt ; mais Jakaré... il est prisonnier... on l’accuse. Ma bouche ne dira pas devant les vieillards tout ce qu’elle a dit à Tamandua... Il faut que tu le sauves ; car on l’étranglera, si, avant la fin du jour, il n’a pas fui de la case où il est captif. »
Janipaba s’est tu.
Le cacique est abîmé dans ses pensées. Les reproches qu’il s’adresse sont poignas ; rien ne peut égaler les tourmens de son coeur. Le repentir et le désespoir agitent son sien ; il frappe la terre du pied ; il renforce ses ongles dans sa poitrine brûlante ; il se regarde comme un monstre : il voudrait s’anéantir.
« — O Jakaré, dit-il, bon Jakaré, tu n’as pas cessé de m’aimer, et je voulais te tuer ! O comme tu as dû être affligé, en voyant que je te repoussais ! Je suis plus méchant que le jaguar. Je ne me consolerai jamais ; et lorsque mes cheveux seront blancs, je pleurerai encore mon ingratitude ! »
Mais Janipaba rappelle le cacique à lui-même ; il lui fait souvenir que Jakaré a besoin de ses secours.
« — Tu as raison, s’écrie Tamandua ; il faut sauver mon ami ! »
Et il s’éloigne précipitamment.
Il court à la case où est renfermé Jakaré : mais les gardiens refusent de le laisser entrer. Il disparaît un moment, et revient bientôt, portant avec lui un vase plein de cette boisson ardente que les Tupinambas obtenaient par le commerce des Européens, dans les premiers temps de l’arrivée de Coutinho.
« — Les gardiens du guerrier sont de sages gardiens, dit Tamandua ; ils n’ont pas voulu me laisser pénétrer dans la case où est renfermé l’homme méchant : c’est bien. Ils craignent que quelque Tupinambas l’enlève à leur vigilance : ils ont raison... Je faisais cela pour voir s’ils étaient fidèles : ils sont fidèles, je vais récompenser. »
En disant ces mots, il leur verse de la boisson en abondance ; les sauvages saisissent avidement ce quilleur est présenté, et l’avalent d’un seul trait.
Tamandua reprend :
« — Que fait le prisonnier ? Il est lâche : tremble-t-il ? »
Jakaré, dans l’intérieur de la case, a distingué la voix de son ami.
« — Les vieillards vont le condamner à être étranglé, poursuit Tamandua ; il a tué Murucujé, un devin : il le mérité bien. Il était mon ami, mais il m’a trompé. »
Ces paroles déchirent le coeur du malheureux Jakaré.
« — Mais ses bras ont de la force : buvez encore, car s’il essayait de vous combattre, il vous renverserait ; buvez, la liqueur de feu donne du courage. »
Il verse une seconde fois la liqueur aux Indiens, qui la dévorent des yeux.
Après avoir bu, ils chancellent ; Tamandua redouble.
« — Guerriers, sages guerriers, veillez bien sur l’homme qui a tué le devin ; car s’il s’échappait, vous seriez mis à sa place. Mais pour vous faire attendre avec patience le moment où il sera étranglé, voici mon vase, le voici ; je vous le donne : buvez. Je vous aime parce que vous gardez bien Jakaré-le-Fort, qui a tué un devin. »
En disant ces mots, il feint de s’éloigner, et se cache derrière les arbres.
Les sauvages se jettent tous cinq sur la liqueur qui est devant eux, et en prennent une telle quantité qu’ils ne tardent point à tomber à terre.
Tamandua les voit sommeiller profondément, il avance sans bruit, et entre dans la prison. Jakaré est étendu sur une natte.
« — Viens, dit Tamandua en le prenant par une main qu’il serre de toutes ses forces ; viens, tu es libre.
« — Tamandua ! est-ce mon ami ?
« — Oui, ton ami ; tu l’as retrouvé. Mais il fat nous hâter.
« — Tamandua, m’aimes-tu ?
« — Oui, bon Jakaré.
« — Cela est-il vrai ?
« — Cela est vrai.
« — Ce que tu disais aux gardiens était donc un mensonge pour sauver ton ami, le pauvre Jakaré ?
« — Oui ; mais viens, suis-moi.
« — Oh ! si tu m’aimes, je ne veux plus mourir ! »
A ces mots, Jakaré et Tamandua sortent silencieusement de la case. En traversant l’aldée, où règne le plus profond silence, comme Tamandua serre la main de son ami ! le visage de Jakaré est inondé de douces larmes. Celles-là, le guerrier ne les cache pas. Vingt fois Tamandua est obligé d’appuyer ses doigts sur les lèvres de ce bon Jakaré, inhabile à dissimuler les transports de sa joie.
« — Oh ! se dit-il, que je suis heureux ! S’ils voulaient me tuer maintenant, je me défendrais ; je ne veux pas mourir ; le mauvais Génie qui avait passé entre mon ami et moi, qui nous avait touchés de ses ailes noires, a cessé de tourmenter de pauvres guerriers qui ne lui faisaient aucun mal. »
A peine les deux Indiens sont-il hors du village, que Jakaré, entraînant Tamandua, se met à courir d’un arbre à l’autre, et s’écrie :
« — Cet arbre a vu Jakaré heureux de l’amitié de Tamandua : il faut que je lui dise que je suis toujours heureux. Voici un autre arbre qui m’a vu pleurer, parce que des chasseurs disaient : « Jakaré est vraiment simple ; il croit que le cacique lui rendra son amitié. » Oh ! Tamandua, dis à cet arbre que je ne pleurerai plus, parce que tu es un bon jeune homme. Oui, Tamandua est bien bon ; Jakaré n’est pas digne de ce qu’il a fait pour lui ; moi, je suis un mauvais ami, un méchant. Toi seul es généreux, car je souffrais dans la case de la mort comme le jeune mère penchée sur le cadavre de son nouveau-né ; et tu es venu, parce que tu es meilleur que moi. Je te remercia : j’avais besoin de toi, ou du lacet des vieillards. »
Combien de tels discours, poussés jusqu’à la folie, torturent l’ame de Tamandua ! Combien il est coupable envers Jakaré ! Il fallait que sa passion fût bien aveugle et bien grande, puisqu’elle l’avait fait persister avec la dernière barbarie dans son horrible ingratitude. Cruel Tamandua ! celui qui t’avait sauvé la vie au mépris de la sienne, celui qui t’aimait d’une amitié si forte et si constante, tu l’as vu se traîner à tes pieds, et tu ne l’as point relevé ; tu l’as accablé de reproches injustes, tu l’as indignement outragé ! Si tes yeux se tournaient sur lui, tes yeux exprimaient le dédain : c’était assassiner ton ami. Insensé ! maudis, maudis encore cet amour détestable qui te rendait plus implacable que le tigre.
La distance qu’ils ont su mettre entre eux et le village rassure les fugitifs sur la crainte d’être poursuivis. Tamandua, ne pouvant résister à son émotion, déchiré par de poignants souvenirs et étouffé par ses sanglots, se précipité aux genoux de Jakaré, qu’il presse avec des mouvemens convulsifs, et qu’il baigne de larmes brûlantes.
« — Jakaré ! ô Jakaré ! s’écrie-t-il, pardonne, pardonne ! Ton ami n’avait plus sa raison lorsqu’il t’a offensé. Oh ! lorsque j’ai cru des hommes menteurs qui parlaient mal de toi, il aurait mieux valu pour moi courir sur le rivage, monter sur un roche, sauter au fond de la mer, et ne plus reparaître ! Misérable ! j’ai oublié tout ce que tu as fait pour moi. J’étais plus ingrat que ces lianes qui s’attachent au trône d’un arbre qu’elle étouffent, après s’y être couvertes de belles fleurs. Ah ! pardonne ! pardonne !.... l’étrangère !....
« — Plus d’étrangère, s’écrie Jakaré en relevant Tamandua, qu’il serre contre son coeur ; non, plus d’étrangère : elle a fait trop de mal à ton ami ! que son nom ne sorte pas de tes lèvres. »
Tamandua n’a point encore assez prouvé combien il est déchiré de remords, combien il a horreur de lui-même. Lorsqu’il se retrace sa faute, et les tourmens qu’il a fait répéter vingt fois le pardon de sa longue ingratitude !
Son ami dit enfin :
« — Tamandua, il ne faut plus penser à toutes ces choses, qui font pleurer des guerriers comme de simples femmes.
« — Jakaré, je ne veux pas t’affliger encore ; mais que je t’explique....
« — Cela est inutile. Je sais que de mauvais Génies ont abusé Tamandua, qui n’aurait jamais repoussé Jakaré. Il n’était pas coupable ; il me dit qu’il m’aime : voilà qui est bien, voilà tout ce qu’il me faut.
« — Des menteurs m’ont trompé ; ils me disaient...
« — Les menteurs sont de mauvaises gens qui ne gagnent rien à dire des choses fausses ; le Grand-Esprit voit tout, et les punit. Ne me parle donc plus des menteurs. Écoute. Toi, Tamandua, fils d’Ombu, et moi, JAKARÉ-OUASSOU, fils de Koniam-Bebe, nous sommes des amis qui ne nous quitterons plus.
« Nous sommes connus des Tamoyos comme de vaillans guerriers . Allons donc au grand village des Tamoyos, moi, parce qu’on veut me tuer à Cotiva ; toi, parce que tu ne m’abandonneras pas. Nous resterons chez les alliés, et nous y serons fêtés, parce que nous pourrons défendre nos hôtes. Nous leur ferons des prisonniers. Nous irons à la guerre avec eux, et les Tamoyos se réjouiront de nous avoir.
« — Jakaré ! les Tupinambas connaîtront un jour la vérité. Ils auront besoin de ta massue ; ils te rappelleront, et diront, en secouant la tête comme les arbres agités par le vent : « Nous autres de l’aldée, nous avons été de grande ingrats ! »
A ces mots, un bruit lointain frappe l'oreille des deux amis; ils écoutent: on distingue des voix.
Le devin n'avait point tardé à être instruit de la fuite de Jakaré, et il envoyât à sa poursuite une troupe de Brésiliens qui lui étaient dévoués.
« — Des guerriers nous poursuivent, dit Tamandua.
« — Il faut combattre ces guerriers, répond son ami.
« — Et comment? Tu n'as pas de massue, et ils sont braves et nombreux. »
A peine achevait-il ces mots, qu’il aperçoit à une faible distance trois Tupinambas, à demi masqués par de grands arbres; il frappe sur l’épaule de Jakaré, lui montre silencieusement du doigt un antre tapissé de ronces et recouvert de broussailles, vers lequel il se dirige le premier. Jakaré suit Tamandua; mais à un léger bruit, produit peut-être par la chûte d’une orange ou d’un coco, à l'entrée de la caverne, il se retourne précipitamment, et écoute. Tandis qu’il prête une oreille attentive, Tamandua est parvenu au fond de l’antre, qui reçoit quelque lumière par les fentes du rocher. Ce n’est qu’alors qu’il aperçoit un énorme jaguar, près duquel il avait passé d’abord sans le voir. Le jaguar se trouve placé entre Tamandua et Jakaré. Ce dernier, dont le visage et tourné vers l’entrée de la caverne, ne remarque point l’animal prêt à s’élancer sur lui. Tamandua, le digne ami de son généreux ami, ne se donne pas même le temps d’achever une réflexion d’où naît une résolution sublime; il se précipite au devant du jaguar, le reçoit dans ses bras nerveux, et l’étreint avec force. Le jaguar, dont il serre fortement la gorge, le mord et le déchire avec rage. Tamandua n’a que le temps de s’écrier: « — Mon ami! mon ami!!! » et il tombe sous son adversaire, qu’il a étouffé. Au cri du cacique, Jakaré accourt. Qu’aperçoit-il? une masse informe d’os brisés, de chairs meurtries, défigurées, et renversées sous le jaguar mort.
Tamandua avait sauvé son ami; mais comment peindre l’état du malheureux Jakaré? Un jour ne s’était pas encore écoulé, et déjà il avait passé de cette morne douleur qui le minait depuis si long-temps, à une joie indicible. Maintenant à ces transports d’allégresse succède la rage du désespoir. Ses hurlemens ébranlent les voûtes de la caverne. Il meurtrit horriblement sa tête contre les angles du rocher; il peut trouver une larme pour soulager sa poitrine, qu’un feu ardent dévore. Il étouffe, sa respiration ne s’échappe que par secousses rares et violentes. On dirait le râle de la mort au milieu d’épouvantables convulsions. C’en est trop. Les facultés intellectuelles du sauvage succombent; tous les ressorts de son ame ont été froissés : sa raison l’abandonne. Alors un sourire amer agite ses lèvres, et donne à sa figure une expression effrayante. Il s’assied lentement à terre, et cache son front entre ses mains, qui tremblent comme celles d’un vieillard. Au convulsivement de ses dents, on voit que quelques éclairs de cette raison éteinte par de si terribles émotions se font sentir encore. Puis tout-à-coup il s’écrie d’une voix sombre :
« — Mon ami n’est-il pas mort pour moi? Oui, j’ai tué mon ami! »
Il s’approche alors du jaguar, dont il déchire froidement les membres64; et, sans prononcer une seule parole, il saisit entre ses bras le cadavre mutilé de Tamandua, qu’il tient collé contre son coeur :
« — La chair de mon ami [ne] me quittera plus! s’écrie l’infortuné. »
Il sort de la caverne échevelé et meurtri; il marche au hasard.
Une second troupe de Brésiliens envoyés à sa poursuite le trouve dans un épais fourré d’épines qui l’ensanglantent, mais dont il ne cherche point à sortir; une stupide insensibilité le paralyse tout entier.
Les sauvages, au milieu desquels il s’est placé convulsivement, ont d’abord reculé à son aspect. Après l’avoir entouré, is se parlent ainsi :
« — Jakaré est poursuivi par tous les Anhagas; le devin l’a dit. tamandua est celui qui l’a délivré, et le méchant a tué Tamandua; voyez, il n’a pas honte d’emporter son corps! »
Jakaré dans un de ses momens lucides, répond avec un sourire indéfinissable:
« — O vous qui parlez, vous dites une chose vraie.. Jakaré a tué son ami! »
Ce furent les dernières paroles que prononça Jakaré. Il resta toujours plongé dans un morne silence. Quelques Indiens voulurent lui arracher le cadavre de Tamandua; ils ne purent y parvenir. Ce cadavre ne lui fut ôte qu’a l’aldée, où il se laissa conduire sans résistance.
Cependant plusieurs jours se passèrent; le devin et le vieillards les avaient employés à éloigner, sous différens prétextes, Koniam-Bebe et Ombu, auxquels on cachait leur malheur. On se hâta d’écarter aussi les amis de Jakaré; et, en présence du devin, des Tupinambas qui lui étaient dévoués, et de quelques chefs étrangers, on fit les préparatifs d’une mort.
Et les chefs étrangers, de retour aux aldées, dirent à leurs amis :
« Une chose a été faite : on a étranglé Jakaré-Ouassou, le Fou de Cotiva! »
ÉPILOGUE
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Il n’est presque rien resté de l’ancienne Amerique
que la ciel, la terre, et le souvenir de ses épouvantables malheurs.
Paw, Recherches philosophiques sur les Americains.
....L’homme libre est un prodige
Que l’homme libre seul comprend.
A. Dunas, Ode à Victor Hugo
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MAINTENANT que les aventures de deux bons guerriers, Tamandua et Jakaré, ont été racontées dans le désert, où ils s’aimaient tant, où ils ont tant pleuré, où leur ame a été brisée de douleur avant leur corps; maintenant que l’on sait et le dernier soupir de Möema, la fille de Tupinambas, et la victoire remportée par l’homme libre sur un tyran implacable; que l’on a vu, blanchissant sur les flots, le navire qui entraînait loin de cette contrée, où fuma le sang de l’imprudent Coutinho, Inez, femme triste, née pour les jours d’infortunes, qui tua deux amis, qui n’aborda dans sa patrie que pour frémir, en songeant à un passé tout chargé de malheurs, et pour verser des larmes sur un avenir sombre comme sa pensée; maintenant disons la fin de ces fameux Tupinambas, si courageux avec leurs immenses tacapes et leurs flèches de guerre, si étranges par leurs moeurs, et dont l’histoire est un beau monument élevé à la liberté dans les forêts d’Amérique. Cette histoire devrait apparaître bien belle sous la plume de ceux qui, tourmentés d’une idée forte qui pèse sur eux comme quelque chose de grand, et, poëtes observateurs, écrivant d’inspiration : comme cela leur vient : aiment à s’emparer d’une belle époque, d’où ressortent, frappés au coin d’une bonne pensée, des caractères neufs et de nobles émotions.
Si ce n’eût été la crainte de ne pas être goûtés dans notre digression, nous eussions désiré reprendre ici, comme une espèce de prologue à l’épilogue, l’histoire générale du Brésil, où Bahia joue toujours le principal rôle, et où les Tupinambas, jetant des couleurs bien sombres sur le fond du tableau, s’y dressent de toute leur grandeur sauvage. Mais pourquoi regretter d’être obligés de nous restreindre! Pourquoi ? Les histoires de conquêtes faites par les Européens se ressemblent toutes. C’est un peuple qui en écrase un autre, et un grand nombre de douleurs se presseraient sous notre plume, car depuis la mort de Coutinho jusqu’au mouvement inattendu qui s’opéra tout-à-coup dans la nation des Tupinambas, les plus affreux malheurs accablèrent ces vaillans indigènes. En 1572, on les voit trahis, abandonnés de touts parts; on en fait une dégoûtante boucherie; ils se retirent dans les montagnes et dans les forêts qui peuvent les dérober à la rage de leurs ennemis, après incendié leurs cases et tous leurs villages. Plusieurs d’entre eux même, avant de fuir, égorgeaient les blessés et les vieillards qui ne pouvaient s’éloigner avec eux.
Et ils tombèrent dans un accablement total.
Un soleil ardent brûlait déjà les monticules que l’on voit près de la ville de San-Salvador, et, plongeant ses rayons dans la baie, soulevait de paisibles flots d’un long reflet de pourpre.
Une foule de papillons étalaient en volant le prodigieuse richesse de leurs couleurs, ou, se balançant au calice de fleurs, semblaient des fleurs animées.
Un homme, un prêtre, marchait à travers les campagnes. Son grand âge ne ralentissait pas sa course... Elle était précipitée.
Il se trouvait à plusieurs lieus de San-Salvador, qu’il avait quitté pendant la nuit. Il renfermait une bonne action dans son coeur; et l’on se cache pour bien faire parmi les hommes.
Arrivé au-delà d’une vallée, près d’une grande fille de ces arbres qui, entièrement couverts d’une espèce de mousse longue et blanche, ressemblent à de majestueux vieillards, le voyageur laissa tomber ces paroles:
« — Peut-être que Japy-Ouassou n’existe plus!.... Ces malheureux sauvages peuvent-ils compter sur le lendemain! »
Et celui qui parlait ainsi était Portugais.
Le père Rodrigue, un digne ministre de sa religion chez les siens, était un vase d’encens au milieu de vases infects. Appelé, par sa vocation, à prêcher dans le Nouveau-Monde, il réussissait dans le coeur des naturels, car il était tolérant, et il parlait bien de Dieu sous la case du sauvage. Il animal es hommes, blâmait fermement les excès de ses compatriotes: on lui défendit de quitter la ville.
Rodrigue avait connu autrefois à San-Salvador un Brésilien qu’il aimait; ce Brésilien était un vieillard qui, après avoir fréquenté long-temps les hommes civilisés, et s’être fait initier à leurs usages, avait préféré les forêts et la liberté. Il devint, pour ainsi dire, le chef suprême des Tupinambas par la supériorité se son esprit. Il se battit contre les Portugais; et, forcé plus tard à une douloureuse retraite, il encourageait ses compatriotes, au milieu des montagnes où ils s’étaient retirés. Cet homme était Japy-Ouassou.
Après bien des fatigues, au risque d'être massacrés pas des sauvages fous de désespoir, étouffant de rage dans les montagnes qui leur servent d’asyle, et dont ils partagent les repaires avec les bêtes féroces, le prêtre, guidé par l’instinct du bien, arrive au milieu des familles indiennes éparses le long des ravins, cachées dans l’intérieur des massifs, et s’écrasant dans les antres ténébreux, d’où l’on entend sortir, par intervalle, des rugissemens prolongés, des cris affreux, arrachés à tout ce peuple proscrit et mutilé.
Sous ce vêtement noir, le P. Rodrigue cache un coeur à la façon des premiers chrétiens.
N’étant point envoyé vers les Tupinambas par le gouvernement de Bahia, ni porteur d’offres trompeuses, et ne cachant pas de glaive à l’ombre du crucifix, le missionnaire n’éprouve aucune crainte, lorsque, en le voyant s’avancer vers leur retraite, douze sauvages hurlans se jettent sur lui. Ils le menacent, et vont frappe:... « — Me enfans, dit le Portugais avec un sourire angélique, mes chers enfans, je ne suis pas un ennemi; je n’ai point d’armes; je ne viens pas pour vous trahir, et pour vous préparer de nouveaux malheurs; je suis un ami. Tupinambas, voudriez-vous briser la tête d’un ami, d’un vieillard?.... Mais comme vos yeux sont sanglants! Pauvres Indiens, vous avez tant souffert! Mes compatriotes ont été bien cruels envers vous; s’ils avaient voulu m’écouter....!!
« — Chef noir, que veux-tu?
« — Parler à Japy-Ouassou.. Comme vous êtes tristes!
« — Tu es donc l’ami de ce vieillard?... et Portugais!
« — oui, mes enfans, je suis son ami: je suis Rodrigue, le prêtre blanc, que « presque tous vos chefs et vos vieillards connaissent.
« — Rodrigue, le prêtre, tu es bien venu parmi les Tupinambas, et notre massue ne « veut pas de ton sang. Oh, tes compatriotes!...
« — Je savais bien que vous ne me tueriez pas; je ne vous ai jamais fait de mal.
« — Non.. Mais tes compatriotes!
« — Oh oui! ils ont été trop cruels.
« — Si tous les Portugais avaient été comme toi...!!
« — Menez-moi vers Japy. »
Les Tupinambas conduisent le blanc sur le revers d’une montagne, au fond du lit d’un torrent desséché, dans une caverne noire et profonde, — c’était horrible comme un tombeau. — L’Européen trouve, assis sur des pierres usées par les eaux, Japy-Ouassou, ses femmes et deux de ses enfans dans la plus profonde misère.
Le voyageur et le sauvage sont dans les bras l’un de l’autre. « Rodrigue, bon Rodrigue! Pauvre Japy! Méchans Portugais! malheureux Portugais!!! » Voilà ce que l’on entend dans la caverne. Et puis de grosses larmes tombent de l’oeil sombre du chef, et brûlent la main de Rodrigue.
« — Regarde, s’écrie sourdement Japy, regarde: je n’ai plus de case, de patrie.. et plus de sang, ajoute-t-il en montrant ses bras maigris et couverts de blessures: tes compatriotes ont fait tout cela... Hier, oh! hier, j’ai été forcé de tuer moi-même trois de mes femmes et leurs enfans!!!
« — Malheureux!...
« — Ils étaient blessés..., à quelques pas des tiens, et tu sais ce que c’est que d’être esclave de Péros....!![*] . Nous avons mis le feu à nos grands villages, et voilà que nous sommes les hôtes du jaguar les montagnes... Ah! »
Il avait quelque chose d’horrible dans ces confidences de la douleur faites par ce sauvage à l’homme civilisé: c’était comme une malédiction lancée du fond du désert contre l’ancien monde et ses bourreaux. Rodrigue prend les deux mains du vieux cacique, et les serrant avec force, il dit:
« — Je ne connais, ô Japy, tous les malheurs qui ont accablé la nation des Tupinambas; et tandis qu’on s’en réjouissait à Bahia, je plaignais ton sort et le sort des tiens. Écoute: tu sais que je t’ai toujours regardé comme mon ami, hé bien! il ne faut plus me quitter.. jamais.
« — O Rodrigue, les Portugais!
« — Ne les crains pas; j’ai obtenu du gouvernement de San-Salvador... »
Un sourire affreux agite la lèvre de Japy.
« —J’ai obtenu, reprend le missionnaire, ta grâce comme chef insurgé, et la permission de t’amener parmi nous, où tu vivras libre...
« — Libre, libre, s’écrie l’Américain d’une voix de tonnerre! libre..!!! Et les Portugais m’accordent ma grâce.... Ils sont généreux à San-Salvador! »
Ici indignation et une morne tristesse se peignent sur tous es traits de l’Indien; sur son front ridé il y a quelque chose de profondément gravé, d’irrévocable, et à son tour il prend, avec vivacité, les mains de son hôte.
« — Rodrigue! tu as pensé à moi dans les jours de malheur: je te remercie... mais, pauvre Rodrigue, tu n’es pas assez puissant pour me sauver.
« — Comment?
« — Peux-tu m’assurer qu’on accordera le repos à mes compatriotes, qu’ils seront libres aussi, eux...? A la façon des Portugais, ajoute-t-il en contractant les muscles de son visage.
« — Japy, si je le pouvais, tu ne m’aurais pas adressé cette question... il y a long-temps, si je le pouvais, que ta nation serait libre, heureuse et chrétienne...
« — Je n’abandonnerai pas, moi, les guerriers que j’ai vus combattre et souffrir. Ne me presse point... tout est inutile. Je suis un vieil arbre qu’un orage a courbé, et qui ne se redressera point chez les Portugais! Si cela doit être, si je puis être consolé de tout ce que j’ai vu souffrir et de tout ce que j’ai souffert,.... ce sera bien loin d’ici.. Non, non: il ne sera pas dit que mi, Japy-Ouassou, le vieillard respecté des vieillards, j’aurai été un lâche, un traître, un arc d’enfant dont la corde résiste un moment pour se rompre tout-à-coup! Rodrigue, j’ai un projet. Et peut-être qu’au lieu de m’en aller avec toi, ce sera toi qui viendras avec nous. Oui, il ne faut plus nous quitter: tous deux, dans les forêts, nous atteindrons à la vieillesse des hommes, et puis nous mourrons ensemble.
« — Où veux-tu donc aller?
« — Je ne sais.
« — Mais explique-moi...
« — Demain tous les chefs se rassembleront; je leur parlerai, et nous fuirons au milieu des déserts; nous quitterons notre pays......., le pays qui est aux Portugais. Toi, bon Rodrigue, il faut nous suivre: tu aimes tant à faire des chrétiens... Et que feras-tu, si tu restes chez le Péros? Où trouveras-tu des hommes à convertir...? N’ont-ils pas tout massacré? Va, va, nous sommes de bons amis, pars avec nous... je me ferai chrétien; je t’aiderai à parler de ta religion à mes compatriotes; mon autorité te protégera près des devins... Allons, allons! Prends ton vieux livre que tu aimes tant et qui dit belles choses; viens avec tes enfans.
« — O Japy! tu as frappé à l’endroit sensible de mon coeur: lorsque tu étais à San-Salvador, j’ai voulu te parler du vrai de ton ami..
« — Mais aussi de quelle religion me parlais-tu alors? de celle des Portugais! Ici je ne veux que d’une seule, de la tienne; je l’aimerai le religion de Rodrigue.
« — O Japy! que j’embrasse tes genoux. »
Et le vieillard chrétien tombe aux pieds du vieillard sauvage, puis il reprend:
« — O mon Dieu! je te remercie; les jours de ton vieux serviteur n’auront donc pas été inutiles sur la terre!... Ma joie est bien grande, Japy... Mais ne va pas tromper! Ce serait pour moi un coup de mort. »
« Le bon missionnaire pleure à chaudes larmes. Japy lui répond:
« — Je te promets d'être chrétien.
« — Je te suivrai partout.
« — Les Tupinambas deviendront chrétien.
« — Je mourrai avec toi dans le désert. »
Le prêtre se tait. ses pleurs comme un rosée divine, inondent ses joues ridées et creuses. Et il prie en silence.
Entraîné par un mouvement irrésistible, Japy pose ses deux genoux sur la terre à côté des genoux de son ami, et il se passe d’autres choses étranges et consolantes dans l’intérieur de cette caverne.
Pendant que Japy, le front couvert de tristesse, s’entretient avec Rodrigue, et partage avec lui et ses femmes quelques rayons de miel et un quartier de chevreuil à moitié cru, les autres chefs tupinambas, que Japy a convoqués pour la matinée suivante, emploient leur nuit à des pratiques superstitieuses... souvent l’unique et la grande consolation du malheur. Ils se rassemblent, et tournant ver le sud de la montagne dont ils occupent le milieu, ils se glissent à travers les arbres, les rochers et les broussailles jusqu’à l’ouverture d’un évasé, dont l’entrée se hérissait d’arbustes et de pierres aigues... C’était la retraite des piayes. Une autre caverne placée à côté de celle des jongleurs renfermait une troupe hurlante de femmes indiennes qui, pour la plupart, avaient perdu leur maris et leur enfans. A l’approche des chefs, ces pauvres femmes, qui n’ont plus rien sur la terre, se taisent, et, n’osent montrer toute leur affliction. Elles se tordent silencieusement les bras, arrachent leurs longs cheveux noirs, et foulent aux pieds ces ornemens qui les couvrent encore; tels que leurs coiffures et leurs manteaux de plume, ainsi que les croissans d’os blancs qui reposent sur leur poitrine, suspendus à un collier de graines de toutes couleurs, et un grand nombre d’objets embellis de verroterie obtenue par le commerce des Européens[*].
Les piayes, parés de manteaux, de bonnets, de bracelets de plumes, et, tenant à la main leurs maracas qu’ils font retentir, disent aux guerriers, qui ont annoncé leur arrivée par cinq cris perçans:
« — O vous qui venez pour recevoir l’Esprit de force, qui venez dans des jours de malheur, guerriers forts et libres, ô vous qui venez recevoir l’Esprit de force et de courage, entrez! Les piayes assemblés vous le permettent. »
C’est ainsi que ces prêtres imposteurs conservaient toujours leur autorité, et semblaient l’accroître même au milieu d’un peuple accablé.
Et les guerriers se précipitent dans la caverne, se placent en rond, à côté l’un de l’autre, et forment ainsi trois cercles; au milieu de chaque cercle sont plusieurs devins, qui ordonnent, d’une vois menaçante, que chacun reste immobile à sa place.
L’obscurité règne dans l’assemblée.
Les sauvages, le corps incliné en avant, le bras gauche pendant au côté, la main droite fortement appuyée sur les reins, et ne faisant remuer que la jambe et le pied droit, entonnent tout-à-coup des chants interrompus par des cris prolongés. Au milieu de tout ce choc de voix barbares, on entend des mots de liberté et de guerre de les tupinambas se renvoient avec un accent de rage.
Au bruit qui se fuit dans la caverne, aux yeux qui étincellent dans l’ombre, on dirait une assemblé de démons. Les femmes, entassées au fond de l’antre voisin, joignent d’horribles vociférations aux hurlemens des guerriers. Quand vient un moment de silence, les piayes conjurent les Esprits; lorsque le voix se font entendre de nouveau, elles aussi, les pauvres femmes, chantent des chants plaintifs, si tristes qu’ils brisent l’ame, et que les homme répondent par ceci:
« — Femmes, femmes, vous pleurez, et nous, nous demandons le secours des Génies, et qu’on nous venge des Européens qui ont tué vos maris, les guerriers, vos pères, les vieux guerriers, et vos enfans, les petits guerriers. »
Tous les maracas s’agitent à la fois, et l’on se tait. les Tupinambas ôtent un moment ces touffes de plumes qu’ils suspendent sur leurs reins, et restent dans une nudité complète, pour que rien n’empêche l’Esprit de force et de courage de les couvrir entièrement.
Saisissant un tube long de cinq pieds, à l’extrémité duquel brûlent des feuilles sèches de tabac, dont la fumée est soufflée sur tous les assistans, les prêtes indiens se dispersent au milieu des sauvages, en disant d’une voix solennelle, qu’ils accompagnent du bruit assourdissant des maracas:
« — Recevez l’Esprit de force, afin de surmonter vos ennemis! » Et comme il s’agit d’un conseil pour le soleil levant, ils ajoutent: « — Recevez l’Esprit de force et le sagesse des vieillards! »
Tout le reste de la nuit, les Brésiliens entonnent des chants assez harmonieux, et marqués par une mesure exacte. Un long trainement de voix termine chaque couplet, et l’on répète continuellement ce refrain: « Heu! heuaure! heura! heuaure! heura! heura! ouch!!! »
Aux premiers feux du soleil, l’assemblée est dissoute. Les chefs frappent la terre du pied doit beaucoup plus fortement qu’ils ne l’avaient fait jusqu’alors, crachent devant eux, et se quittent en répétant trois fois d’un air sombre: He! hua! hua! hua! La sueur ruisselle de tout leur corps, mais ils ne vont prendre aucun repos; il se rendent à l’endroit indiqué par Japy-Ouassou. ce chef vénéré s’y trouve déjà, avec le bon Rodrigue; une foule immense l’entoure. Mais ce n’était plus ce peuple qui connaissait de quel poids il était parmi les peuples voisins; les superbes fils de Tupan avaient enfin appris ce que c’était que de ne pas être vainqueurs. Une morne tristesse était empreinte sur leurs traits; la maigreur creusait leurs joues, la faiblesse rendait leur corps moins souple, des larmes de rage éteignaient à la dérobée le feu de leur regard; et de tous ces guerriers, assemblés devant Japy, aucun n’était sans cicatrices: on aurait cru voir les restes d’un massacre.
Japy monte sur une éminence; le peuple se presse autour de lui: le vieillard parle alors, et il se hâte de le faire d’une voix forte, de cet accent profond et vrai qui part de la conviction et impose à la multitude; car déjà, en traversant la foule, il avait entendu... ò surprise! ô chose étrange! des Tupinambas qui parlaient d’implorer la pitié de leurs ennemis. On eût dit le condamné demandant grâce au bourreau, sur les degrés de la guillotine!
« — Frères, nous vivons dans des jours de malheur, et l’on voit maintenant des choses surprenantes et tristes sur la terre; les méchans boivent le sang des bons; tout ce qui est venu d’Européen est venu pour mal faire. Voilà une vérité. Tupan lui-même nous abandonne, ou veut nous éprouver. S’il nous abandonne, faut-il pour cela nous abandonner nous-mêmes? S’il nous éprouve, frères, il verra que nous sommes des guerriers braves et qui savent souffrir.
« Nous avons combattu.
« Nos pères avaient chassé les Portugais.
« Les enfans de nos pères ont été malheureux.
« Notre pays est habilité par des étrangers qui ne sont pas plus courageux que « nous, mais q1ui son plus fort.
« Voulez-vous être, vous et vos fils, esclaves de ceux dont vous avez fait couler le sang, et qui, pour se venger, ont tué un grand nombre d’entre vous? Voulez-vous travailler pour les Portugais, vivre, chasser, pêcher pour les Portugais, danser, chanter, mourir pour ceux qui ont volé vos femmes et tout ce qui vous appartenait?
« Le voulez-vous?... s’écrie Japy en frappant du pied;" et l’éclair de son regard tombe sur la foule qui s’agite sous lui; un cri s’en échappe:
« — Non! »
Puis un autre:
« — Que faut-il faire?...
« — Ce qu’il faut faire, reprend le vieillard tonnant avec un sourire triste mais ferme, ce qu’il faut faire! Tupinambas!! il faut fuir.. » Et il lève son front avec cette fierté et cette dignité qui sied si bien à l’homme ennobli par la fortune. Puis il achève en disant:
« Marchons tous au désert, et, lorsque nous serons loin des Portugais, nous bâtirons des cases et des villages. Allons chercher un pays où les armes d’Europe n’aient point encore fait de mal. je ne vous dis points de fuir comme des lâches: frères, vous aimeriez mieux mourir; mais il n’y a pas de honte à chercher un refuge contre le danger. Ici vous mourrez esclaves; loin, bien loin, vous vivrez libres, et vos enfans chanteront de vous de belles et longues histoires.
« Chanterait-on l’histoire d’un esclave des Portugais? »
A ces derniers mots, Japy promène sur ses compatriotes un long regard plein de la plus profonde indignation , et le peuple baisse les yeux. Quelques sanglots se font entendre; bientôt ils sont étouffés par des acclamations.
« Japy est un sage et un bon chef qui nous aime. c’est bien. Partons, allons au désert. »
Alors Japy élève une dernière fois la voix:
« Frères , c’est bien; vous voulez partir; mais vous savez que les autres chefs doivent parler aussi. Nous allons entendre leurs bonnes paroles »; » et il fit un signe. Un sauvage s’élance à la tribune, et dit:
« — On m’a nommé Avati-Ouassou, le Grand-Maïs; et moi aussi j’ai de la sagesse. Je voudrais qu’on partît avant l’arrivée de la lune. Il n’y a qu’un moyen de ne pas être esclaves, c’est de fuir. »
Un second Tupinambas s’adresse ainsi au peuple:
« — Je suis Courouroupebe, le Crapaud-Enflé, à qui ses amis trouvent un peu de sagesse. Frères, je veux bien quitter notre pays, le beau pays où il y a de vieux os de nos pères; mais que Japy-Ouassou dise où il veut nous conduire... Frères, je veux bien quitter notre pays. » En cédant sa place à un autre orateur, Courouroupebe essuie une larme qui trahit sa faiblesse; il remarque que Japy a été témoin de son émotion; il se couche tristement par terre, et, honteux, cache son visage entre ses mains. L’autre Indien dit:
« — Je suis Paranapuza, la Vaste-Mer; Japy-Ouassou, Avati-Ouassou, et Courouroupebe ont bien parlé, je parle comme eux, et voilà ce qui vous prouve ma sagesse. »
Paranapuza est remplacé para Tacapa-Ouassou, le Grande-Massue. Il prend son arc, le bande, décoche une longue flèche qui s’enfonce rapidement, et se perd dans les airs; puis il descend.
Coaquira se présente, et dit: « Cherchez maintenant la flèche de Paranapuza... C’est ainsi qu’il faut cacher votre visage aux visages ennemis. »
Après Coaquira paraît Guaïbe. Il monte péniblement sur l’éminence: Guaïbe est un bon vieillard, qui aime bien son pays. Mais, appelé par son âge et son rang à donner son avis, il veut qu’il soit sincère, il le donne dans l’intérêt des restes malheureux de sa nation. Il dit: « Je vais parler: fuyons!!! »
Ce mot semble avoir déchiré l’ame du vieil homme; ses bras son agités, sa gorge sèche et sa voix tremblante. Il étend tout-à-coup les deux mains sur son visage, et détourne la tête, comme si les rayons du soleil l’éblouissaient: c’est pour cacher des larmes. Les pleurs d’un vieillard qui ne souffre que moralement ont quelque chose qui fait mal.
Plusieurs autres Brésiliens montent à la tribune; les anciens parlent des heures entières; les guerriers proprement dits son laconiques; les jeunes gens s’interrompent,se disputent, et mettent la confusion dans le conseil, qui se déclare néanmoins tout entier pour le projet de Japy-Ouassou.
Et ce projet est mis au même instant à exécution. On se rassemble de tous côtés; de longues et largues files de tout sexe et de tout âge percent les massifs, semblables à un convoi bien triste. ou à des fleuves qui vont s’engloutir dans des parages inconnus.
C’est ainsi que s’effectua cette grande migration des Tupinambas que les forêts ont dévorés.
C’était beau et triste à voir que tout un peuple marchant, au hasard, vers des contrées inconnues.
Rodrigue est à côté de Japy. Parmi ces pauvres exilés il compte déjà de nombreux chrétiens, et lui aussi se cache aux regards des Portugais dans le replis du désert. Les sauvages ne laissent après eux que des solitudes immenses, et, jetant plus d’une fois un regard en arrière, marchent au nord, vers la ligne équinoxiale. L’oeil inquiet des prêtres indiens se porte à plusieurs reprises sur le serviteur de Dieu; déjà ils échangent des signes, des paroles suspectes, et des sourires qui promettent du sang... Mais la massue de Japy protège la tête du vieux missionnaire, et dans les regards des ces deux hommes il y a quelque chose de fort, quelque chose qui fait pâlir le crime.
Vient la nuit.
Plusieurs Brésiliens chantent.
UN GUERRIER
« Les hommes braves, les Tupinambas, au désert! Au désert!... Dans les déserts qui sont loin!!!
« Les jours heureux sont passés!
« Un jour est venu...
« Le jour malheureux est arrivé!!
« Bien! bien! oh! très-bien! Voilà qui est triste, mais voilà qui est bien.
« Frères, tout cela n’est-il pas bien? »
A travers de grosses larmes qui tombent rapidement sur la terre, le Tupinambas essaie de sourire. — des bravades d’un pauvre sauvage! Puis il reprend d’une voix étouffée:
« Frères, les hommes de la sagesse disent, lorsque le Génie du mal met le pied sur leur vieille tête: Cela est très-bien, parce que cela pourrait être plus mal. » Or, vous savez que les vieillards disent la vérité parmi les hommes.
« Il y a des tyrans dans le pays de Tupinambas; dans le pays des Tupinambas il y a beaucoup de tyrans.
« Les mauvais Génies, où sont-ils?
« Dites...?
« Oh! oh! ils sont dans les cases en pierre des étrangers.
« Les mauvais Génies sont les grands chefs des étrangers.
« Oh! les mauvais Génies!
« Oh! oh! Tupan!!! »
Ici la voix du guerrier ressemble au dernier hurlement du jaguar qui expire sur un roc sauvage; cloué à la pierre par la flèche des Indiens; et des pleurs de rage roulent; terribles, dans son oeil de feu. Mais bientôt — des souvenirs attendrissans :
« La nation des Tupinambas était un arbre fort élevé. Il y eut un orage, un grand orage du désert; la chair des hommes tressaillit ; l’orage cria dans les airs, et dans les airs il y eut une grande frayeur, et le cri de l’orage était un cri de mort, un grand cri... Nous l’avons entendu, vraiment!!
« L’arbre fut rompu par le milieu; un feu brûla le tronc et beaucoup de branches; les branche qui restaient, oh! oh! le vent les poussa dans le désert, et tout ne périra point. L’arbre qui a disparu laisse une grande place vide: la nations des Tupinambas occupait une grande place parmi les nations.
« Et tout est triste.
« Les Tupinambas ne savent point où ils vont. Ils marchent, ils pleurent.
« Où s’arrêteront-ils? Quand ne pleureront-ils plus? Et la vérité est que touts ces choses sont douloureuses. Les Tupinambas quittent leur pays, et s’éloignent des arbres qui les connaissent. Ils ressemblent au jacoutinga qui s’éloigne lentement des chasseurs, parce que toutes les parties de son corps sont blessées, et qu’il saigne...
« Écoutez...
« Pauvre jacoutinga!!!
« Pauvres Tupinambas!!!
« Les Portugais n’étaient pas à craindre sans les Esprits méchans qui les ont aidés dans le mal. Vous ne savez pas vaincre les Esprits du mal,
pauvres Tupinambas!
« Vous étiez forts, vous n’aviez jamais fui... Fuir! oh! oh! fuir!! Vous qui étiez les grands arcs du désert où vous avez répandu le sang de vos ennemis!!... »
L’Indien s’arrête, et sa tête tombe sur sa poitrine. Son visage apparaît tout baigné de larmes, à la lueur de myriades de vers phosphorescens qui brillent dans les forêts.
UN VIEUX CHANTEUR
« — Tupinambas, je vais chanter des chants.
« Ce sont des chants de votre pays que je vais vous chanter; ce sont des chants qui sont beaux.
« Il y a bien long-temps, il est venu un homme du pays des Portugais.
« Cet homme commandait, et il avait avec lui d’autres hommes qui étaient lâches, et qui étaient esclaves, et qui tremblaient.
« Les Tupinambas, qui sont braves, et forts, et vaillans, se dirent entre eux: Frères, des tacapes; frères, des flèches: voici des tyrans.
« Et ils combattirent: bien.
« Et ils furent vainqueurs : bien.
« Il vit la fille du chef des hommes esclaves, Tamandua, le cacique Tamandua, Tamandua, beau et jeune.
« Il aima la fille du chef des hommes esclaves.
« Tamandua avait un ami que nos pères appelaient JAKARÉ-OUASSOU ; un ami que l’avait délivré lorsque les Portugais avaient enchaîné ses bras.
« Tamandua et JAKARÉ-OUASSOU étaient deux hommes bons.
« Mais voilà que les Esprits du mal parlèrent ainsi en voyant les deux amis : « Nous sommes de mauvais Génies, et nous ne voulons pas que ces deux guerriers soient heureux. Nous sommes de mauvais Génies, et nous haïssons le bonheur, et nous aimons le mal. Nous sommes de mauvais Génies, nous sommes de mauvais Génies. »
« L’un d’entre eux, le plus méchant, dit aux autres : « Je vais aller, moi, avec mes ailes noires, vers le deux amis. Et je m’emparerai de l’un des deux, et je lui ferai faire de vilaines actions, et je le rendrai méchant comme moi. »
« Ces paroles furent dites : il partît, et s’approcha de JAKARÉ-OUASSOU. Il le toucha avec une des plumes de son aile noire, et Jakaré devint un homme faux et perfide. Jakaré n’aima plus Tamandua ; il voulut le tromper.
« Mais il y avait alors à Cotiva, chez les Tupinambas,un sage, un devin!!!
« Le devin se nommait Murucujé.
« Murucujé le devin dit à des guerriers tupinambas : « Pauvre Tamandua ! Jakaré n’est plus son ami ! »
« Les guerriers dirent à Tamandua : « Pauvre Tamandua ! Jakaré n’est plus ton ami ! »
« Tamandua avait le coeur simple ; Tamandua répondit : « Cela n’est pas. »
« Mais les guerriers donnèrent à Tamandua des preuves de ce qu’ils avaient dit.
« Alors Jakaré voulut se venger du devin. Il se cacha, et frappa Murucujé avec sa massue.
« Il tua Murucujé.
« Des guerriers tupinambas trouvèrent le devin dans la forêt.
« Le devin était mort.
« Cependant sa bouche parla.
« Elle dit : « C’est JAKARÉ-OUASSOU, Jakaré le méchant, qui a tué Murucujé, l’ami des Génies du bien. Il faut étrangler Jakaré. »
« Les Tupinambas cherchèrent Jakaré ; ils le trouvèrent, lièrent ses pieds et ses mains, et l’enfermèrent dans une case, en attendant qu’on exécutât les ordres du devin.
« Mais Tamandua aimait encore Jakaré. Il endormit ses gardiens, et le fit sortir de sa prison, afin qu’il échappât à la vengeance des Tupinambas.
« Quand ils furent dans la forêt, le méchant se jeta sur le bon, et l’étouffa.
« Jakaré étouffa Tamandua.
« Des guerriers envoyés à la poursuite di prisonnier le trouvèrent au moment où il tenait entre ses bras le cadavre de son ami, dont il avait déjà mangé.
« Ils lui demandèrent si c’était lui qui avait tué Tamandua, si c’était lui qui avait meurtri et mangé sa chair.
« Jakaré répondit : « Vous dites vrai. »
« Les guerriers emmenèrent Jakaré, et, par ordre des vieillards, Jakaré fut étranglé. Honte a Jakaré !
« Alors les Génies du mal sourirent ; les Génies du mal ont souri, et on les a entendus dire : « Bien ! le bon et le méchant sont morts ! »
Pauvre Jakaré ! te voilà donc maudit dans la mémoire des tiens ; et ils te croient coupable, et chantent de toi des histoires mensongères !
UN DEVIN
« — Je vais conter une chose qui est arrivée.
« Je ne ments pas contre la vérité .
« Et les hommes écoutent un devin un devin.
« Voilà comment les Péros ont vaincu :
« Voilà comment les Tupinambas ont été forcés de fuir leur pays.
« Durant le sommeil des Esprits qu aiment le bien, les Esprits qui aiment le mal se sont mis à voler, la nuit, avec leurs longues ailes, vers la grande case de Tupan, la grande case que les hommes vient pendant l’orage, la grande case de feu, couverte de lances de feu, de flèches de feu, et appuyée sur trois massues de feu.
« Et tout cela brûlait au milieu de grand lac d’eau bleue qui est sur la tête des Tupinambas.
« Tupan dormait.
« Il avait bu son bien cauin avec ses amis, dans un festin qu’il leur avait donné, et qui avait duré neuf soleils.
« Or, le cauin ayant endormi Tupan, les Esprits le regardèrent en face, et rirent de lui.
« Le mal étant donc entré dans la case de Tupan, les fils de Tupan devaient souffrir.
« Les mauvais Esprits, qui étaient les alliés des Péros, prirent le grand feu d’en haut, le grand feu qui tue les hommes, et le donnèrent à nos ennemis.
« Et voilà que nous fuyons avec nos vieillards et nos femmes, qui ont tous des visages tristes.
« Nous fuyons !
« Et cependant la nation des Tupinambas était comme une mer au milieu des nations ! »
Ce chant était à peine achevé, qu’une troupe d’hommes armés, d’une tribu inconnue, croisèrent la migration des Tupinambas, et dirent :
« — Vous marchez pendant la nuit... pourquoi ?... où allez-vous ?
« — Loin ! bien loin ! répondirent les sauvages. »
[*] Les Tupinambas désignaient les Portugais sous ce nom générique de Péros.
[*] Si l’on peut appeler commerce ces échanges presque tous trompeurs que l’ancien monde a faits avec le nouveau. On laissait toujours du sang sur lieu où se passait le marché.
FIN.
NOTES.
NOTES[*]
1 Le Brésil.
« La nature a posé elle-même les bornes du Brésil : l’Amazone et la rivière de la Plata forment ses véritables limites au nord et au sud ; les montagnes du Mato-Grosso le séparent du Pérou, en l’Océan atlantique baigne ses côtes à l’est ; cependant, selon les traités les plus récens, il doit commencer maintenant à l’embouchure du Rio-Marony, par les 6º nord. »
(Ferdinand Denis, Résumé de l’histoire du Brésil.)
Les discussions meurtrières élevées depuis si long-temps, relativement aux limites du sud, ont cessé. Le Brésil n’aura pas le fleuve de la Plata pour limite au sud : entre lui et ce fleuve se trouve la Banda-Oriental (dont la capitale est Monte-Video), qui reste indépendant.
« Ce vaste pays est divisé en provinces, qui tirent plutôt leur importance de leur situation géographique que de leur étendue. En allant du nord au sud, le long de la côte, on trouve Guyana, Para, Maranham, Piauhy, Siara, Rio-Grande-do-Norte, Parahyba, Pernambuco, qui renferme Alagoas, Seregipe-d’el-Rey, Bahia, Ilheos, Porto-Seguro, Espirto-Santo, Rio-de-Janeiro, San-Paulo, Santa-Catharina, Rio-Grande-do-Sul. L’intérieur ne forme que trois grandes divisions: Minas, Goyaz, Mato-Grosso, que se subdivisent, comme les autres provinces, en plusieurs départemens (comarcas), dont on fera sans doute un jour des capitaineries séparées, à cause de leur étendue.
« Si la facilité des communications est une des premières bases de la prospérité des états, le Brésil a été on ne peut plus favorisé sous ce rapport: des rivières innombrables, qui prennent naissance dans l’intérieur, viennent se jeter dans les grands fleuves, ou apporter leur tribut jusqu’à l’Océan; mais il est nécessaire que les hommes réunissent leurs efforts pour profiter de cet immense avantage. Dans un grand nombre d’endroits, il faut renverser des rochers qui interrompent le cours des eaux; dans d’autres, il faut élargir les canaux, et il est absolument nécessaire d’ouvrir des chemins le long des portages. Je ne parle point des ponts, des chaussés, des ports, et de tous ces travaux qui viennent á la suite d’une longue civilisation; je me contente d’indiquer ceux qui sont vraiment indispensables pour donne quelque importance à l’agriculture, en répandant ses productions. Si nous commençons par le nord, je ferai voir combien la nature y a établi de communications. L’Amazone, qui prend naissance dans le Pérou, permet une navigation facile jusque dans les possessions espagnoles. Ses immenses tributaires divisent la capitainerie du Para en quatre districts, et formeront par la suite des débouchés importans pour le commerce. Jusqu’à présent ce sont les seules routes connues pour pénétrer dans uns pays presque entièrement désert, malgré son étonnante fertilité.
« Ce qui eût été pour les hommes un travail de plusieurs siècles, la nature a encore pris soin de la faire dans ces contrées, l’extrémité du Brésil et toute la Guiane se trouvant unies, grâce au plus étonnant système de rivières qui existe dans le monde; car le Rio-Negro, que l’on pourrait comparer à l’Amazone, si l’on considère le volume de ses eaux, communique avec l’Orénoque par le Pimichim et le Cassiquiare. Ce n’est que de nos jours que l’on a acquis la certitude de l’existence de ce passage. Il est facile de prévoir qu’il en doit résulter de grands avantages pour les deux pays; mais l’on ne peut savoir où ils s’arrêteront. Les villes situées entre l’Orénoque et l’Amazone seront peut-être un jour les florissantes de l’univers. Les provinces du nord, qui viennent immédiatement après celle du Para, sont moins arrosées; mais des vastes espaces sablonneux, qui séparent des campagnes fertiles, permettent de se rendre assez facilement d’un lieu à un autre. Il ne faut pas comparer ces plaines aux déserts de l’Afrique; elles offrent assez fréquemment des sources au voyageur, et comme elle ne se trouvent jamais entièrement dépourvues de végétation, il sera facile d’y former des établissemens qui favoriseront les communications jusque dans l’intérieur. la Maranham, le Piauhy, Siara, Rio Grande du Nord, Parahyba, renferment plus où moins de ces steppes incultes. ce serait là qu’il faudrait propager l’espèce si utile du chameau[*], et que l’on tirerait les plus grands services de cet animal, que les Arabes ont nommé avec tant de raison le navire du désert.
« On rencontre encore des plaines arides dans la fertile capitainerie de Pernambuco; cependant la montagne des Carirys renferme les sources de plusieurs rivières importantes, mais elles sont loin d’égaler le majestueux San-Francisco, qui prend naissance dans Minas-Gearès: c’est là surtout où il serait nécessaire que quelques hommes actifs déployassent leur génie: des cascades interrompent continuellement le cours de ce beau fleuve, qui facilite les communications de l’intérieur avec les provinces du nord, et ce inconvénient nuit plus qu’on ne le croit au commerce. J’ai vu plusieurs habitans des mines traverser d’immenses espaces, plutôt que de s’exposer sur le San-Francisco à des retards inévitables.
« La capitainerie de Bahia est suffisamment arrosée pour l’agriculture; mais les colons n’y trouvent pas de très-grands secours pour le transport de leurs marchandises, et ils sont fréquenment obligés d’avoir recours à des routes par terre, comme si la nature avait prévu que les deux villes les plus importantes du Brésil auraient un jour un pressant besoin de communication par eau avec l’intérieur : le Jiquitihnonga vient se jeter dans l’Océan, sous le nom de Belmonte, entre Porto-Seguro et Ilheos. Quoique cette partie de sa côte soit la plus anciennement peuplée, il n’y a guère que vingt ans qu’on connaît la véritable source du fleuve qui doit amener les productions de Minas-Novas dans les ports de San-Salvador et de Rio-Janeiro. En s’avançant vers le sud, les grands fleuves diminuent de nombre, mais les routes par terre sont peut-être plus faciles à établir: dans le Muto-Grosso[*] on retrouve tous les avantages d’une navigation intérieure, et c’est une chose admirable de voir les tributaires de Rio-de-la-Plata, qui pourront peut-être un jour s’unir à ceux de l’Amazone.
« Tout le monde sait combien les ports du Brésil sont remarquables par leur grandeur et par leur commodité : c’est un avantage qu’a ce pays sur les provinces de la Plata. Cependant les hommes n’ont encore rien fait pour utiliser une foule de hâvres qui exigeraient quelques travaux, et qui faciliteraient le cabotage.
« La navigation des côtes devient tous les jours plus importante pour ce beau pays; c’est elle qui établira quelques relations politiques où il n’en existait point. En devenant commerçans, un grand nombre de colons, qui s’occupaient à peine de l’exportation de leurs denrées, s’intéresseront davantage à la prospérité de l'état et à ses opérations.
« Une des choses qui étonnent le plus l’Européen qui visite ces contrées, c’est la rareté des routes par terre: elles sont en si petit nombre, qu’il est facile de les désigner. les plus importantes et les plus fréquentées, celles qui conduisent de San-Salvador et Rio-Janeiro Minas-Gearès, ne permettent point d’entreprendre le voyage en chariots. Tous les transports se front à dos de mulet, et il est aisé de voir les dommages qui doivent en résulter pour le commerce. La route de Saint-Paul à Minas présente encore le même inconvénient; mais on rencontre des ressources qu’il est impossible de se procurer si l’on se rend de Rio-Janeiro à la capitainerie de Bahia. Cette province ne peut guère communiquer avec la capitale que par eau. Je n’ignore point que le grand nombre de ponts qu’il y aurait à construire a été jusqu’à présent un obstacle à ce qu’on établît le long de la côte un chemin désiré de tout le monde; toutefois il deviendrait facile dans quelques endroits d’établir des bacs, qu’on remplacerait plus tard par des ponts en bois: nulle part il ne serait possible de se procurer d’aussi bons matériaux; des forêts magnifiques offrent de tous côtés des bois de construction les plus solides et les plus durables.
« Il existe un chemin de Bahia à Pernambuco, et il est continué de cette capitainerie jusqu’au Maranham. Il offre de si grands inconvéniens, par la difficulté de se procurer des bêtes de somme, que peu de personnes en font usage. On doit donc attendre son amélioration agriculture. Si cette difficulté de communiquer d’un lieu à un autre par terre s’oppose à l’invasion d’une puissance étrangère, elle nuit trop au commerce et à la civilisation pour que le gouvernement ne s’empresse point de la faire disparaître. Je sais que l’active végétation de ces climats est un des obstacles qu’on a le plus fréquenment, et que des chemins nouvellement ouverts, au milieu des forêts, sont devenus impénétrables au bout de quelques mois, parce que les arbres abattus étaient remplacés par une innombrable quantité d’autres végétaux; mais le même inconvénient existe dans l’Inde, où l’on trouve les plus belles routes de l’univers. » (Fernand Denis, Résumé de l’Histoire du Brésil et de la Guiane[*].
[*] Tout ce que l’ou verra guillemeté et textuellement extrait des différens ouvrages qu’on a consultés.
[*] M. Ferdinand Denis a eu là une idée réellement excellente: si on la mettait à exécution, il aurait rendu un véritable service à cette partie du Brésil.
[*] Il paraît qu’on a découvert dernièrement dans cette province des perles d’une très-belle eau; les coquilles qui les renferment sont sur le bord de certain lacs.
[*] Le Brésil appartenait au roi de Portugal, qui y fait quelque temps sa résidence. Il a reconnu son indépendance sous le nom d’Empire du Brésil. sa population est d’environ quatre millions d’habitans, y compris les indigènes.
2 Le navigateur portugais Cabral.
La brillante expédition de Gama dans l’Inde avait enflammé l’imagination ardente des Portugais : chez les uns, c’était l’appât de l’or, chez les autres c’était l’ardeur de la gloire; mais chez tous l’amour des découvertes et des voyages aventureux était porté jusqu’au délire.
Emmanuel partageait l’enthousiasme de son peuple; de toutes parts on lui demandait une nouvelle expédition; il se rendit au voeu général.
Pedro Alvarès Cabral mit à la voile au mois de mars 1500; sa flotte, montée par quinze cents hommes de troupes, sans compter l’équipage, était composée, dit-on, de treize navires. Emmanuel ne prévoyait pas sans doute l’issue de ce voyage.
Cabral devait visiter les rois de l’Inde, s’assurer de leur alliance, et obtenir, soit par la douceur, soit par la force des armes, que le zamorin de Calicut permît l’érection d’un comptoir portugais dans ses états.
Cabral suit la route qu’a tenue Gama; jusqu’au cap Vert il poursuit heureusement sa navigation. Un de ses navires s’est détaché de la flotte; après deux jours d’attente vaine, il continue son voyage; voulant éviter les calmes de la côte d’Afrique, il gagne trop au large; assailli bientôt par la tempête, il dérive vers l’occident, et, le 24 avril 1500, à l’ouest, vers le dixième degré au-delà de la ligue, une côte inattendue se déroule aux yeux de l’amiral: le Brésil est découvert.
3 La capitainerie de Bahia.
« La capitainerie de Bahia, qui comprend cependant deux anciennes provinces, n’a point un territoire très-considérables, en le comparant à celui des autres districts; elle s’étend du parallèle de 10º de latitude australe jusqu’à celui de 15º40’. On calcule que sa largeur est de cet quinze lieus nord-sud; sa largeur n’est point encore bien déterminée, mais on pense qu’elle peut être de soixante-dix à quatre-vingts lieues. Au nord, elle confine avec celle de Seregype-d’el-Rey; au midi, avec Porto-seguro et Minas-Geraès; au couchant, elle touche au Pernambuco, dont elle est séparée par le Rio-Francisco: l’Océan lui sert de bornes à l’orient.
« Le pays est coupé de forêts et de collines; on y trouve aussi des landes appelées caatingas, qui occupent beaucoup plus de la moitié du terrain; elles ne sont guère propres qu’à l’éducation des bestiaux, et il est impossible de les enployer à aucun genre d’agriculture; mais la fertilité des portions de terrains appelées chapadas, et situées ordinairement sur le penchant des collines, est vraiment extraordinaire; elle ne peut se comparer qu’à celle des vallées baignées par quelques fleuves, et couverts d’antiques forêts que l’on abat pour faire des plantations de manioc, de maïs, de tabac et de coton.
« On considère depuis long-temps, comme le meilleur territoire de tout le district, celui qui est connu sous le nom de reconcave, et peut avoir huit à dix lieues de largeur autour de la grande baie de Tous-les-Saints. » (Le Brésil, ou histoire, moeurs, usages et coutumes des habitans de ce royaume, par M. Hippolyte Taunay, correspondant de Muséum d’Histoire naturelle de Paris, et M. Ferdinand Denis, membre de l’Athénée des sciences, lettres et arts de Paris.)
On sait que les restes des différents tribus des Tupinambas de la capitainerie de Bahia, après avoir combattu long-temps contre les Portugais, préférèrent s’enfoncer dans des déserts inconnus, plutôt que d’être esclaves. Les Tupinambas franchirent des espaces immenses, et trouvèrent un asyle dans les vastes forêts du Para, où le nom de certains lieux indique encore leur séjour[*]. On prétend que quelques troupes de ces intéressans sauvages allèrent au Pérou.
Ne quittons pas la capitainerie de Bahia sans extraire, de l’ouvrage déjà cité de M. H. Taunay et de M. F. Denis, le passage ci-après:
« En suivant le chemin de Victoria, et après avoir visité son église, on parvient , en détournant À gauche, À un plateau couvert d’une brillante verdure, et là de nouvelles idées viennent à l’esprit. On prétend que le fondateur y forma son premier établissement; et l’on vous montre encore l’arbre de la découverte, qui s’élève à quelque distance.
Les souvenirs offerts par la nature sont rares dans l’Amérique; cependant ce vieil arbre, qui peut-être n’existe déjà plus, a fait naître plus d’une fois de tristes pensées dans l’aime du voyageur; son feuillage semble quitter À regret les branches qu’il orna pendant si long-temps; ses racines énormes sortent à plus de vingt pieds de son tronc. Les Tupinambas ont peut- être célébré leurs fêtes à son ombrage ; ils étaient alors maîtres de cette vaste baie; ils faisaient retentir le rivage de leurs cris de victoire; mais s’ils ont disparu, le paysage est encore plein de leur présence. C’est dans cet endroit qu’existait probablement leur aldée; la chapelle de Graça, consacrée à saint Benoît, l’a remplacée; c’est l’église la plus ancienne de Bahia; c’est aussi la première où nous entrerons. Elle offre plusieurs choses intéressantes à observer; et il y existe, entre autres monumens historiques, une tombe consacrée à la mémoire de la femme de Caramourou. L’épitaphe est remarquable, et nous la traduisons textuellement:
Sépulture de DONA Catherine ALVARES.
maitresse de cette capitaineire, qu’elle a donnée
aux rois de Portugal,
conjointenent avec son mari
DIOGO ALVARÉS CORREA, né à Viana
Elle fait construire et a dédié cette chapelle
au patriarcha S. bento, l’an 1582.
[*] Voyez le même ouvrage qui a été cité plus haut.
4 La grande rivière de San-Francisco.
Le San-Francisco, souvent interrompu par des cataractes, coulait à l’extrémité de la capitainerie de Bahia, dont les limites ne pouvaient guère être fixées du temps de Coutinho. Aujourd’hui l’ancienne capitainerie d’Os Ilheos est annexée À la province de Bahia.
« Les fleuves du district de Bahia ne sont point très-considérables, et ils vont « presque tous se jeter dans la baie.
« Le plus voisin de Bahia est le Rio-Vermelho; mais c’est un ruisseau à peu près comme la rivière de Bièvre, aux environs de Paris; et il va se perdre dans l’Océan à peu près à une lieue de la pointe St.-Antoine: l’Itapuan, le Jacuhyppe, le Pojuja, l’Itapicuru, sont également peu considérables, d’une très-courte navigation, et se jettent par la même côte.
« Le Rio-Jaguaripe, qui prend naissance sur le bord de la route de Minas, environ onze lieues au couchant du bourg de Cachöera, dans la campagne de Curralinho, se décharge dans la Fausse-Barre, et peut recevoir de grandes barques l’espace de sept lieues.
« Le Rio-Paraguassou est sans contredit le seul très-important du reconcave; il prend naissance dans le voisinage da Serra de Chapada, limite du bourg central de Contas: le ruisseau Cocho et l’Encantada, qui sort d’un lac ainsi nommé à cause d’une île flottante que l’on y trouve, sont ses premiers confluens; le Paraguassinho, l’Andrahy, deviennent aussi ses tributaires. Un peu plus loin que ce dernier confluent, il reçoit une rivière qui, s’étant cachée quelques milles sous un terrain solide, renaît avant d’arriver au fleuve.
« A environ une lieue de la grande cascade formée par la traverse de Serra-do-Cincura, le Paraguassou se réunit au Rio-Una, forme une cascade trois ou quatre lieues au-dessus du dernier confluent, passe par les bourgs de Cachaëra et de Maracogype, et, devenant assez large, se décharge dans le milieu de la côte occidentale de la baie de Tous-les-Saints. » (Le Brésil, etc., par MM. H. Taunay et F. Denis.)
5 Et s’y ente d’elle-même.
Il arrive fréquenment au Brésil, comme dans tout le reste de l’Amérique méridionale, où la végétation est d’une force surprenante, où la sève des arbres est très-active, que la branche d’un arbre poussée par le vent sur un arbre voisin s’y ente sans nul autre secours. Je n’ai pas été seul à même d’observer ce fait: quiconque a été au Brésil a pu en être témoin. J’ajouterai qu’une branche coupée au hasard, et enfoncée dans la terre même au bout de plusieurs jours, ne tarde point à prendre racine et à devenir un arbuste.
3 Les redoutables Tupinambas.
Nous allons donner ici, dans une dote générale, quelques détails sur les Tupinambas, pour lesquels nous n’observerons point de transitions rigoureuses. ces détails sont précieux, parce qu’ils sont puisés dans des auteurs très-véridiques, et d’une charmante simplicité.
« Les Indiens tupinambas sont communément d’une stature médiocre, environ de la moyenne hauteur des Français; bien est-il vray qu’il s’en trouve de fort puissants entre eux, pour le moins de six à sept pieds, comme j’ai veu en divers lieux, estant tous naturellement d’une balle taille et des mieux proportionnés, partie à raison qu’ils ne sont forcez ni violentez ou contraints, comme les mignons de par deçà, par des habits qui les serrent. Coustumierement, ils marchent droit, avec geste eu maintien graves et modestes. »
CLAUDE D’ABBEVILLE.
« A leur naissance, ils sont aussi beaux et poliz, et ontla chair aussi belle, blâche et fresche que ceux qui naissent par deçà. »
THEVET.
« Il n’y a presque point de boiteux, de manchots, de borgnes, de côtrefaits, ni maléficiez entre eux. Devantage combien que plusieurs parviennet iusques à l’aage de six vingt ans. »
LÉRY.
« Sub eodem tecto, ad inversae modum carinae praelongo, palmisque instrato multae simul familiae degunt. — Nudi incedunt viri et feminae. — Corpora robusta satis coloribus pingunt, aut atro succo, pomi genipapi deturpant. — In hospitis advenasque facillimi sunt, et prolixa supra modum humanitatis. — Numina nulla, deos nullos, colunt, nisi tonitrua fortè aut fulmina, quorum magna animas incessit veneratio. »
BARLEUS.
« Que si ils tuent solennellement un prisonnier pour le manger, se voulant lors faire plus braves, ils se vestent de robes, bonets, bracelets, rouges, bleus, n’ayant plumassier en France qui les sût mieux manier. Ils font de même artifice les garnitures de leurs épées et massues de bois, lesquelles ainsi décorées et enrichies de plumes, il fait merveilleusement beau voir. »
LÉRY.
« Ceux qui font le massacre frappent ordinairement si droit, savent si bien choisir derriere l’oreille, que pour leur oster la vie ils n’y retournent pas deux fois. »
LE MÈME.
Lèry parle aussi d’une coutume assez singulière pour les femmes:
« A toutes les fontaines et rivières claires qu’elle rencontrent, s’accroupissans sur le bord ou se mettans dedans, avec les deux mains se iettent de l’eau sur la teste, se lavans et plongeans ainsi tout le corps comme canes: tel iour sera plus de douze fois. »
LE MÈME.
Dans son intéressant ouvrage, Léry parle d’une chanson qu’il entendit, et donne le refrain que les sauvages répétèrent en choeur: Canidi-iouve, canidi-iouve, heura! ouch!
« Ils ne font la guerre pour garder ou estendre les limites de leur pays, ains pour l’honneur, toutes et quantes fois qu’ils estiment que leurs voisins ou autres peuples eslongnez n’ayant tenu conte d’eux. Alors ils se gouvernent par le conseil des vieillards qui se sont portez vaillamment au temps de leur jeunesse. Avant que délibérer, chacun boit à plaises, et autant que bon luy semble. Tout ce que les vieillards concluent pour la paix ou pour la guerre est executé par les jeunes sana aucun subterfuge. Ils eslisent pour chef celuy qu’ils tiennent pour le plus vaillant. S’il montre signe de couardise en quelque chose que ce soit, ils de dégradent incontinent, en establissant un autre au lieu. Ce chef tournoye autour de leurs loges, et à grands cris exhorte chacun à la guerre, les advertit de quoy ils se doyvent équipper et munir, discourant aussi combien il est besoin qu’ils se monstrent vertueux. » (Vieille histoire de Portugal.)
7. La fameuse race tupique.
« La nation des Tupis, après avoir vaincu les Tapayas, étendit autrefois son empire sur la plus grande partie des côtes du Brésil et de la Guiane; il est probable qu’elle avait son origine parmi les peuples belliqueux du Paraguay où une peuplade entière porte le nom primitif, que se modifia selon les tribus. De même que l’on vit autrefois le Nord nous envoyer ses innombrables légions, le sud de l’Amérique méridionale fournit sans doute de nouveaux habitans aux contrées fertiles qui se rapprochent de la ligne. Les conquérans, après avoir repoussé les anciens dans l’intérieur des terres, se divisèrent en peuplades; celle des Tupinambas était la plus célèbre. » (Résumé de l’Histoire du Brésil, suivi du Résumé de l’Histoire de la Guiane, par Ferdinand Denis.)
La langue tupique, que l’on dit privée des lettres f, l, j, v et dont les noms substantifs ou adjectifs sont indéclinables, sans admettre même de pluriel, est, dit-on, un dialecte du guaranis, regardé comme une mère langue, dont les racines se retrouvent dans un espace de soixante-dix degrés. Dans la langue tupique, les pronoms indiquent les personnes des verbes qui ont deux modes de conjugaison, puisqu’il existe un affirmatif et un négatif[*].
Les Tupis ne s’exprimaient qu’au présent de l’indicatif, à l’imparfait, au prétérit défini, au prétérit indéfini, et au futur. On dit que les indigènes civilisés des côtes parlent encore la langue tupique, dont le missionnaire portugais Anchieta a composé une grammaire et un vocabulaire; mais Jean d’Aspicuelta fut le premier qui composa, en langue tupique, un catéchisme pour l’instruction des Tupinambas: il traduisit aussi des prières dans l’idiome de ces sauvages.
[*] Voyez Le Brésil, etc., par MM. H. Taunay et F. Dennis.
8 Ils l’exerçaient (l’hospitalité) d’une manière assez bizarre.
On prétend que les Tupinambas, à l’arrivée d’un hôte qu’ils veulent bien recevoir, allument un feu autour de leur case. Ce n’est que dans les notes de la traduction du poëme de Caramourou[*] qu’on parle de ce feu de l’hospitalité, ou du moins je n’en ai rien vu autre part.
Voici un passage de Léry qui donnera une idée de la manière dont les Tupinambas recevaient un hôte :
« Pour donc déclarer les cérémonies que les Tououpinambaoults [*] observent à la réception de leurs amis qui les vont visiter, il faut en premier lieu, sitôt que le voyageur est arrivé en la maison du moussacat, c’est-à-dire bon père de famille, qui donne à manger aux passants, qu’il aura choisi pour son hoste ; ce qu’il faut faire en chaque village où l’on fréquente, et, sur peine de le fascher, quand on y arrive n’aller pas premièrement ailleurs, que s’asseyant dans un lit de coton pendu en l’air, il y demeure quelque peu de temps sans dire mot ; après cela, les femmes venant à l’entour du lit, s’accrousant les fesse contre terre, et tenant les deux mains sur leurs yeux, en plorant[*]
de cette façon la bien-venue de celui dont sera question, elles diront mille choses à sa louange, comme, par exemple : Tu as pris tant de peine à nous venir voir ; tu es bon, tu es vaillant. Et si c’est un François ou autre étranger de par-deçà, elles ajouteront : Tu nous a apporté tant de belles besognes dont nous n’avons point en ce pays. Si, bref, comme j’ai dit, elles, en jetant de grosses larmes, tiendront plusieurs tels propos d’applaudissemens et flatteries, que su au réciproque le nouveau venu, assis dans le lit, leur veut agréer en faisant bonne mine de son côté, s’il ne peut pas plorer tout-à-fait, comme j’en ai vu de notre nation qui, voyant la braierie de ces femmes auprès d’eux, étoient si veaux d’en venir jusques-là, pour le moins, leur correspondant, jetant quelques soupirs, faut-il qu’il en fasse semblant. Cette première salutation faite ainsi de bonne grace par ces femmes américainese, le moussacat, c’est-à-dire le vieillard maître de maison, lequel aussi de sa part aura été un quart-d’heure sans faire semblant de vous voir (caressse fort contraire à nos embrassements, accolades, baisements et touchements de la main à l’arrivée de nos amis), vous dira premièrement :
« Ere-coube ? Es-tu venu?
Je vais faire suivre une partie du dialogue qui s'établit après cette interpellation bien sauvage, et en même temps qui est aussi bien usitée chez nous. C'est une chose assez singulière que cette rencontre qui se trouve chez des peuples si éloignés les uns des autres ; cela prouve que l'interpellation est très-naturelle, quoiqu'assez bizarre. En effet, le ere-coube ? du Brésilien n'est-il pas absolument la même chose que le ah ! vous voilà du Français? Ne retrouvez-vous pas exactement es-tu venu ? dans c'est vous, monsieur un tel, ou bien dans est-ce vous ?
LE TUPINAMBAS.
« Ere-coube ? Es-tu venu?
LE FRANÇAIS.
« Pa-aiout. Oui, je suis venu.
LE TUPINAMBAS.
« Teh! auge-ny-po. Voilà bien dit.
« Mara-pé-derere ? Comment te nommes-tu ?
LE FRANÇAIS.
« Lery-oussou. Une grosse huître.
LE TUPINAMBAS.
« Ere iacasso pieno ? As-tu laissé ton pays pour venir demeurer ici ?
LE FRANÇAIS.
Pa. Oui.
LE TUPINAMBAS.
« Iende repiac? aout iendere piac aout é eheraire eh! oouerete kenoü Lery oussou y men ! Voilà donc,. il est venu par deçà, mon fils, nous ayant en la mémoire, hélas ! »
[*] Traduit de l’original brésilien (du prêtre José de Santa Rita Durao) par M. E. de Monglave. L’auteur brésilien a célébré dans cet ouvrage les aventures de Caramourou.
[*] Les Tupinambas.
[*] Les femmes brésiliennes pleuraient considérablement et très-facilement à l’arrivée ainsi qu’au départ de leurs hôtes.
9 Une boisson nommée cauin.
On lit dans l'ouvrage sur le Brésil, de MM. H. Taunay et F. Denis, à l'article Moeurs des indigènes à l'époque de la découverte :
« Ces peuples n'étaient point privés de liqueurs K enivrantes avant que les Européens leur eussent fait connaître l'eau-de-vie , qu'ils- ont depuis recherchée avec tant d'avidité. Le manioc leur fournissait une. boisson dont, sans doute, la préparation nous paraîtra dégoûtante, mais qui servait cependant à animer leurs festins, ou à accélérer la guérison de certaines maladies dans lesquelles l'eau pure eût peut-être été dangereuse.
Après avoir coupé par morceaux des racines de manioc et d'aypi, on les faisait bouillir dans de grands vases de terre, et on ne les retirait que lorsqu'elles étaient amollies, pour les laisser refroidir ; alors les femmes s'asseyaient autour de ces espèces de chaudières, prenaient des rouelles de manioc, les mâchaient, et les jetaient dans d'autres vaisseaux placés au-dessous du feu, où elles les remuaient avec un bâton, jusqu'à ce qu'elles pensassent que cette singulière préparation fût suffisamment cuite : on vidait alors toutes les chaudières dans de grandes jarres pouvant à peu près contenir chacune environ une feuillette de Bourgogne, et on y laissait fermenter la liqueur jusqu'au moment où elle devait être bue ; on obtenait par le même moyen une espèce de bière du maïs. Ces deux breuvages étaient désignés sous le nom de caouin ; celui du manioc , qui était trouble et épais comme de la lie, avait, à ce qu'il paraît, beaucoup d'analogie, pour le goût, avec le lait aigre. »
10 Francisco Pereyra Coutinho.
« Coutinho, dit M. Alphonse de Beauchamp dans son Histoire du Brésil, avait servi dans les Grandes-Indes, et il s'en fallait de beaucoup que les Indes fussent alors pour les Portugais une école de politique et d'humanité. »
11 Diogo Alvarez-Correa.
Voici l'histoire de Caramourou, liée intimement à celle de Coutinho, telle que la rapportent MM. H. Taunay et F. Denis :
« Quoique la ville de Bahia, plus connue autrefois sous le nom de San-Salvador; ne soit pas fort ancienne, elle a une origine en quelque sorte merveilleuse, et cependant bien avérée: Un certain Diogo Alvarez-Correa, échappé à un naufrage, et recueilli, par les indigènes, semble être son fondateur. Vers 1516, ce jeune navigateur se rendait dans les Indes orientales ; mais, vers la hauteur des côtes du Brésil, son navire fut battu par la tempête, et il alla bientôt se perdre sur les bas-fonds qui se trouvent situés au nord de Bahia. Tous les malheureux qui -échappèrent à ce Naufrage ne tardèrent pas à être dévorés par les Tupinambas, vers lesquels ils s'étaient empressés d'accourir. Alvarez seul , et moins imprudent, pensa à se munir, avant de quitter le bâtiment, de quelques objets ordinairement agréables aux sauvages : cette précaution le sauva; car, lorsqu'après avoir visité la côte, et s'être caché quelque temps, il tomba au pouvoir des sauvages, il sut captiver leur bienveillance en leur offrant une partie de ce qu'il avait pu rassembler; il réserva cependant un mousquet, ainsi que des munitions ; et cette arme lui acquit par la suite un pouvoir auquel il ne pouvait point prétendre. Le même jour , dit-on encore maintenant à Bahia, un oiseau de proie alla s'abattre à quelque distance des sauvages, étonnés des présens dont on venait de les combler : Alvarez l'ajuste avec adresse ; il tombe, et , pour la première fois, les échos de la baie répètenit le bruit de nos armes meurtrières. Effrayés de ce prodige, les sauvages s'empressent autour de notre héros ; ils le regardent comme un envoyé du tonnerre ; ils l'appellent Caramourou, ou l'homme de feu, en le suppliant de les épargner. Bientôt il devient en quelque sorte leur chef ; il les guide au combat contre les Tapuyas ; et c'est après que la victoire est venue couronner ses efforts, qu'il épouse la fille d'un des Tupinambas les plus considérés de la tribu. Aidé de ses nouveaux compagnons, il fait élever quelques cabanes sur le rivage de la baie, dans l'emplacement occupé aujourd'hui par l'église de Graça ; ses conseils dirigent les Tupinambas ; ils construisent de nombreuses embarcations, et vont explorer l'intérieur de la baie, qu'ils connaissaient à peine, quoiqu'ils en fussent les dominateurs ; ils adoptent enfin une espèce de police intérieure, plus régulière que celle qui les régissait précédemment. Exempt de tout chagrin, considéré en quelque sorte comme le chef d'une nation dont il était en même temps le législateur, Caramourou aurait dû borner ses efforts à conserver la tranquillité dont il jouissait ainsi que la tribu ; mais un bâtiment marchand venant de Dieppe, et arrivé probablement pour charger des bois de teinture , lui fit concevoir tout-à-coup le désir d'étendre encore les bienfaits de la civilisation chez le peuple qui l'avait accueilli. Il partit donc pour la France [*] avec une de ses femmes , nommée Paragouassou. Henri III régnait alors ; il accueillit avec bienveillance un homme dont il espérait tirer quelques avantages. La jeune Tupinambas, convertie au christianisme, fut baptisée sous les auspices de la reine, qui lui servit de marraine, et lui donna le roi pour parrain ; mais il. ne fut pas permis au jeune Portugais de retourner à Lisbonne, comme il le désirait si vivement ; et il se vit en quelque sorte obligé de faire jouir la France des avantages qu'il réservait à sa patrie. D'après un traité passé avec un riche négociant , on lui confia deux gros navires chargés d'objets utiles à son établissement ; il s'engagea à lui former une cargaison des différentes denrées qu'il jugerait propres au commerce , et promit d'établir une sorte d'alliance avec les indigènes.
« De retour à Bahia., où il fut reçu avec le plus, vif empressement par ses anciens compagnons, il déploya tant d'activité, que bientôt on vit de nombreuses peuplades , errantes jusqu'alors, se réunir pour se livrer entièrement à l'agriculture. Une église même ne tarda pas à s'élever , et quelques Tupinambas adoptèrent la religion chrétienne.
« Cet état de bonheur ne pouvait point durer long-temps; il devait être interrompu par l'arrivée de Francisco-Pereyra-Coutinho à qui Jean III avait accordé toute la capitainerie, et qui venait en prendre possession. Plusieurs années auparavant, il avait tenté de s'établir à l'endroit où s'est élevée depuis l'église de Nossa-Senhora-da-Victoria ; mais les indigènes lui avaient fait une guerre cruelle, qui l'avait obligé d'abandonner cette partie de la province pour se rendre aux Ilheos, d'où il alla sans doute à Lisbonne, et revint à Bahia, pour former l'établissement que les lois du royaume lui permettaient exclusivement de fonder. Il eut d'abord recours à Caramourou pour la réussite du projet qu'il méditait depuis long-temps ; mais bientôt a il ne sut plus dissimuler la violence de son caractére, et rejeta les moyens de douceur employés jusqu'alors pour captiver la bienveillance des indigènes. Ceux-ci ne tardèrent pas à se repentir d'avoir accueilli ce nouveau chef et les aventuriers qui l'avaient suivi; mais un de leurs guerriers fut tué, et leur fureur ne connut plus de bornes. Caramourou voulut en vain rétablir la paix entre les deux partis ; ses efforts devinrent suspects à Coutinho, qui le fit transférer à bord d'un navire, en répandant le bruit de sa mort. Paragouassou adorait son mari, et le désir de la vengeance succéda bientôt au désespoir : elle arme ses compatriotes, elle appelle les vaillans Tamoyos ; rien ne peut lui résister. Méprisant les armés terribles dont ils connaissaient les effets sans les craindre, les Tupinambas et leurs alliés brûlent les sucreries, détruisent les plantations, tuent l'un des fils de Coutinho, et célèbrent chaque jour d'horribles festins, où ils font entendre des cris de rage, signal de la destruction.
« Quand de nombreuses années se seront écoulées, l'on se rappellera encore avec étonnement le courage de ces hommes terribles : mais dejà leurs exploits ont été célébrés, déjà les muses brésiliennes ont chanté leurs efforts et leur reconnaissance.
« Coutinho fut obligé de se retirer aux Ilheos ; mais nos funestes présens d'Europe étaient devenus indispensables aux peuples qui le chassaient. Quelques uns d'entre eux (et ce ne fut néanmoins que de l'avis d'un petit nombre ) allèrent proposer une pais durable que d'autres ne voulaient pas conclure. Le donataire l'accepte imprudemment; il met à la voile pour Bahia dans une caravelle, suivi d'un petit bâtiment qui porte Caramourou : déjà ils étaient en vue de l'immense baie. Le vent souille tout-à-coup avec violence, les vagues s'élèvent, et les navires vont échouer sur les bas-fonds de l'île d'Itaparica, où ils se brisent. Luttant contre la fureur des flots, Coutinho gagne enfin le rivage ; mais les Tupinambas ont distingué le naufrage : ils s'élancent dans leurs pirogues ; ils débarquent en faisant entendre des cris de vengeance; et les malheureux Portugais succombent après une défense opiniâtre. Coutinho, accablé parle nombre, reçoit lui-même le coup de mort; mais les équipages de Caramourou sont épargnés, à sa considération. Il est reconduit en triomphe dans son habitation ; il revoit sa femme, il embrasse ses enfans, et il redevient le chef des Tupinambas.
Nous sommes loin de vouloir excuser la manière barbare dont ces indigènes massacrèrent l'infortuné donataire ; mais on ne peut guère les accuser de perfidie, en se rappelant qu'il n'y avait qu'un fort petit nombre de tribus qui l'eussent engagé à venir habiter au milieu d'elles.
Caramourou continua à diriger l'établissement déjà commencé, jusqu'à ce que Jean III, voulant régulariser enfin la colonie naissante, envoya Thomé de Souza avec plusieurs jésuites, et entre autres Nobréga, afin de convertir au christianisme les indigènes. L'expédition partit d'Europe au mois d'avril 1549, et, après deux mois de navigation, entra dans la rade connue dès cette époque sous le nom de baie de Tous-les-Saints. Caramourou, déjà fort âgé, s'était établi à quelque distance de la ville abandonnée de Coutinho. Il joignit ses efforts à ceux de Thomé de Souza, et l'on jeta bientôt les fondemens de la capitale de tout le Brésil, à une demi-lieue environ de l'ancien établissement. »
[*] Tous les historiens ne s’accordent pas sur ce fait.
12 JAKARÉ-OUASSOU.
C’était l’habitude des Tupinambas de donner á leurs enfans le nom d’un animal[*], d’un arbre, d’une plante ou d’un fleuve. Ainsi Paragouaçou signifie, dit-on, la Grande-Rivière ; quelquefois le nom de l’enfant n’avait de rapport qu’à un défaut de conformation.
[*] Mais ils mettaient presque toujours après le nom substantif l’adjectif grand, qui s’exprime par gouassou, oussou, ou plutôt ouassou.
13 Les Cahètes.
La capitainerie de Pernambuco, où l’on trouve maintenant si peu d’indigènes, était autrefois habitée par la redoutable nation des Cahètes ou Caétès, qui possédaient tout le territoire compris entre le fleuve San-Francisco et le Rio-Parahyba. Ennemis irréconciliables des Tupinambas, ils leur faisaient une guerre continuelle, et ils savaient franchir la distance qui les séparait d’eux sur des espèces de radeaux d’une construction assez ingénieuse. Douze guerriers pouvaient monter ces singulières embarcations, et des flottes assez nombreuses allaient ravager le territoire des tribus rivales, établies quelquefois à cinquante lieues de là. Cet amour de la guerre devint funeste aux Cahètes ; les Tupinambas se réunirent avec les Tupinaès et les Tapuyas pour les anéantir ; ils réussirent complètement. Parmi les vaincus, il n’y eut que ceux qui gagnèrent les montagnes d’Aquesibas qui purent échapper à la mort ou à l’esclavage, chose à peu près Semblable chez ces nations. Les Cahètes avaient une réputation de cruauté que plusieurs traits, rapportés par des écrivains du temps, peuvent confirmer. » (FERDINAND DENIS, Résumé de l’Histoire du Brésil.)
On prétend que les Cahètes se défiguraient en se faisant d’horribles cicatrices.
14 Le crocodile.
Le caïman de l’Amérique méridionale est moins grand, en général, que le crocodile d’Égypte ; mais cet énorme amphibie est souvent très-redoutable au Brésil, où on le trouve dans les fleuves, dans les lacs, et même dans des mares prés des habitations : il paraît que le crocodile, qui ressemble à un gros lézard, change facilement de lieu. Les Brésiliens le nomment Jakaré, et croient que ses dents ont une grande vertu pour une foule de choses. On trouve de fort grands crocodiles dans l’intérieur du Brésil. Cet effrayant animal dévore avec une agilité et une voracité étonnantes les cerfs, les chevreuils, et d’autres bêtes qui traversent les fleuves où il se trouve.
Il ne marche pas vite sur terre.
15 Du lac.
Il y a un lac, près de Bahia, où l’on trouve une île flottante. les bords de ce lac sont fort agréables.
16 Le tigre.
Le tigre du Brésil, ou jaguar, n’est pas aussi grand que le tigre d’Afrique, mais il a toute la voracité et la méchanceté de ce dernier. Le jaguar est tacheté. Il est très-redouté dans l’intérieur du Brésil, où certains Indiens, qui gardent des troupeaux, savent le prendre et le mettre à mort par le moyen de leurs laçons, qu’ils lacent avec une grande adresse.
17 Se convertir.
La manière dont on a converti ceux des sauvages d’Amérique que l’on n’a pas jugé à propos massacrer est aussi ridicule qu’absurde et impie. On ne s’est jamais adressé au coeur des naturels: on baptisant sous le sabre ou couteau. Le seul baptême que les Espagnols et les Portugais rendirent bien complet dans le nouveau monde, ce fut le baptême de sang.
18 Ce nom veut dire la plus belle.
On sait que les Tupinambas, comme la plupart des sauvages d’Amérique, ne portaient que des noms qui avaient un rapport direct avec un objet matériel, que qu’il fût.
19 Un Tupinambas vient de naître.
On peut voir, pour les cérémonies de la naissance chez les Tupinambas, Léry, Thevet, Claude d’Abbeville, et les anciens voyageurs qui on écrit sur le Brésil.
20 La malheureuse est stérile.
Rien de plus honteux chez les femmes sauvages que la stérilité; leurs maris les chassaient, pour l’ordinaire, de leur case, et elles vivaient méprisées.
21 Le manioc.
Le manioc, qui remplace le pain pour les Brésiliens, est une grosse racine qui demande peu de culture. Crue, c’est un poison violent. Pour s’en servir, on la râpe; et, réduite en farine, on la dégage de tout son humidité, où réside le principe du poison.
22 Les Tamoyos.
Les Tomayos étaient maîtres de toute la côte comprise entre le cap de Saint-Thomé et Anga-dos-Reys. Quoique ces indigènes fussent plus habiles que les autres Brésiliens dans l’art de fortifier leur villages[*], ils furent d’abord repoussés dans l’intérieur par les Goytakazes; mais, revenant bientôt sur les bords de l’Océan, les Portugais les anéantirent.
[*] Voyez Roteiro do Brasil.
23 L’esprit du courage.
A certaines époques, et au moment de marcher à l’ennemi, les jongleurs soufflaient l’esprit du courage aux Tupinambas. Aucune femme n’entrait dans la case où après des danses mystérieuses, les guerriers, rangés en ordre, recevaient tour à tour, par un long cornet que tenait le devin, la fumée du pétun: on pense que c’est le tabac.
24 Le coup d’honneur.
« …Comme celui qui frappait la victime jouissait d’une considération particulière, plusieurs guerriers réservaient cet honneur à leurs enfants, et attendaient qu’ils eussent la force de se charger de l’exécution. Après un tel exploit, le sacrificateur changeait de nom , et se faisait à la cuisse une incision profonde. » (Résumé de l’Histoire du Brésil et de la Guiane, par Ferd. Denis.)
25 Demande-moi à mon père.
Il y a plusieurs auteurs qui prétendent (mais nous ne le croyons guère) que les pères n’avaient presque pas d’empire sur leurs enfant, et que c’étaient les frères qui disposaient de leur soeurs. Cela s’accorde mal avec le respect profond que les Tupinambás avaient pour les vieillards.
26 Que les femmes dépeçaient déjà.
« Après que le prisonnier a reçu le coup de mort, les femmes approchent, et iettent le corps mort dans un feu, afin qu’il ne luy rest aucun poil, et qu’elles les puissent lauer plus aisément. Cela fait, elles luy fendent le ventre, et en tirent les tripes et boyaux: les autres mettent le corpos par pieces; et pour n’alonger dauantage ce propos, tous mangent ceste chair humaine auec grand plaisir.” (Vieille Histoire de Portugal)
27 Le nègre.
Les nègres ont été introduits au Brésil peu de temps après sa découverte.
« Cet odieux commerce, qui fait frémir l’humanité, avait été autorisé et accordé aux Portugais par une bulle du pape, dès l’na 1440. L’infant Henriquez de Portugal fut le premier prince chrétien qui se servit d’esclaves nègres » ( De Paw, Recherches philosophiques sur les Américains.)
28 Qu’elle aille parler pour moi.
On sait que touts les Américains ont cru que le papier parlait, á commencer par ce malheureux empereur qui jeta l’Évangile que lui avait donné l’infâme moine Valverde, parce qu’après avoir approché le livre de son oreille, il n’avait rien entendu.
On rapporte qu’un esclave indien, chargé par son maître d’un panier des figures et d’une lettre pour une personne, mangea, chemin faisant, une partie des figures, et rendit le reste, avec la lettre, à la personne à qui elles étaient envoyées, qui ayant lu la lettre, et ne trouvant pas la quantité de figures dont elle faisait mention, accusa l’esclave d’avoir mangé celles qui manquaient, et lui lut le contenu de la lettre. Mais l’Indien, assurant le contraire, maudissait le papier, et l’accusait de faux témoignage.
Il fut chargé ensuite d’une Semblable commission avec une lettre qui marquait expressément le nombre des figures qu’il devait rendre. En chemin, il mangea encore une partie comme auparavant, avec cette précaution, pour n’être pas accusé de nouveau, qu’il cacha premièrement la lettre sous une grosse pierre, se croyant assuré que si elle ne le voyait pas manger les figures, elle ne pourrait rien témoigner contre lui. Mais le pauvre ignorant, accusé plus que jamais, avoua sa faute, et regarda avec admiration la vertu magique du papier.
29 Vos flûtes.
Les Tupinambás gardaient certains os de leurs ennemis pour en faire des flûtes, et leurs dents pour des colliers.
30 Les feux pour éloigner les tigres.
Il est toujours d’usage, au Brésil, d’allumer de grands feux au milieu des bois où campent les colons ou les sauvages, pour épouvanter les tigres et les autres animaux féroces; mais ces feux attirent une prodigieuse quantité de cousins ou moustiques, qui vous dévorent toute la nuit, si vous n’avez soin de cacher tout votre corps sous un vaste manteau.
31 C’était la mort.
Les sauvages de certaines tribus de l’Amérique du nord croient que la Mort est une grand femme, belle, blanche, pâle, et qui n’a pas de coeur[*]
Cette image, créée par des peuples barbares, nous semble bien belle.
[*] Voy. les Voyages de Châteaubriand en Amérique.
32 Sans placer des sentinelles.
On accuse les naturels du Brésil de ne pas songer à leur sûreté, lorsqu'ils campent hors de leurs villages. Cependant ils agissent avec beaucoup de ruse dans leurs attaques nocturnes. Il y a des auteurs qui ne leur font pas le reproche indiqué plus haut.
33 Approche son oreille de terre.
Lorsqu’ils étaient poursuivis, ou qu’ils poursuivaient eux-mêmes l’ennemi, en appliquant l’oreille contre terre, les naturels du Brésil connaissaient quelle était la distance qui les séparait de ceux qu’ils allaient combattre, ou de ceux dont ils redoutaient l’approche.
34 Souffrir!
Il est certain qu’on ne peut guère analyser cette force morale et physique que la plupart des sauvages possèdent au suprême degré dans les momens critiques de la vie: on ne lui a point encore assigné de nom.
Voyez ce que dit un Brésilien, au moment ou la massue tranchante va briser son front:
« – Iai moi-mesme, vaillaint que ie suis, premierement lié et garoté vos parens, iai assommé vos frères; iai tant mangé des hommes, des femmes et mesme des enfants de vous autres Toupinambaoults, que iai pris en guerre, que ie n’en sais pas le nombre; et ne doutez pas que les Margaias, de la nation dont ie suis, pour venger ma mort, n’en mangent encore cy-après autant qu’ils en pourront attraper. »
(LÉRY)
35 Le bananier.
Il y en a beaucoup au Brésil. Les fruit que porte le bananier est excellent et très-sain; dans les Villes, c’est la principale nourriture des esclaves.
36 Des cocos.
A Bahia, les cocotiers croissaient fort beaux sur le bord de la mer. Dans l’intérieur du Brésil, il y en a des forêts.
37 Des pacas.
Le paca se trouve vers les bords de la mer. C’est un gibier estimé. Il est de la famille des rongeurs. Ce quadrupède parvient à la grosseur d’un fort cochon de lait. Il fouille la terre avec le bout de son nez, divisé en deux parties.
38 Des coatis.
Le coati n’est pas un grand animal ; il est fort original, et rempli de vivacité. Sa chair est assez agréable ; elle a une odeur et un goût très-prononcé.
39 Des chevreuils.
Le Brésil paraît être le pays des chevreuils. Il y en a prodigieusement, surtout dans les provinces de l’intérieur, où l’on voit aussi de grands cerfs d’une blancheur remarquable.
40 Du paresseux.
Le paresseux, dont les veines semblent se gonfler péniblement d’un sang que l’on dirait glacé, est un mets excellent pour tous ceux qui sont faits à la cuisine brésilienne, cuisine assez étrange, disons-le en passant. Le paresseux reste long-temps sur le même arbre, où les habitans du pays le laissent tranquille lorsqu’il n’est pas gras. On sait que l’existence de cet animal paraît être malheureuse.
41 Femme, meurs
On retrouve la peine du talion chez tous les sauvages. Elle était strictement observée parmi les naturels du Brésil.
« Les parent du meurtrier sont contraints de le livrer aux mains et alliez du meurtry, lesquels poursuiuent la vengeance de sa mort. Iceus l’estranglent et l’enterrent : puis les parents de l’vn et de l’autre pleurent et font le deuil des trépassez ; quoy fait, le banquet est préparé, où ils se reconcilient ensemble. » (Vieille Histoire de Portugal.)
42 Un sauvage aymore.
« Les Aymores, qui ont acquis une si funeste célébrité dans le Brésil, ne se montrèrent sur le bord de la mer que long-temps après la découverte, et lorsque de nombreux établissemens étaient déjà formés. On pense généralement que ce peuple descendait d’une tribu de Tapuyas, qui, relégués dans les solitudes de l’intérieur, avaient même oublié les arts grossiers, inventés par une nation puissante qui vivait dans une sorte d’abondance.
« Étrangers à la construction d’une cabane, ils étaient bien éloignés de se parer de ces ornemens en plumes dont on retrouvait l’usage dans toutes les autres tribus. Mais ils avaient encore un caractère bien distinctif : c’était une invisible horreur pour l’eau, qui les empêchait même de poursuivre leurs ennemis quand ceux-ci traversaient un fleuve[*]. Cette circonstance, selon moi, pourrait faire penser qu’ils venaient des plaines arides que l’on rencontre dans Pernambuco, Siara et Piauhy ; car un peuple sauvage qui habite le bord des fleuves ne doit pas ignorer long- temps l’art de nager. On prétend que ces barbares faisaient un plus grand usage de la chair humaine que les autres. Ils la conservaient, dit-on, comme toute autre espèce de nourriture, et sans qu’il se joignît à cela aucune idée de vengeance. » (FERDINAND DENIS.)
[*] Southey, History of Brasil.
43 Une femme accoucha.
Il paraît certain que, chez les indigènes du Brésil, lorsque une femme venait d’accoucher, c’était le mari qui se tenait dans son hamac, comme un homme fort occupé et fort malade ; il recevait, pendant quelques jours, les félicitations de ses amis.
44 Les fourmis.
« Les fourmis ravageaient tellement les contrées du sud de l’Amérique, qu’on y surnommait cet insecte le roi du Brésil. » (DE PAW. Voyez aussi PISON, Introduction à l’Histoire naturelle du Brésil.)
45 L’abeille
Le miel des abeilles du Brésil est excellent et très-parfumé. Il y a une espèce d’abeilles qui ne piquent pas.
46 Le soleil, etc., etc.
Nous avons mis ici une note pour faire observer que notre morceau, assez long, consacré à une description proprement dite, quoique fait pour la province habitée par les Tupinambas, peut s’appliquer à la physionomie générale de la nature du Brésil. Il est malheureux que, faute d’espace, il nous ait fallu passer sous silence une foule de choses plus ou moins intéressantes.
47 Les palmiers.
« Palmarum plures habet species ; unam quae dactylos fert, alteram quae nuces indicas, tertiam ex quâ oleum, vinum, acetum, panem conficiunt. » (BARLEUS.)
48 Ibirapitanga ou ibiripitanga.
C’est le bois de Brésil, qui donne un si beau rouge. Il vient á la hauteur de nos chênes. Son écorce est très-épaisse. Il y en a beaucoup au Brésil, où l’on en fait un grand commerce. C’est un monopole du gouvernement.
49 La clicia.
Nous offrons aux amateurs de la langue portugaise des vers assez gracieux, fait sur la clicia par un poëte brésilien :
« Das flores naturaes pelo ar brillante
He com causa entre as mais rainha a rosa,
Branca si hindo a aurora rutilante,
E ao meio dia tinta en cor lustrosa. »
(Le prêtre Jose de Santa-Rita-Durao.)
50 Lieux humides
On est étonné de la quantité de reptiles dégoûtans qui pullulent au Brésil dans les endroits marécageux : la vase en renferme des espèces sans nombre.
51 Le giboya ou liboya
Voici, sur cet horrible animal, qui ne se trouve heureusement pas dans tout le Brésil, in beau morceau tiré d’une Histoire du Brésil, où il y a de bons matériaux, mais à laquelle on peut adresser néanmoins de très-justes reproches :
« ...... Le liboya, reptile énorme, gros comme le corps d’un homme, et quelquefois long de quarante pieds, couvert d’écailles et de taches irrégulières, ayant le dos d’un noir verdâtre et les flancs d’un jaune brun. Sa tête est plate, et sa large bouche renferme une double rangée de dents aiguës. Il est armé sous le ventre de deux fortes griffes pour saisir sa proie. Les Portugais le nomment serpent-chevreuil, parce qu’il dévore le chevreuil avec une incroyable facilité. Sa force et sa voracité sont telles, que, poussé par la faim, il attaque et mange des hommes, des sangliers et même des tigres. Ses yeux ont-ils aperçu sa proie, ils semblent lancer de vives étincelles ; sa langue fourchue s’agite dans sa large bouche. Il saisit sa victime avec sas griffes, s’y cramponne, s’entortille autour, la couvre d’une bave visqueuse pour l’avaler plus facilement, et passe grand nombre de jours à la digérer.
« Ce serpent colossal et amphibie se plaît dans la vase et dans l’eau. Il est l’effroi des Indiens et des Portugais. Les nègres, plus hardis, l’attaquent souvent avec avantage, soit à coups de fusil, soit avec l’arc et la flèche. Si le monstre n’est que blessé, il s’agite en tous sens, coupe les broussailles et les jeunes arbres, siffle, rugit, enfonce sa queue avec violence dans l’eau, couvre ceux qui le combattent d’une vase infecte, et de nuages de poussière mêlés de boue, comme dans un ouragan. Est-il blessé à mort, il continue à se tordre, à se replier sur lui-même, jusqu’à ce qu’un des nègres assaillans s’approche, et, bravant le danger, lui jette au cou une corde avec un noeud coulent. Maître enfin de l’énorme reptile, et tenant à la main le bout de la corde, le nègre grimpe sur un arbre, hisse le monstre, qui demeure suspendu ; il quitte ensuite l’arbre, tenant entre ses dents un couteau fort et acéré, s’attache au corps du reptile, qui tournoie et s’agite ; et, nu, ensanglanté, il serre des bras et des jambes la peau luisante du monstre encore vivant, la feud près du cou, et l’en dépouille. Il tire ensuite de sa proie une graisse clarifiée, qu’il convertit en huile, et se régale de la chair avec ses compagnons. » (ALPHONSE DE BEAUCHAMP, Histoire du Brésil.)
52 Le porc-épic.
« On y rencontre, etc., etc........ le porc-épic, ou hérisson de la grande espèce, qui, lorsqu’il est irrité, lance ses pointes avec tant de force, qu’elles peuvent blesser et même tuer un homme. Il ne faut pas le confondre avec l’armadilha, ou porc cuirassé, qui se roule comme le hérisson, et présente de toutes parts sa cotte de mailles impénétrable. » (LE MÈME.)
53 Plus de bonheur.
« L’adultere leur est en telle horreur du costé des femmes, que sans qu’ils ayent une autre loi que celle de la nature, si quelqu’une mariée s’abandonne à un autre qu’à son mary, il a puissance de la tuer ou pour le moins de la répudier et renvoiier avec honte. » (LÉRY.)
54 Une caverne dite des Esprits.
« La voix de leur dieu, c’était la foudre ; chez eux mille génies fantastiques animaient la nature, favorisaient les hommes, ou s’en faisaient redouter. » (FERD. DENIS, Résumé de l’Histoire littéraire et du Brésil.)
55 Un serpent.
On a été plusieurs fois à même d’étudier, en Amérique, l’effet surprenant que produit la musique sur les serpens, et presque toujours sur les espèces les plus redoutables.
56 La montagne Blanche.
C’est par une foule de pratiques absurdes et superstitieuses que les devins se rendaient maître de l’esprit des sauvages.
« Ominibus, auguriis, sortilegiis ad insaniam dediti, levibus suorum et ineptis ingeniis, fallaci signorum interpretatione, quaestuosam mendaciis caliginem objeciunt.»
(BARLEUS.)
57 Le pays des ames.
Les Tupinambás croyaient qu’après leur mort ils iraient, derrière les grandes montagnes Bleues, danser, rire, manger, et boire d’excellentes liqueurs avec les Génies. Ils n’attachaient, du reste, aucune espèce de peine, dans une autre vie, aux vices ou aux crimes des hommes.
58 Se cache au fond du lac.
« Natant ad miraculum, et sub aquis totas interdum horas patentibus oculis urinantur »
(BARLEUS)
« les hommes et les femmes brésiliens savent tous nager. Les petits enfants, dés qu’ils commencent à cheminer, se mettent dans les rivières et sur le bord de la mer, grenouillans de ça dedans comme de petits canards. »
(LERY)
« Ils sont si bons nageurs, que, dans la mer et les rivières, ils tirent de l’arc en nagent : aussi s’y exercent-ils dès leur enfance ; ils savent faire le plongeon et demeurer sous l’eau.
« Ils poursuivent des poissons qu’ils prennent, et qu’ils apportent s’ils ne sont pas trop gros. »
(Voyage aux Indes occidentales, de Durret)
59 Les Montagnes Bleues.
Les Indiens de l’intérieur du Brésil et de presque toutes les parties du reste de l’Amérique méridionale, appelaient probablement montagnes Bleues les Cordillères, qu’ils croyaient habiter après leur mort, comme on l’a dit, ce non se sera répandu parmi les sauvages des côtes.
60 Funérailles.
« Par un sentiment bien naturel à l’homme, les cérémonies funèbres offraient, chez ces sauvages, une certaine pompe. Aussitôt que le malade avait succombé, les cris les plus douloureux se faisaient entendre. Les femmes, en s’embrasant et en plaçant leurs mains sur les épaules l’une de l’autre, s’écriaient, en poussant des gémissemens prolongés: « Il est mort celui qui nous a tant fait manger de prisonniers! » Et les hommes leur répondaient sur le même ton, en vantant les qualités du défunt: « Hélas! nous ne jouirons plus de sa présence que derrière les montagnes, où nous danserons avec nos pères! » Ces regrets se faisaient ordinairement entendre la moitié du jour; au bout de ce temps, on creusait une fosse ronde, et profonde de cinq à six pieds, et le corps y était enterré presque debout[*], avec les bras et les jambes liés autour du corps; où bien si c’était un vieillard, la maison qu’il avait habitée devenait le lieu de sa sépulture, et l’on ensevelissant avec lui ses armes et ses vêtemens. Par une superstition qui tenait probablement à leur habitude de manger ennemis, craignant que le malin Esprit ne déterrât le corps pour le faire servir à sa nourriture, ils plaçaient sur la fosse des plats de terre remplis de farine, de volaille, de poisson, et de toute espèce de viandes ou de breuvages, jusqu’à ce qu’ils jugeassent que le corps fût entièrement corrompu. Ils couvraient ensuite cet endroit d’une espèce de natte qui indiquait une tombe, où les femmes allaient répandre de larmes quand, dans leurs voyages, elles rencontraient. (HIPPOLYTE TAUNAY et FERD. DENIS.)
[*] On a oublié de dire: Dans un grand vase de terre rouge.
61 La plante de la mort.
« Ils enterrent leurs morts debout, élèvent quelquefois sur la fosse, comme marque d’une distinction honorable, des pierres couvertes d’une certaine plante que conserve long-temps sèche. » (ALPHONSE DE BEAUCHAMP.)
62 Nourrir le maraca.
Les piayes plantaient, quand cela leur semblait bon, leur maraca devant une case indienne, dont les habitans étaient obligés d’apporter ce qu’ils avaient de meilleur pour nourrir le maraca. Pendant la nuit, le devin s’emparait de tous les présens.
63 La chasse des poissons.
Les Tupinambas n’avaient point d’hameçons; ils tuaient le poisson à coups de flèches, ou l’étourdissaient en répandant sur l"eau le jus d’une certaine plante, ou la plante elle-même écrasée.
64 Déchire les membres du jaguar.
Les sauvages veulent se venger de tout ce qui les a irrités, lors même que ce serait un objet inanimé.
Léry rapporte que lorsqu’un Tupinambas frappe son pied, en courant une pierre, il se retourne avec rage, saisit la pierre, la mord, et la jette violemment loin de lui, comme cherchant à la briser, et à lui rendre le mal qu’il en reçu.
FINS DES NOTES.
Núcleo de Pesquisas en Informática, Literatura e Lingüística
[*] L'Amérique tout entière est réellement un pays mystérieux. Ces peuples dont nous parlons n'ont jamais été connus; ils ne le seront probablenent pas. On sait seulement que sur les bords de l'Ohio, et en d'autres lieux, on trouve des tombeaux singuliers qui renferment de singuliers ossemens. Parmi tous ces débris on croit reconnaître la physionomie de trois peuples différens, qui ont précédé les sauvages proprenent dits au Nouveau-Monde.
[*] Cette baie reçut du navigateur Cristovâo Jacques le nom de Baie-de-tous-les-Saints.
[*] Le tigre du Brésil.
[*] Voy. la lettre de Vas de Camina ( traduite par M. Ferdinand Denis), écrite du Brésil, 1500, lors de sa découverte, au roi de Portugal Enmanuel.
[*] Il est probable que c'est Tupan lui-même.
[*] Cet instrument est une coloquinte pleine de noyaux, de graines ou de petites pierres : il est très vénéré ; c'est la sonnette de divination des piayes.
[*] Ils la nomment tacape; elle est ordinairement fort longue, tranchante, et de bois d'ébène.
[*] Sur ces pieux ils placent les têtes des prisonniers qu'ils onmt dévorés.
[**] Il y en a de trois espèces.
[*] 1516.
[*] D'autres disent : dragon de la mer ; cela ce nous paraît pas aussi probable.
[**] Il est bon d'avertir que tous les historiens ne s'accordent point sur ce voyage.
[*] Ou San-Salvador. Caramourou, après son naufrage, ayant trouvé son salut sur les côtes de cette province, l'avait nommé San-Salvador (Saint-Sauveur). La capitainerie et et la ville capitale portèrent long-temps ce nom.
[**] Voy. Voyage au Brésil de M. Lindley (1802), et l'Histoire du Brésil de M. Alphonse de Beauchamp (1815).
[*] Coutinho fixa son établissement dans la baie, au lieu appelé maintenant Villa-Vellora, qui était le séjour de Caramourou. (Alphonse de Beauchamp, Histoire du Brésil.)